• Pr Perlemuter: Syndrome de l’intestin irritable: Zoom sur le rôle du microbiote intestinal

Gabriel Perlemuter

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 17/01/2023


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« De l’alimentation aux facteurs extra-digestifs en passant par le microbiote et les bactéries, la prise en charge du Syndrome de l’intestin irritable est multifactorielle », indique le Pr Gabriel Perlemuter, chef du service Hépato-Gastroentérologie et Nutrition à l’hôpital Antoine-Béclère (Clamart) - Université Paris-Saclay - Inserm U996 - Inflammation, microbiome et immunosurveillance.

 

TLM : Comment diagnostiquer le syndrome de l’intestin irritable (SII) ?

Pr Gabriel Perlemuter : À l’examen clinique s’ajoutent les critères de Rome IV basés sur les symptômes. Ils nécessitent la présence d’au moins deux des trois critères suivants : douleurs lors de la défécation, modification de la fréquence des selles, ou modification de la forme (apparence) des selles. A quoi s’associe une douleur abdominale qui doit être présente depuis au moins six mois et survenir au moins un jour par semaine durant les trois derniers mois.

 

TLM : Quelles en sont les causes et les mécanismes ?

Pr Gabriel Perlemuter : Le SII est un trouble de l’interaction intestin-cerveau. Les causes en sont multiples et peuvent s’associer. Elles peuvent être psychologiques, neurologiques avec une hypersensibilité digestive, immunologiques avec une modification de l’immunité de la muqueuse digestive, ou hormonales. Le microbiote peut intervenir dans l’ensemble de ces causes : micro-inflammation locale, anomalies au niveau des acides biliaires, connexion entre le tube digestif et le cerveau. Nous savons que ces mécanismes multiples provoquent le développement d’un SII même si nous n’en connaissons pas encore tous les détails.

 

TLM : Quel est le rôle précis du microbiote intestinal ?

Pr Gabriel Perlemuter : Il n’est pas encore bien connu. Le microbiote intestinal peut être, par exemple, à l’origine de fermentation, de production de gaz engendrant des douleurs, des ballonnements, une distorsion du tube digestif et un ralentissement du transit. Il peut modifier la composition des acides biliaires entraînant une diarrhée ou encore celle des métabolites. Il intervient également dans la synthèse de neurotransmetteurs permettant à l’intestin et au cerveau de communiquer par le nerf vague : GABA, sérotonine, dopamine notamment. Le nerf vague participant également à la motricité digestive et à la digestion.

En humanisant des souris, des techniques de transplantation fécale ont permis de prouver son implication. En effet, en recevant des selles de patients souffrant d’un intestin irritable avec diarrhée, ces souris ont subi une altération de leur transit ainsi qu’une modification de leur immunité.

Elles ont de plus adopté un comportement témoignant de la présence d’une anxiété.

 

TLM : Quelle est la prise en charge du SII ?

Pr Gabriel Perlemuter : La prise en charge d’un SII peut être très difficile. Elle doit être globale : de l’alimentation aux facteurs extra-digestifs en passant par le microbiote et les bactéries. Une première consultation peut durer jusqu’à une heure, ce qui peut être compliqué en médecine de ville. Mon approche est holistique : il convient de se défocaliser du tube digestif. Je dis souvent à mes patients que l’interaction entre le cerveau et le tube digestif est telle qu’il faut les reconnecter. Or, si vous annoncez au patient : « Vous souffrez du ventre mais votre fibroscopie et votre coloscopie sont normales, c’est donc psychologique », vous coupez le contact avec eux puisque leur douleur, motif de la consultation, est bien réelle. Concernant l’alimentation, celle-ci doit être modifiée en supprimant en particulier les FODMAP (Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides, Polyols). Des compléments alimentaires, comme les probiotiques ou la glutamine (acide aminé), peuvent être efficaces et calmer les douleurs abdominales.

Quel est le rôle des probiotiques ?

 

TLM : Dans ses dernières recommandations pratiques, la Société nationale française de gastro-entérologie (SNFGE) mentionne l’intérêt de souches bactériennes telles que Bifidobacterium infantis…

Pr Gabriel Perlemuter : Dans leur définition, les probiotiques sont des micro-organismes vivants (bactéries ou levures) qui, donnés en quantité suffisante à un individu en bonne

santé, vont avoir un effet bénéfique. In vitro, les probiotiques ont un effet antiinflammatoire et in vivo, dans des modèles animaux, ils modifient certains métabolites bactériens. Par ces mécanismes, nous anticipons qu’ils ont un effet bénéfique chez l’homme, ce qui est plus compliqué à prouver car le SII humain est multifactoriel. Les probiotiques peuvent également diminuer le niveau d’anxiété. Des sociétés savantes les conseillent, d’autres non. Dans mon expérience, le fait qu’un probiotique puisse améliorer le confort des patients est évident.

 

TLM : Quelles sont les voies de recherche prometteuses ?

Pr Gabriel Perlemuter : Travailler sur les bactéries et le microbiote intestinal est fondamental.

À partir du moment où le microbiote a un rôle, il faudrait pouvoir le modifier de façon moins agressive que la greffe fécale. En effet, celle-ci doit être répétée sur le long terme et ne peut pas être prescrite à un nombre important de patients ayant un SII. D’autre part, si elle fonctionne bien dans les colites à Clostridiodes, une affection aiguë, les résultats des études sont contradictoires pour le SSI qui est une maladie chronique. Et ce pour différentes raisons (donneurs, receveurs…). Ainsi, son efficacité dans les études cliniques n’est pas évidente.

Peut-être que des probiotiques de nouvelles générations ou des associations de probiotiques ou encore des postbiotiques (métabolites issus de la dégradation des fibres par les bactéries) seront dotés de propriétés supplémentaires et auront des effets plus puissants. Je pense également que la recherche doit s’orienter vers une prise en charge multifactorielle, globale des patients à la fois gastroentérologique, du microbiote et extradigestive en particulier pour les hypersensibles et les personnes qui ont subi des traumatismes.

Propos recueillis

par Alexandra Cudsi

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