Pr Olivier Hanon : Le rôle décisif des antagonistes calciques (DHP) dans le suivi de l’HTA
Discipline : Cardiologie
Date : 08/07/2024
Dans la prise en charge de l’HTA, « les dihydropyridines (DHP) ont une double action de baisse tensionnelle et de neuroprotection spécifique », souligne le Pr Olivier Hanon, cardiologue et gériatre à l’hôpital Broca à Paris et président du Comité de lutte contre l’hypertension artérielle.
TLM : Quelle est la place des dihydropyridines (DHP) dans le traitement antihypertenseur ? Dans quels cas les privilégier ?
Pr Olivier Hanon : Le grand bénéfice des antagonistes calciques, les DHP, est leur efficacité et leur bonne tolérance. Ils sont utilisés soit d’emblée chez le patient âgé, soit en bithérapie chez les plus jeunes. En association, les DHP ont largement leur place. Chez les patients coronariens ou chez les diabétiques, par exemple associés aux bloqueurs du système rénine angiotensine. Chez les patients coronariens n’ayant pas fait d’infarctus et souffrant d’une angine de poitrine, ils sont indiqués en raison de leur effet vasodilatateur coronaire en association avec un bêtabloquant. Les recommandations de l’ESH (Société européenne d’hypertension) placent les antagonistes calciques au premier rang dans le traitement de l’hypertension systolique au même titre que les diurétiques thiazidiques. Des études ont, en effet, montré leur supériorité par rapport aux autres classes pour baisser la pression systolique. Chez le sujet âgé ayant une hypertension systolique, les inhibiteurs calciques sont souvent préférés aux diurétiques, en raison de leur excellente tolérance car ils n’entraînent pas de risques d’hyponatrémie, ou de déshydratation, ou d’insuffisance rénale, ou de goutte, complications possibles des diurétiques. Ils peuvent être initiés en monothérapie ou prescrits en bithérapie. Enfin, les DHP sont recommandés chez les patients ayant fait un AVC en raison de leur protection cérébrale mais également chez ceux à risque de troubles neurocognitifs en raison de leur effet neuroprotecteur spécifique.
TLM : Quelle est la place des DHP dans la prévention au niveau cérébral ?
Pr Olivier Hanon : Rappelons que l’un des principaux risques de l’hypertension artérielle est la survenue d’un AVC, d’origine ischémique le plus souvent. Afin d’éviter le risque de récidive, la pression artérielle doit être contrôlée de façon stricte autour de 130/80 mmHg en post-AVC. D’autre part, une HTA à 55/60 ans augmente de 20 à 30 % les risques de troubles neurocognitifs d’origine vasculaire mais aussi d’apparition de la maladie d’Alzheimer une quinzaine d’années plus tard. Chez l’hypertendu, les artères cérébrales perforantes peuvent soit s’obstruer formant des lacunes, soit se rétrécir provoquant une ischémie chronique notamment au niveau de la substance blanche (leucoaraïose ou hypersignaux de la substance blanche). Des études ont également démontré que l’HTA pouvait augmenter l’activité des bêta-secrétases cérébrales, enzyme favorisant l’agrégation des plaques amyloïdes à l’origine de la maladie d’Alzheimer. Les DHP occupent une place prépondérante à la fois pour la prévention des AVC et pour celle des troubles neurocognitifs majeurs (démence). Au bénéfice de baisse de la pression artérielle s’ajoute un bénéfice neuroprotecteur spécifique. Des données publiées dans The Lancet (23 études, 600 000 personnes) ont montré que les antagonistes calciques, et en particulier les DHP, réduisent le risque de survenue d’un AVC de 10 % de plus que les autres classes d’antihypertenseurs. Une autre méta-analyse retrouve une réduction du risque de troubles neurocognitifs majeurs de 30 % de plus avec les antagonistes calciques de versus les autres classes d’anti-hypertenseurs. Les DHP ont un véritable bénéfice neuroprotecteur avec un effet à la fois sur la réduction des AVC et sur la diminution des démences.
TLM : Quel en est le mécanisme d’action ?
Pr Olivier Hanon : L’une des explications est que les DHP qui traversent la barrière hématoencéphalique empêchent le calcium de rentrer dans les neurones et les protègent de la mort neuronale (apoptose liée à l’afflux de calcium intraneuronal). Les DHP ont ainsi une double action de baisse tensionnelle et de neuroprotection spécifique.
TLM : La variabilité tensionnelle constitue-t-elle un facteur de risque supplémentaire de complications cérébrovasculaires ?
Pr Olivier Hanon : La variabilité tensionnelle est un nouveau marqueur du risque cérébral mis aujourd’hui en évidence. Elle est associée à un surrisque d’AVC et de troubles neurocognitifs. Les méta-analyses indiquent que la classe d’antihypertenseurs la plus efficace pour réduire cette variabilité sont les antagonistes calciques de type DHP. Réduire la variabilité tensionnelle avec les DHP par rapport aux autres classes est un argument dans le cadre de la prévention cérébrovasculaire.
TLM : Quels sous-groupes de patients bénéficieraient particulièrement d’un traitement antihypertenseur en double prise en raison de la variabilité tensionnelle ?
Pr Olivier Hanon : La double prise est avantageuse, notamment chez les patients âgés. La chronothérapie peut réduire le risque d’hypotension orthostatique. Parfois, chez les patients avec des hypotensions orthostatiques sévères d’origine neurogène, l’hypertension n’est pas traitée durant la journée (en raison de l’hypotension orthostatique) mais uniquement la nuit (en raison d’une hypertension nocturne). Ainsi, seule la prise du soir de l’antagoniste calcique à deux prises est donnée pour traiter l’HTA nocturne.
TLM : Quels sont les effets sur la pression artérielle avec les patients en double prise par rapport à une prise unique ?
Pr Olivier Hanon : La double prise est souvent mieux tolérée, en particulier chez le sujet âgé. Les risques d’hypotension sont réduits lorsque le médicament est réparti entre le matin et le soir.
TLM : Comment se situe la prise en charge de l’HTA en France ?
Pr Olivier Hanon : La situation s’aggrave, malheureusement. Les données de Santé publique France indiquent que seul un hypertendu sur quatre est contrôlé. C’est largement insuffisant car cela indique que des personnes insuffisamment contrôlées vont développer des AVC, des maladies cardiovasculaires, des démences, des maladies d’Alzheimer. L’objectif tensionnel doit être à <140/90 mmHg, voire, idéalement, <130/80 mmHg. Les DHP, en raison de leur bonne efficacité et de leur bonne tolérance, représentent un outil thérapeutique majeur dans la stratégie, soit en monothérapie soit en association.
Propos recueillis
par Alexandra Van der Borgh ■