• Pr. PERLEMUTER : Syndrome de l’intestin irritable: la piste du microbiote

Gabriel PERLMUTER

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 01/02/2021


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LM : Quelle est la prévalence actuelle du SII ?
Pr Gabriel Perlemuter :
Le Syndrome de l’intestin irritable (SII) est le plus fréquent des troubles fonctionnels intestinaux. Il affecte entre 5 à 10 % de la population adulte, majoritairement des femmes, et peut avoir un fort impact sur la qualité de vie des patients. Connaît-on mieux aujourd’hui les facteurs en cause ?

Oui. Les progrès accomplis ces dernières années ont permis de mieux comprendre la physiopathologie de ce trouble fonctionnel chronique. Aux étiologies classiques que sont les troubles de la motricité, l’hypersensibilité viscérale médiée par une activation immunitaire et/ou une augmentation de la perméabilité intestinale et la susceptibilité psychologique individuelle s’ajoutent désormais d’autres pistes physiopathologiques : l’excès d’acides biliaires et un déséquilibre du microbiote intestinal. Le SII est donc une affection multifactorielle et cette compréhension plus large a permis de faire évoluer les pratiques.

Quels sont les critères diagnostiques du SII ?
Le diagnostic de SII est clinique. Il repose sur l’association de douleurs abdominales chroniques, de ballonnements et de troubles du transit à type de diarrhée, de constipation ou d’alternance des deux, après avoir écarté bien sûr des causes organiques potentielles (hyperthyroïdie, dépression, colite inflammatoire...). A noter que les critères de Rome (Rome IV), actualisés en 2016, sont en fait surtout destinés aux publications scientifiques.

Comment prendre en charge ces patients ?
Tout d’abord, il est fondamental d’écouter le patient et de ne pas sous-estimer le retentissement, souvent impor-
tant, du SII dans sa vie quotidienne et professionnelle. Le traitement repose essentiellement sur une modification de l’alimentation, qui sera modulée en fonction de l’évolution des symptômes : le plus souvent, il s’agit de réduire les fermentations digestives et d’utiliser la micronutrition, probiotiques ou postbiotiques.

En ce qui me concerne, j’évite dans tous les cas de psychiatriser les patients. On connaît l’importance d’éventuels traumatismes antérieurs, physiques ou psychiques, dans le SII. L’expérience m’a appris qu’une seconde population est également exposée : les personnalités hypersensibles comme les artistes, qui ressentent avec acuité leur environnement mais aussi leurs propres sensations corporelles. Pour gérer en douceur l’anxiété des patients, je travaille en collaboration avec des sophrologues, des psychologues, des hypnothérapeutes. C’est donc une prise en charge globale,plusholistique,quejepropose.

Et concernant les traitements médicamenteux ?
Je prescris peu de traitements symptomatiques : antispasmodiques, trimébutine en cas de forte constipation, charbon chez certains patients très météorisés, cholestyramine en cas de forte diarrhée biliaire, parfois lopéramide, si possible à doses pédiatriques. Le régime et les compléments alimentaires restent en fait primordiaux et, plutôt que de prescrire des anxiolytiques ou des antidépresseurs, je préfère par exemple les probiotiques.

Que sait-on, plus précisément, du rôle du microbiote dans le SII ?
Les nouvelles techniques de biologie moléculaire ont permis de mettre en évidence un déséquilibre du microbiote intestinal (dysbiose) chez deux tiers des personnes atteintes de SII. Le mécanisme précis par lequel cette dysbiose engendre les symptômes commence à être connu et s’avère particulièrement complexe. Les bactéries intestinales peuvent par exemple présenter une fermentation accrue avec production excessive de gaz, du méthane chez les constipés par exemple, ou encore altérer le métabolisme des acides biliaires au niveau intestinal.

Des études in vitro et sur les modèles animaux ont clairement établi l’action de certaines souches bactériennes, par exemple anti-inflammatoire. Les résultats sont pour l’instant moins probants en clinique humaine car il est toujours difficile d’intégrer des critères psychologiques dans les études randomisées. Cependant, certaines publications montrent d’ores et déjà que, en fonction de la dysbiose observée, on peut prédire la réponse des patients au FODMAP (Fermentable Oligo-, Di-, Monosaccharides And Polyols), du moins sur le plan statistique.

Quid des probiotiques ? Dans ses dernières recommandations pratiques, la Société nationale française de gastro-entérologie (SNFGE) mentionne l’intérêt de souches bactériennes comme Bifidobacterium infantis... 
Bifidobacterium infantis est une des souches que je prescris et qui permet effectivement d’améliorer un certain nombre de patients. En fonction de l’évolution des symptômes, il convient cependant d’adapter les souches sur le long terme. Ces nouveaux traitements probiotiques sont donc fort utiles pour notre pratique. Ils élargissent notre arsenal thérapeutique et nous permettent, conjointement au régime alimentaire, de gérer au plus près la symptomatologie mouvante de cette affection chronique. La recherche doit bien sûr se poursuive pour améliorer encore la prise en charge et, en matière de microbiote, elle s’avère particulièrement riche.

Propos recueillis par Elvis Journo

 

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