• Pr PERLEMUTER : Les promesses thérapeutiques fondées sur le microbiote intestinal

Gabriel PERLEMUTER

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 11/04/2022


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Les recherches sur le microbiote intestinal et son rôle dans le développement de nombreuses maladies laissent envisager de nouvelles approches thérapeutiques. Le point avec le Pr Gabriel Perlemuter*, chef du service Hépato-Gastro-entérologie et Nutrition à l’hôpital Antoine-Béclère (Clamart).

 

TLM : Comment savoir si l’on est en présence d’un bon ou d’un mauvais microbiote intestinal ?

Pr Gabriel Perlemuter : Il n’existe pas de signes spécifiques qui permettent de s’en assurer, dans un sens comme dans l’autre. Nous pouvons nous baser seulement sur des indices : une personne en bonne santé a probablement un microbiote sain, une personne malade probablement un microbiote délétère. Les tests qui proposent une analyse complète des bactéries intestinales ne répondent pas non plus à cette question car, pour l’heure, nous ne pouvons pas interpréter les résultats individuellement ni en tirer des conclusions.

 

TLM : Quelles mesures mettre en place pour prendre soin de son microbiote intestinal ?

Pr Gabriel Perlemuter : Principalement des mesures alimentaires, en surveillant les apports en hydrates de carbone donc tous les féculents (pain, pâtes, riz, pommes de terre, petit pois) et les jus de fruits, en évitant les aliments riches en graisses saturées, les aliments transformés et ceux qui contiennent des émulsifiants ou des édulcorants. L’alcool est également un grand pourvoyeur de dysbioses. A l’inverse, les fibres nourrissent et favorisent la croissance de bonnes bactéries. Tous les légumes verts sont bénéfiques (brocolis, haricots verts, courgettes), ainsi que les fruits frais. D’autres prébiotiques favorisent un bon microbiote : l’ail, l’oignon, le persil. Certains médicaments en vente libre ont un effet délétère sur le microbiote intestinal. C’est le cas des inhibiteurs de la pompe à protons. Ils ne doivent être pris que sur des temps courts et quand c’est absolument nécessaire.

 

TLM : Quelles pathologies sont liées à une dysbiose ?

Pr Gabriel Perlemuter : Le microbiote intestinal joue des rôles tellement importants qu’il est possible que toutes les maladies soient associées à une dysbiose. Les plus prévalentes, pour lesquelles un lien de causalité a été établi, sont les maladies métaboliques (diabète, dyslipidémies, obésité, surpoids), les maladies du foie, du tube digestif (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn, syndrome de l’intestin irritable), certaines maladies psychiatriques (dépression, troubles du spectre autistique) et inflammatoires.

Certaines maladies auto-immunes et même certains cancers (colorectal notamment) sont aussi liés à des dérèglements du microbiote intestinal.

Les mécanismes en cause sont nombreux, mais globalement il en est deux qui sont à retenir. Tout d’abord l’augmentation de la perméabilité intestinale favorise le passage dans la circulation sanguine, et jusqu’au foie, de composés bactériens. Le second mécanisme implique les métabolites directement fabriqués par les bactéries intestinales et qui passent dans le sang, cette fois indépendamment d’une hyper-perméabilité. Selon la composition du microbiote et donc la nature des composés bactériens ou des métabolites circulants, une inflammation ou une maladie peut apparaître. Bien évidemment, les dysbioses ne sont pas la seule cause, il s’agit d’un acteur parmi d’autres. Mais c’est un acteur sur lequel on peut jouer et qui a donc un grand intérêt préventif.

 

TLM : Ces récentes découvertes se sont-elles traduites par des avancées thérapeutiques ?

Pr Gabriel Perlemuter : Dans la pratique médicale courante, une seule maladie inclut un traitement de dysbiose dans sa prise en charge thérapeutique avec une transplantation de matières fécales, la colite à Clostridium difficile. Plusieurs protocoles de recherche comprennent également un traitement du microbiote, pour soigner les colites inflammatoires, les rejets après greffe de moelle et la présence de bactéries multirésistantes. Ces traitements ne sont pas encore recommandés en pratique clinique par les sociétés savantes. Beaucoup de recherches se penchent aussi sur les bienfaits des probiotiques pour jouer sur l’état du microbiote. Là encore, pour l’instant, aucun protocole thérapeutique n’inclut ces compléments alimentaires.

 

TLM : Les probiotiques sont-ils tout de même utiles dans la prise en charge de ces maladies ?

Pr Gabriel Perlemuter : Ils sont très utiles en prévention, même si peu de recommandations officielles les mentionnent. Par exemple, on peut recommander un probiotique comme la levure Saccharomyces boulardii pour prévenir la colite à Clostridium difficile en cas de traitement antibiotique. Dans la pratique, il est intéressant de considérer les compléments de probiotiques et de prébiotiques à bien des niveaux. J’en prescris lors d’atteintes hépatiques liées au surpoids, d’atteintes hépatiques liées à l’alcool quand elles ne sont pas trop graves, de syndromes de l’intestin irritable ou de colites inflammatoires. Dans le cadre d’une médecine préventive, ils peuvent se substituer aux anxiolytiques.

Cela implique toutefois de parler longuement avec le patient, pour s’assurer que les probiotiques lui seront bénéfiques, dans le cadre d’une prise en charge plus globale. En ce qui concerne les différentes souches, les possibilités sont vastes. A titre d’exemples, Bifidobacterium langum, Lactobacillus helveticus et Lactobacillus rhamnosus sont souvent citées dans les études sur l’anxiété, Hafnia alvei dans celles sur le surpoids.

 

TLM : Quels progrès peut-on attendre à court et moyen terme ?

Pr Gabriel Perlemuter : Les connaissances ont déjà connu des avancées spectaculaires, principalement sur les mécanismes d’apparition des maladies. Nous sommes en droit d’attendre encore de grands progrès à travers les recherches sur le microbiote intestinal, dans la compréhension des maladies psychiatriques, des maladies du foie et des maladies métaboliques. Transformer ces connaissances en traitements sera plus complexe et prendra sûrement encore un peu de temps. En revanche, nous sommes susceptibles d’avancer beaucoup plus vite en ce qui concerne les pronostics des traitements existants et la médecine prédictive individuelle. Les dernières publications sur le sujet, dans le traitement de cancers, sont assez impressionnantes. On y apprend que, en fonction de son microbiote, on répondra plus ou moins bien à une immunothérapie anti-cancéreuse. Il est donc légitime d’espérer qu’en améliorant l’état du microbiote, on améliorera aussi les réponses aux traitements anticancéreux. D’autres recherches similaires laissent entrevoir de meilleurs pronostics dans le traitement de maladies du foie via une prise en charge du microbiote intestinal.

Propos recueillis

par Violaine Badie

* A lire, du Pr Gabriel Perlemuter :

• « Les pouvoirs cachés du foie ». Flammarion/Versilio.

• « Stress, hypersensibilité, dépression... Et si la solution venait de nos bactéries. »

Flammarion/Versilio.

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