• Pr PETIT : Pour éviter la chronicisation de la lombalgie...

Audrey PETIT

Discipline : Rhumato, Orthopédie, Rééduc

Date : 11/04/2022


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Les antalgiques associés au maintien de l’activité sont les principales armes thérapeutiques dont disposent les médecins pour soulager le patient lombalgique et éviter le passage à la chronicité, rappelle le Pr Audrey Petit, médecin du Centre de consultation de Pathologie professionnelle du CHU d’Angers.

 

TLM : Lombalgie aiguë, chronique, commune... Pouvez-vous nous rappeler la définition de ces termes ?

Pr Audrey Petit : Une lombalgie commune correspond à une douleur du bas du dos, sans cause sous-jacente d’ordre inflammatoire, infectieux ou tumoral. La lombalgie commune guérit, généralement, spontanément en quatre à six semaines ; elle est qualifiée de chronique lorsqu’elle persiste au-delà de trois mois. En réalité, la chronicité est surtout définie par l’incapacité et le retentissement de la douleur qu’elle génère, ainsi que par le contexte dans lequel survient la lombalgie.

 

TLM : La lombalgie aiguë constitue le deuxième motif de consultation, la lombalgie chronique le huitième. Pourquoi est-ce si commun ?

Pr Audrey Petit : La lombalgie commune est généralement liée à des phénomènes dégénératifs (arthrose discale et/ou intervertébrale notamment) qui sont quasi inéluctables. Cette usure du bas du dos fait partie de la vie, au même titre que les rides et les cheveux blancs : tout le monde a fait ou fera l’expérience du mal de dos au moins une fois dans sa vie, mais à des degrés d’intensité et de fréquence variables et avec un ressenti et un retentissement propres à chacun.

 

TLM : Quels sont les facteurs favorisant la survenue d’une lombalgie ?

Pr Audrey Petit : Certains facteurs individuels comme le surpoids et l’obésité, le manque d’activité physique et la consommation de tabac, et il existe certainement une composante génétique ; certaines activités professionnelles requérant des travaux physiques pénibles comme le port de charges lourdes ou des postures prolongées inconfortables — le travail sédentaire peut également favoriser le développement d’une lombalgie, mais ce risque est davantage lié au manque d’activité physique qu’à la nature même du travail ; le stress est également un autre facteur de risque de lombalgie.

 

TLM : En quoi consiste la prise en charge initiale d’un patient lombalgique ?

Pr Audrey Petit : À poser le bon diagnostic, à rassurer le patient et à soulager sa douleur tout en l’encourageant à maintenir une activité physique et professionnelle dans la mesure du possible. Dans un premier temps, il faut éliminer une maladie sous-jacente potentiellement grave, voire urgente, et rechercher d’éventuels « drapeaux rouges » : antécédents de traitements favorisant l’ostéoporose comme les corticoïdes, signes généraux faisant suspecter une infection ou un cancer (perte de poids, anorexie, fatigue inexpliquée...), antécédents de traumatisme violent, déficit neurologique des membres inférieurs (le fameux « syndrome de la queue de cheval »), antécédents de cancer et de maladie rhumatismale, douleur suivant un rythme inflammatoire faisant suspecter l’entrée dans une maladie inflammatoire comme une spondylarthrite ankylosante, etc.

 

TLM : Faut-il prescrire des examens complémentaires ?

Pr Audrey Petit : Au stade aigu de la lombalgie et en l’absence de « drapeaux rouges », les examens biologiques ou d’imagerie n’ont pas leur place chez les patients âgés de 20 à 55 ans. En effet, dans cette population, les causes secondaires sont rares, il s’agit le plus souvent d’une lombalgie commune.

 

TLM : Comment soulager un patient en phase aiguë ?

Pr Audrey Petit : Il faut d’abord le rassurer quant à l’évolution favorable de sa lombalgie en quelques jours ou semaines, et le soulager avec des antalgiques, voire des anti-inflammatoires si nécessaire. Cette prise en charge purement symptomatique doit l’aider à franchir le cap douloureux du lumbago. La kinésithérapie n’a pas forcément sa place à ce stade. Le repos prolongé, au-delà de trois à cinq jours, est fortement déconseillé ; il faut, au contraire, encourager le patient à maintenir ses activités de la vie quotidienne et, si possible, professionnelles. Si l’intensité de la douleur ou la profession imposent un arrêt de travail, celui-ci doit être de courte durée afin de permettre une réévaluation rapprochée de la situation.

 

TLM : Que faire si la douleur persiste ?

Pr Audrey Petit : Au-delà de six semaines, on parle de lombalgie subaiguë. Le médecin doit réévaluer la clinique, s’assurer, à nouveau, de l’absence de drapeaux rouges et rechercher d’éventuels facteurs de risque psycho-sociaux et professionnels : comportements douloureux inappropriés, « croyan ces » erronées, stress, anxiété, dépression, charge de travail physique ou pression temporelle au travail perçues comme élevées, manque de soutien social au travail, insatisfaction au travail ou politique sociale de l’entreprise défavorable au retour au travail aménagé, manque de contact avec le milieu de travail pendant l’arrêt, incitatifs financiers à la prolongation de l’arrêt, etc. susceptibles de favoriser l’évolution vers la chronicité. La kinésithérapie peut être intéressante à ce stade pour éviter que le patient s’enkyste dans sa peur et son appréhension du mouvement (kinésiophobie) et adopte des conduites d’évitement ou réduise trop ses activités. La lombalgie devient chronique lorsque la douleur ne cède pas après trois mois d’évolution, et qu’elle empêche le patient de vivre « normalement ». À ce stade, seuls les antalgiques de paliers 1 voire 2 conservent leur intérêt. Les antalgiques de palier 3 ne sont pas recommandés, notamment pour prévenir le risque d’accoutumance, voire de dépendance. Les AINS peuvent également être prescrits, notamment en cas d’épisodes douloureux suraigus et en cures courtes. A ce stade, il est recommandé d’orienter le patient vers un centre de rééducation fonctionnelle pour le faire bénéficier d’une prise en charge pluridisciplinaire. Le recours à l’ostéopathie, la chiropraxie ou l’acupuncture n’a pas démontré son efficacité. En revanche, la sophrologie, la méditation pleine conscience ou la relaxation peuvent aider à mieux gérer la douleur, dans le cadre d’une prise en charge pluridisciplinaire.

 

TLM : En quoi consiste la prise en charge pluridisciplinaire au stade chronicité ?

Pr Audrey Petit : Elle repose notamment sur le reconditionnement à l’effort du patient pour améliorer la condition physique globale et plus particulièrement du rachis (renforcement musculaires, assouplissement, proprioception, capacité cardio-respiratoire, etc.) et le rendre autonome dans sa prise en charge. Un accompagnement psychologique, social, diététique et/ou professionnel peuvent être proposés. Ces programmes durent en général trois à cinq semaines, en hospitalisation complète ou en hospitalisation de jour, sur des demi-journées ou des journées entières ; ils peuvent être hospitalo-centrés ou être organisés en libéral... selon les pratiques et les moyens locaux. Attention, ce n’est pas une baguette magique ! On ne règle pas un problème de dos qui dure depuis plusieurs années en quelques semaines. Pour sortir de la chronicité, le patient doit s’engager à poursuivre ses efforts et entretenir sa condition physique du dos, sur la durée après le programme.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

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