• Pr Pascal Demoly : Des traitements mieux tolérés contre les allergies aux acariens

Pascal Demoly

Discipline : Allergologie

Date : 17/01/2023


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Le développement d’immunothérapies allergéniques en comprimés sublinguaux est nouveau. Des produits efficaces, d’où l’intérêt pour les praticiens de se former à l’utilisation de ces nouvelles thérapeutiques, propose le Pr Pascal Demoly, responsable du service Pneumologie, Allergologie et Oncologie thoracique au CHU de Montpellier et président de la Société française d’allergologie.

 

TLM : Quelles sont les données épidémiologiques ?

Pr Pascal Demoly : L’allergie aux acariens est la première cause d’allergies respiratoires (conjonctivite, rhinite allergique et asthme) dont les prévalences varient selon les régions et les tranches d’âge. Près d’un tiers des Français sont allergiques, et parmi ceux-ci la moitié le sont aux acariens.

 

TLM : L’allergie aux acariens doit-elle être considérée comme un syndrome global ?

Pr Pascal Demoly : Oui, l’allergie aux acariens atteint tout l’arbre respiratoire et provoque également certaines formes d’eczéma.

Les complications à très long terme de cette inflammation, notamment cardiovasculaires, neurologiques, ne sont que récemment envisagées.

 

TLM : Que savons-nous des allergènes provenant des acariens ? Quels sont les mécanismes immunologiques à l’œuvre ?

Pr Pascal Demoly : Il existe des milliers d’acariens et des dizaines d’allergènes. Du point de vue moléculaire, les allergènes sont classés par groupes. Une trentaine ont été identifiés à ce jour. Les plus problématiques, dits majeurs, sont les groupes 1 (Dermatophagoides pteronyssinus) et 2 (Dermatophagoides farinae). Les allergènes sont des activateurs du système immunitaire à la fois spécifiques, provoquant une sensibilisation à l’allergie comme le groupe 1, et non spécifiques générant une inflammation locale, comme le groupe 2. Ce sont des allergènes complets induisant à la fois un signal inflammatoire et un signal de prise en charge immunologique. En effet, la présentation antigénique nécessite deux signaux : le « signal danger » (allergènes du groupe 2) et un signal de reconnaissance immunologique permettant d’activer l’immunité spécifique (allergènes du groupe 1, notamment). En immunologie, la découverte de ce double signal a constitué une grande avancée.

 

TLM : Quelle est la prise en charge de l’allergie aux acariens ?

Pr Pascal Demoly : Les médecins généralistes et les pharmaciens sont en première ligne dans la prise en charge des rhinites allergiques qui surviennent de façon précoce dans la vie des patients. Cette maladie altère la qualité de vie, le sommeil et les performances scolaires ou professionnelles. Des données montrent que les formes sévères de rhinite seraient une cause d’accidents de la route du fait de la diminution de la veille et de la vigilance. La prise en charge des allergies aux acariens est de trois types.

Elle repose sur l’éviction des acariens, le traitement des symptômes et l’immunothérapie allergénique (ITA). L’éviction des acariens est efficace si elle est précoce, complète et prolongée. Mais, en pratique, réunir ces trois critères s’avère difficile. Les symptômes (éternuements, écoulement nasal, obstruction nasale, larmoiement ou démangeaisons oculaires, poussées d’eczéma et asthme associé, le cas échéant) sont pris en charge, quelle que soit la cause, par les traitements médicamenteux classiques (antihistaminiques, corticoïdes par voie nasale, gouttes oculaires, traitement de l’asthme). L’allergie aux acariens est saisonnière dans certaines régions (sud) et perannuelle ailleurs et connaît un pic à la saison de l’automne, responsable d’hospitalisations chez les asthmatiques. Selon l’intensité de la maladie, le traitement symptomatique peut être prescrit à vie. L’ITA est le seul traitement capable de modifier le statut immunitaire du patient allergique offrant ainsi un espoir de rémission.

Phylogénétiquement, les acariens ayant existé bien avant les êtres humains, notre système immunitaire est censé les tolérer naturellement. Les ITA existent depuis plus de cent ans. En effet, au début du XXᵉ siècle, il avait été découvert que le système immunitaire pouvait être rééduqué par des injections de fortes doses d’allergènes puis, à partir des années 80, par leur ingestion. Dans le monde, les ITA sous-cutanées sont les formes les plus utilisées, mais en France elles ont été déremboursées en 2018 pour des raisons de sécurité (anaphylaxie) au profit de formes sublinguales (en gouttes et, désormais, en comprimés).

 

TLM : Quel est l’intérêt des formes sublinguales ?

Pr Pascal Demoly : La forme sublinguale comporte plusieurs avantages. Elle provoque, d’une part, beaucoup moins d’effets secondaires que la forme injectable. L’anaphylaxie reste cependant bien exceptionnelle. D’autre part, dans la cavité buccale, les cellules présentatrices de l’antigène sont extrêmement tolérogènes. Ce mécanisme d’éducation du système immunitaire par voie buccale et digestive est connu depuis longtemps, notamment avec la diversification alimentaire du jeune enfant. Le principe est de l’utiliser pour les allergènes habituellement respirés.

 

TLM : Quels sont les nouveautés en termes de traitements ?

Pr Pascal Demoly : En France, deux industriels, Stallergènes Greer et ALK, produisent les ITA. Le traitement en gouttes est un produit APSI (allergènes préparés spécifiquement pour un individu) géré par un article du code de la santé publique. Le développement de formes lyophilisées d’ITA en comprimés sublinguaux est une nouveauté. Cette forme galénique est plus facile à utiliser que celle en gouttes devant être conservée dans le réfrigérateur.

Deux marques sont aujourd’hui disponibles : l’Acarizax (ALK) et l’Orylmyte (Stallergènes Greer) qui vient d’être lancé. Ces produits ont eu un développement complet avec des phases II et III, ce qui leur a permis d’obtenir chacun une autorisation de mise sur le marché.

Ces ITA sont développées à partir des mêmes acariens cultivés pour les prick-tests servant au diagnostic, ce qui est également intéressant du point de vue de l’éducation thérapeutique du patient. Les médecins généralistes peuvent prescrire ces traitements disponibles en pharmacie.

Ces ITA étant efficaces, je les invite à se rapprocher, s’ils ne l’ont pas déjà fait, de leur confrères allergologues afin de se former à l’utilisation de ces nouvelles thérapeutiques.

Propos recueillis

par Alexandra Van der Borgh

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