• Pr Patrice Fardellone : La vitamine D, pour limiter le risque fracturaire

Patrice Fardellone

Discipline : Rhumato, Orthopédie, Rééduc

Date : 10/01/2024


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Responsable de 90 000 fractures chaque année en France — dont un quart conduisent au décès dans l’année qui suit —, l’ostéoporose reste très insuffisamment prise en charge, s’inquiète le Pr Patrice Fardellone, PU-PH de Rhumatologie au Centre hospitalier universitaire d’Amiens. La prise de vitamine D peut pourtant participer à la lutte pour empêcher d’en arriver à de telles situations.

 

TLM : L’ostéoporose est-elle toujours aussi insuffisamment prise en charge en France ?

Pr Patrice Fardellone : On est très loin des objectifs que l’on devrait atteindre.

Depuis 7-8 ans, le nombre de traitements anti-ostéoporotiques initiés baisse de 5 à 6 % chaque année ; aujourd’hui, on estime que 80 % des personnes ostéoporotiques fracturées ne sont pas traitées. L’ostéoporose est pourtant une maladie grave, responsable de fractures sévères (col du fémur, bassin et extrémité proximale de l’humérus), dont un quart entraînent le décès du patient dans l’année qui suit pour ce qui est des fractures du col du fémur. Chez les femmes ménopausées, de loin les plus concernées (on compte 2 hommes pour 10 femmes touchées), la mortalité annuelle à la suite d’une fracture ostéoporotique est supérieure à la mortalité par cancer du sein ! Et la situation ne va pas s’améliorer avec le vieillissement de la population. Avec 90 000 fractures ostéoporotiques du col du fémur chaque année, l’ostéoporose est également un important problème de santé publique d’un point de vue financier puisque le coût lié aux opérations et aux traitements est d’environ 6 milliards d’euros par an.

 

TLM : D’où vient ce manque d’intérêt à l’égard de l’ostéoporose ?

Pr Patrice Fardellone : Il est dû en partie au manque de formation et de motivation des médecins, très probablement — très peu d’heures d’enseignement sont consacrées à cette problématique au cours de l’ensemble du cursus des futurs praticiens —, phénomène auquel il faut ajouter une peur excessive des effets indésirables des traitements, pourtant très rares, et un « ostéoporose bashing » médiatique très préjudiciable pour les patients. Les gros laboratoires, quant à eux, ne s’y intéressent plus depuis que les brevets de leurs médicaments sont tombés dans le domaine public. Par ailleurs, des campagnes de sensibilisation avaient été initiées début 2020, comme dans les Hauts-de-France, mais le Covid les a faites passer au second plan.

 

TLM : Quel doit être le rôle du médecin généraliste à l’égard de l’ostéoporose ?

Pr Patrice Fardellone : Plutôt qu’attendre que son patient, une femme ménopausée le plus souvent, se fracture un os, il doit essayer d’intervenir avant, en prévention. Pour cela, il doit chercher à savoir si elle présente des facteurs de risque, en premier lieu desquels une fracture qu’elle n’aurait pas signalée par oubli, déni ou négligence. Il doit également la mesurer tous les ans et s’assurer que sa taille reste constante : une perte de plus de 2 centimètres doit amener le praticien à rechercher une fracture vertébrale sous-jacente via une radiographie.

Compte tenu du nombre de vertèbres, il s’agit de la fracture ostéoporotique la plus fréquente ; elle se caractérise par son aspect cunéiforme qui entraîne une voussure du dos — les Anglo-Saxons l’appellent « witch back » (dos de sorcière). Si l’on considère les fractures site par site, en revanche, ce sont les fractures périphériques qui surviennent le plus fréquemment. Elles sont généralement traitées aux urgences où les os sont réparés sans que la maladie en cause n’ait été recherchée la plupart du temps. Ce qui contribue à la faible prise en charge de l’ostéoporose. Pour pallier cette insuffisance, certains hôpitaux ont développé des filières fracturaires en dédiant du personnel (IDE, ARC, médecin...) pour repérer, aux urgences, les patients susceptibles de présenter une ostéoporose. Un rendez-vous médical leur est ensuite proposé avec densitométrie. On compte aujourd’hui 56 filières de ce type, contre seulement 26 il y a huit ans en France.

 

TLM : Quelle est la place de la vitamine D vis-à-vis de l’ostéoporose ? Doit-on la prescrire en prévention ou en traitement ?

Pr Patrice Fardellone : Cette vitamine — qui n’en est pas une en réalité car essentiellement fabriquée par notre organisme sous l’influence des rayons du soleil —, peut être prescrite, sans dosage, aux personnes en bonne santé mais qui présentent un risque de carence : durant l’hiver à tous les habitants qui vivent dans la moitié Nord de la France où le soleil brille moins souvent, les personnes de plus de 65 ans, celles qui ont la peau foncée, celles qui portent un voile et qui ne synthétisent pas la vitamine D, celles dont les besoins sont augmentés (enfants et adolescents), et les femmes enceintes au début du troisième trimestre de gestation, conformément aux recommandations des sociétés savantes de gynécologie et d’obstétrique.

Par contre elle doit être prescrite après un dosage chez les patients ostéoporotiques qui pourront bénéficier d’un traitement d’attaque si les valeurs le justifient.

 

TLM : À quoi sert exactement cette vitamine ?

Pr Patrice Fardellone : Des essais thérapeutiques ont montré qu’elle diminuait le risque de maladie dans trois situations : les personnes âgées institutionnalisées pour éviter le risque d’une fracture périphérique, les personnes âgées pour réduire l’incidence des chutes et encore pour diminuer la survenue d’une infection respiratoire aiguë. D’autres travaux ont également établi un lien entre une carence en vitamine D et l’augmentation du risque de maladies auto-immunes, de maladies infectieuses, et de maladies musculaires, mais aucune n’a prouvé qu’une supplémentation en vitamine D prévenait ces maladies ; elle est néanmoins conseillée.

 

TLM : Le débat concernant la fréquence de sa prise a-t-il été tranché ?

Pr Patrice Fardellone : En traitement d’entretien, la prescription d’une seule dose massive par an a été abandonnée au vu des mauvais résultats de cette approche liée, paradoxalement, à la transformation de l’afflux massif de vitamine D en une forme inactive. Une supplémentation tous les trois mois entraîne, quant à elle, trop de fluctuations du taux sérique de 25-(OH)vitamineD, la forme circulante de la vitamine D témoignant du statut adéquat ou non. Idéalement, la prise journalière est celle qui donne les meilleurs résultats, mais pour plus de facilité, on recommande une prise mensuelle de 50 000 UI.

 

TLM : Et en traitement d’attaque ?

Pr Patrice Fardellone : Un dosage est nécessaire avant d’initier le traitement pour adapter sa durée et atteindre la valeur cible de 30 ng/l (ou 75 nmol/l). Ce dosage n’est remboursé que dans certaines situations cliniques comme l’ostéoporose. La posologie est de 50 000 UI toutes les semaines pendant quatre semaines si le taux de 25-(OH)vitamine D est compris entre 20 et 30 ng/l, ou pendant huit semaines s’il est inférieur à 20 ng/l. Ce traitement est prolongé par un traitement d’entretien d’une dose de 50 000 UI par mois à vie. Un contrôle réalisé à trois ou six mois permet de s’assurer que l’objectif a été atteint. Si la prise en charge du patient comprend un traitement ostéoporotique, une supplémentation en vitamine D doit également être prescrite pour potentialiser ses effets, et idéalement associée à une supplémentation en calcium.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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