• Pr PEYRIN-BIROULET : MICI : Plus de rémissions longues grâce aux combinaisons de molécules

Laurent PEYRIN-BIROULET

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 11/07/2022


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Quelles avancées thérapeutiques au lendemain de la journée mondiale sur les MICI ? Entretien avec le Pr Laurent Peyrin-Biroulet, chef du service d’Hépato-gastro-entérologie au CHRU Nancy et président de la société européenne ECCO (European Crohn’s and Colitis Organisation).

 

TLM : Quelles sont les dernières avancées en matière de prise en charge des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) ?

Pr Laurent Peyrin-Biroulet : La prise en charge des MICI bénéficie aujourd’hui de plusieurs grandes avancées récentes.

La première est l’association des biomédicaments. Nous disposons des résultats d’un premier essai clinique, l’essai VEGA, qui montre que l’association de deux biothérapies est plus efficace que le traitement par une seule molécule. Avec les stratégies actuelles, un patient sur cinq seulement est en rémission. Pour aller plus loin, nous devons associer les médicaments entre eux. Notre volonté est d’obtenir des rémissions de plus en plus profondes et longues, en particulier grâce à l’association de molécules.

Deuxième avancée, la stratégie de diagnostic précoce s’est imposée, permettant d’intervenir tôt et de traiter tôt. Il faut agir tôt pour changer le futur du patient, pour préserver son intestin et pour qu’il puisse conserver une vie normale. Dès le diagnostic, le patient doit être surveillé et la maladie contrôlée pour que le patient revienne à sa vie antérieure, sans atteinte intestinale. L’objectif est de prévenir les hospitalisations et la chirurgie par une prise en charge précoce et pour un retour le plus rapide à une vie normale. Troisième grande avancée, nous avons de nombreuses nouvelles molécules à notre disposition. Nous pouvons désormais aller plus loin, plus haut et changer le traitement si nécessaire.

 

TLM : L’avènement des biothérapies a-t-il révolutionné la prise en charge de ces malades ?

Pr Laurent Peyrin-Biroulet : Les biothérapies ont commencé à être prescrites il y a 25 ans. Auparavant, les traitements des MICI reposaient sur les immunosuppresseurs, en particulier l’azathioprine, les aminosalicylés et les corticoïdes. Tels étaient les médicaments avant l’arrivée des biothérapies. Les corticoïdes, c’est un cache-misère : ils améliorent les symptômes sans modifier l’évolution de la maladie. Les immunosuppresseurs avaient, eux, une efficacité de faible à modeste. Au fil du temps, nous avons compris que les aminosalicylés n’étaient pas efficaces dans la maladie de Crohn. En revanche, ils ont une efficacité importante dans la rectocolite hémorragique (RCH). C’est d’ailleurs le traitement de base des formes légères à modérées de RCH.

 

TLM : Les biomédicaments ont-ils vraiment changé la vie des patients ?

Pr Laurent Peyrin-Biroulet : Il y a 20 ans les malades porteurs d’une MICI apparaissaient pâles, maigres, fatigués. Aujourd’hui ces maladies ne s’extériorisent plus de la sorte. Certes, le patient peut souffrir encore mais nous sommes parvenus à maîtriser la maladie puisqu’elle est contrôlée dans un cas sur deux, ce qui est plutôt satisfaisant. Et dans un cas sur cinq, le patient est en rémission. Et ce chiffre devrait progresser avec l’association de deux biothérapies. L’essai clinique VEGA a associé deux biothérapies, à savoir un anti-TNF et un anti-IL23. Dans le cadre de cet essai, nous avons eu des taux de rémission jamais atteints. Les chercheurs ont découvert que 83,1 % des patients ayant bénéficié de l’association avaient une réponse clinique et que 36,6% étaient en rémission. Ces taux sont supérieurs aux taux de réponse et de rémission quand les patients sont traités avec l’anti-IL23 seul ou avec l’anti-TNF alpha seul. De surcroît, avec l’association de biomédicaments, une plus grande proportion de patients ont obtenu une amélioration ou une normalisation endoscopique.

 

TLM : Quel est le profil des patients éligibles aux biothérapies ?

Pr Laurent Peyrin-Biroulet : Dans la maladie de Crohn, deux patients sur trois sont éligibles aux biothérapies. Entre 20 % et 30 % des malades ont une forme légère, non compliquée, ne nécessitant qu’une surveillance ou un traitement léger, des corticoïdes de temps en temps. Et 70% auront besoin d’une biothérapie. Concernant la RCH il en va autrement. Un patient sur deux sera traité avec des aminosalicylés et un sur trois est candidat à une biothérapie, parce qu’il est en échec avec les aminosalicylés, traitement de première intention. Dans tous les cas, les biothérapies sont destinées aux patients souffrant d’une MICI modérée, sévère ou compliquée.

 

TLM : Comment agissent les biothérapies ?

Pr Laurent Peyrin-Biroulet : Globalement, il y a trois catégories de biothérapies. Les plus anciennes, les anti-TNF, vont bloquer une cytokine pro-inflammatoire, le TNF ou Tumor Necrosis Factor. Ces biothérapies ont une action systémique, elles agissent sur l’ensemble de l’organisme. Il y a ensuite les anti-intégrines, qui bloquent les intégrines dont le rôle est de recruter des globules blancs sur le site inflammatoire. La troisième catégorie, les anti-IL23, plus ou moins spécifiques, vont bloquer l’interleukine 23 qui, comme le TNF, est une cytokine pro-inflammatoire.

 

TLM : Quels sont les effets indésirables des biothérapies ?

Pr Laurent Peyrin-Biroulet : Les anti-IL23 et les anti-intégrines ont une excellente tolérance. Les anti-TNF sont très bien supportés du point de vue clinique, avec un recul de plus de deux décennies. Mais on enregistre un peu plus d’infections avec ces molécules qu’avec les IL23.

 

TLM : Escompte-t-on l’arrivée de nouvelles molécules dans les prochaines années ?

Pr Laurent Peyrin-Biroulet : Des anti-IL23 plus spécifiques arrivent dans les prochaines semaines, ainsi que des anti-JAK plus spécifiques. Des modulateurs de la S1P, une nouvelle classe, devraient également être bientôt sur le marché. Il y a eu des progrès galéniques, car après 20 ans d’utilisation de ces molécules par voie intraveineuse puis sous-cutanée, certaines sont désormais disponibles par voie orale.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge des MICI ?

Pr Laurent Peyrin-Biroulet : Son rôle est essentiel. Face à des patients ayant des troubles digestifs spécifiques, douleurs, diarrhées, il doit évoquer le diagnostic. D’autant que l’on sait aujourd’hui que lorsque le diagnostic et le traitement sont précoces, le pronostic est bien meilleur. Le patient est suivi ensuite par le gastroentérologue qui gère les traitements et notamment les biothérapies. Aujourd’hui, pour les 400 000 malades concernés par les MICI, l’espoir d’une meilleure évolution s’est considérablement accru grâce aux associations de molécules, aux nouveaux médicaments et à des outils de surveillance plus efficaces et performants.

Propos recueillis

par Elvis Journo

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