• Pr Nicolas Mathieu : L’accompagnement des MICI moins coûteux et plus «gérable »

Nicolas Mathieu

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 13/10/2022


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L’apparition de l’infliximab par voie souscutanée, ainsi que des nombreux biosimilaires de l’adalimumab, outre qu’elle génère des économies substantielles, facilite la prise en charge des patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, souligne le Pr Nicolas Mathieu, gastroentérologue et hépatologue au CHU de Grenoble

 

TLM : Quels sont les progrès récents des biothérapies contre les MICI ?

Pr Nicolas Mathieu : Aujourd’hui, les biothérapies, en particulier les anti-TNF alpha jouent un rôle majeur dans la prise en charge des MICI. Nous connaissons bien ces traitements, nous savons les gérer. Et puis nous avons eu la chance de voir apparaître, depuis l’an dernier, l’infliximab par voie sous-cutanée. Nous utilisions l’infliximab en perfusion intraveineuse depuis des années. Ce traitement contraignait les patients à venir en hôpital de jour. Ils peuvent désormais bénéficier du traitement par voie sous-cutanée, à domicile. C’est une révolution. Un premier essai randomisé a montré qu’il n’y avait pas d’infériorité de la voie sous-cutanée par rapport à la voie intraveineuse.

Sur le plan pharmacocinétique la concentration sérique n’était pas inférieure, la rémission clinique et endoscopique étaient comparables également.

Une étude française à l’échelle nationale sous l’égide de plusieurs sociétés savantes est en cours pour évaluer la persistance de la rémission après le passage à l’infliximab par voie sous-cutanée.

 

TLM : Comment le développement des biosimilaires dans les MICI a-t-il fait évoluer la prise en charge ?

Pr Nicolas Mathieu : Le deuxième point qui a révolutionné récemment la prise en charge des MICI, c’est le fait que l’adalimumab princeps est tombé dans le domaine public. Sont apparues des « copies » de l’adalimumab, des biosimilaires, au nombre de sept. Leur intérêt est déterminant sur le plan financier. Les économies réalisées grâce à ces biosimilaires vont profiter d’une manière ou d’une autre aux patients. En Europe, pour les années 2016 à 2021, le gain a été évalué à 1,5 milliard d’euros. Et aux EtatsUnis, les économies seraient encore plus significatives. La justification pour passer du princeps au biosimilaire est purement économique.

 

TLM : Ces biosimilaires ont-ils des effets totalement équivalents aux médicaments princeps ?

Pr Nicolas Mathieu : Est-ce que passer de la molécule princeps au biosimilaire fait courir un risque au patient en termes d’efficacité et de tolérance ? Non. C’est la même chose. Mais la façon dont vous informez le patient est très importante. Cette information doit être communiquée de manière adaptée pour empêcher l’effet « nocebo ». Par exemple, vous donnez le même médicament à votre patient mais il a changé de nom et l’emballage n’a pas la même couleur, c’est une boîte différente. Du coup si vous avez mal informé le patient, il peut aller moins bien, se sentir fatigué, se plaindre de douleurs articulaires. Alors que sur le plan biologique, il n’y a aucune élévation des marqueurs de l’inflammation. Et il risque de vouloir revenir au médicament princeps.

 

TLM : Il existe sept biosimilaires de l’adalimumab. Sur quels critères choisir ?

Pr Nicolas Mathieu : D’abord, deux d’entre eux contiennent du latex et ne doivent pas être prescrits aux patients allergiques au latex. Ensuite, trois de ces biosimilaires contiennent du citrate, en faible concentration. Or, le citrate peut être associé à des douleurs lors de l’injection. Un autre problème est lié à la durée de conservation à température ambiante. Par exemple, cinq de ces biosimilaires peuvent être conservés à 25 degrés mais pendant 14 jours au maximum. Si vous êtes baroudeur, il vaut mieux un biosimilaire qui se garde à température ambiante pendant 30 jours plutôt que 14. Le biosimilaire, c’est mieux sans latex, sans citrate et avec la plus longue durée de conservation à température ambiante.

 

TLM : Quels sont les autres nouveautés concernant ces biosimilaires ?

Pr Nicolas Mathieu : L’autre grande nouveauté c’est l’arrivée d’un biosimilaire de l’adalimumab dosé à 80 mg en seringue et surtout en stylo. Jusqu’à présent, seul l’adalimumab princeps disposait d’un dosage à 80 mg en stylo. Tous les biosimilaires de l’adalimumab affichaient 40 mg.

 

TLM : Qu’est-ce que cela change d’avoir un biosimilaire dosé à 80 mg ?

Pr Nicolas Mathieu : Avec l’adalimumab, l’introduction du traitement se fait avec 160 mg, puis 40 mg tous les 14 jours. Mais chez certains patients nous devons doubler la dose. Soit parce qu’ils sont non-répondeurs primaires soit parce qu’ils sont devenus non-répondeurs secondairement. Pour optimiser le traitement chez les non-répondeurs, il faut passer à un dosage de 80 mg toutes les deux semaines. Seul l’adalimumab princeps existait à ce dosage jusqu’à présent. Les patients nécessitant un dosage d’adalimumab à 80 mg préféraient garder le princeps quand on leur proposait de passer au biosimilaire à 40 mg une fois par semaine au lieu de 80 mg tous les 15 jours. Désormais nos patients bénéficiant du princeps dosé à 80 mg peuvent passer au biosimilaire à 80 mg.

 

TLM : Dans quelle situation la prescription d’un biosimilaire s’impose-t-elle ?

Pr Nicolas Mathieu : Désormais, en traitement d’induction, vous prescrivez d’emblée un biosimilaire. Il n’y a plus de débat. Il faut cependant se poser des questions, sur le fameux switch, le passage du princeps à un biosimilaire chez un patient déjà traité. Ce switch est destiné à un patient en rémission clinique, qui va bien, ne souffre pas de douleur, de diarrhée, etc. avec une endoscopie et des marqueurs de l’inflammation qui sont satisfaisants. Quand on lui propose de faire le switch avec un biosimilaire, il faut prendre le temps de lui expliquer que les deux molécules ont exactement les mêmes cibles et les mêmes mécanismes d’action. Nous sommes là dans la communication.

Si nous n’informons pas le patient, nous nous exposons à ce que le pharmacien délivrant le produit puisse s’exclamer : « Vous avez changé de traitement ! ». Ce qui suffit à ce que le patient puisse déclencher un effet nocebo, par manque d’information loyale, complète et adaptée.

 

TLM : Les biosimilaires sont-ils assez prescrits ?

Pr Nicolas Mathieu : Pour ce qui est de l’infliximab, les résultats sont très corrects. Le switch du princeps au biosimilaire s’est donc bien passé. De 2014 à 2017, au fur et à mesure que la courbe de l’infliximab princeps diminuait, celle de ses biosimilaires montait. Et cette tendance se poursuit. Pour l’adalimumab, les résultats sont nettement moins bons. Entre juin 2019 et juin 2021, la prescription du princeps est bien supérieure à celle des copies.

L’arrivée de biosimilaires dosés à 80 mg est un levier qui pourrait renverser ces tendances.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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