• Pr Patrick Tounian : Les régurgitations du nourrisson, un phénomène banal et physiologique

Patrick Tounian

Discipline : Pédiatrie

Date : 17/01/2023


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Tous les enfants régurgitent plus ou moins. C’est physiologique.

Et pourtant, nombreux sont les parents qui s’inquiètent. La réponse n’est pas forcément médicamenteuse, insiste le Pr Patrick Tounian, pédiatre, chef du service de Nutrition et de Gastroentérologie de l’hôpital Trousseau à Paris.

 

TLM : Comment différencie-t-on la régurgitation du vomissement ?

Pr Patrick Tounian : Rappelons que la régurgitation concerne les nourrissons. C’est un rejet spontané et de petit volume du lait bu. Un surplus qui remonte tout seul ! Le vomissement arrive après une prédigestion. Le reflux est beaucoup plus important et nécessite un effort. Toutefois, ces deux notions restent très théoriques car en pratique elles ne sont pas très différentes.

 

TLM : Quelles sont les causes qui engendrent les régurgitations ?

Pr Patrick Tounian : La principale est due à une immaturité du système anti-reflux. Avant six mois, le clapet, dont le rôle est d’éviter que le contenu de l’estomac remonte vers l’œsophage et soit éjecté par la bouche, n’est pas encore très efficace.

Par ailleurs, le nourrisson a une alimentation uniquement liquide. Et par rapport à son poids, il absorbe des gros volumes. Par exemple : 200 ml de biberon pour un bébé de six kilos sont l’équivalent de deux litres bus d’une seule traite chez un adulte de 60 kilos.

Avec une telle quantité, vous auriez vous aussi des régurgitations !

 

TLM : Un bébé qui régurgite beaucoup risque-t-il de se retrouver sous-alimenté ?

Pr Patrick Tounian : Je vous le rappelle, la régurgitation concerne tous les nourrissons et doit être considérée comme banale et physiologique. De plus, les quantités régurgitées sont très faibles. Donc, il n’y a pas de risque de sous-alimentation, sauf pour de très rares complications considérées comme pathologiques.

 

TLM : Quelles sont-elles ?

Pr Patrick Tounian : Devant des régurgitations importantes qui perdurent et s’accompagnent d’une cassure pondérale ou qui semblent résister au traitement par épaississement des biberons, il faut évoquer l’allergie au lait de vache (APLV). Elle se manifeste par une réaction anormale du système immunitaire du bébé face aux protéines présentes dans le lait de vache.

Pour diagnostiquer efficacement la maladie, il convient d’exclure ces dernières pendant quelques jours (deux semaines maximum) et de les remplacer par un hydrolysat extensible du lait de vache ou un hydrolysat de riz. Dès la première semaine, les régurgitations doivent disparaître ou s’améliorer de manière très significative. Dans le cas contraire, on reprend le lait de vache. Autre possibilité : il ne faut pas négliger les régurgitations qui entraînent des fausses routes, des complications respiratoires ou ORL de type otite, laryngite, toux ou s’il y a une perte de poids significative et des saignements dans les vomissements. Enfin, dans des cas extrêmement rares, cela peut être une œsophagite, une irritation de l’œsophage. Mais, le plus souvent, c’est le seuil de tolérance parentale qui est en cause. Lorsque c’est un premier enfant, la régurgitation est mal tolérée. Et ce n’est pas nouveau. Il y a trente ans, jeune pédiatre, je m’étonnais auprès de mon chef de service de la recrudescence des régurgitations. Trente ans plus tard, rien n’a changé. À noter toutefois que les parents de famille nombreuse s’inquiètent beaucoup moins !

 

TLM : Donc, hormis les complications mentionnées, il n’y a pas lieu de s’inquiéter…

Pr Patrick Tounian : De manière provocatrice, j’ai envie de répondre : absolument. Cet affolement majeur autour des régurgitations, y compris des médecins, avec une surprescription d’endoscopies n’est pas justifié. L’œsophagite chez le nourrisson est exceptionnelle. Dans mon expérience de 32 ans, je peux les compter sur les doigts d’une main, et encore, dans mes premières années de pratique, j’ai dû me tromper ! Trop de praticiens et patients font de l’adultomorphisme. Le reflux est fréquent chez l’adulte, en particulier à partir d’un certain âge. C’est désagréable et douloureux. Et comme les enfants régurgitent et pleurent, on fait un lien entre les adultes et les bébés.

 

TLM : Quelles sont les solutions pour les soulager ?

Pr Patrick Tounian : Chez les enfants allaités au sein, il n’y en a pas. Il faut le laisser régurgiter, car dans la majorité des cas, ces régurgitations sont sans complication. Cela serait dommage de compromettre l’allaitement en proposant des médicaments. À proscrire absolument : tirer le lait et l’épaissir. Chez l’enfant au biberon, le seul « traitement » repose sur un lait AR anti-régurgitation, épaissi avec de l’amidon ou de la caroube. Dans les formes extrêmement sévères, et heureusement très rares, des solutions thérapeutiques peuvent être prescrites mais uniquement par des spécialistes. Parmi celles-ci : le Béthanéchol, un parasympathomimétique, qui augmente la pression à l’intérieur de l’œsophage. Également le Baclofène, dont les propriétés prokinétiques diminuent les régurgitations. En revanche, je m’insurge contre l’utilisation des IPP (les inhibiteurs de la pompe à protons). Ce sont des médicaments qui inhibent la sécrétion d’acide gastrique. Leur prescription excessive est d’autant moins justifiée qu’il n’y a pas d’autorisation de mise sur le marché de ce médicament avant l’âge d’un an.

 

TLM : Existe-t-il différents profils de nourrissons régurgiteurs ?

Pr Patrick Tounian : Il y a les « régurgiteurs heureux ». Ils régurgitent, parfois beaucoup, voire plusieurs fois par jour, mais restent parfaitement en forme et souriants. Ce sont souvent des gros mangeurs qui se soulagent du trop plein !

Et puis, il y a ceux qui régurgitent et pleurent. On a tendance à associer régurgitations et pleurs. Alors que le lien de cause à effet est probablement très faible, voire inexistant. Sauf si l’enfant est surpris ou que le liquide lui remonte dans le nez. Mais ce n’est évidemment pas systématique. Dans ma pratique, ce sont les mêmes enfants qui, en grandissant, sont turbulents, hurlent quand on les examine, « démontent » la salle d’attente... Il ne faut pas oublier que leur seul moyen de s’exprimer est le pleur.

 

TLM : Le stress peut-il avoir une incidence ?

Pr Patrick Tounian : Si les parents sont stressés, ils risquent de transmettre leur inquiétude à leur bébé. L’enfant le ressentira et cela peut expliquer en partie les pleurs.

Propos recueillis

par Bénédycte Transon de Puyraimond

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