• Pr Nicolas Leveziel : Stratégies pour freiner l’évolution la myopie chez l’enfant

Nicolas Leveziel

Discipline : Ophtalmologie

Date : 10/01/2024


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Dans une pathologie qui progresse dans l’enfance, il faut agir vite, sitôt le diagnostic de myopie établi chez l’enfant, car c’est le seul moyen de la freiner et réduire le risque de progression de la myopie, alerte le Pr Nicolas Leveziel, chef du service d’Ophtalmologie du CHU de Poitiers et auteur d’une des rares études épidémiologiques sur la myopie de l’enfant*.

 

TLM : Faut-il désormais considérer le développement de la myopie chez les jeunes comme un problème de santé publique dans les pays industrialisés ?

Pr Nicolas Leveziel : C’est un problème, dans tous les pays industrialisés, particulièrement en Asie. A titre d’exemple, à Singapour ou à Taïwan, 95 % des adolescents sont myopes. En Europe, et notamment en France, la myopie progresse aussi chez les jeunes, mais pas de manière aussi importante. On considère que 30 % de la population française est myope, 5 % souffrant de forte myopie. Environ 40 % des adolescents sont myopes. Ce trouble visuel augmente certes chez les jeunes, mais moins qu’en Asie.

 

TLM : Comment explique-t-on une telle évolution ?

Pr Nicolas Leveziel : Le mode de vie a changé, les enfants passent de moins en moins de temps en extérieur exposés à la lumière du jour. De surcroît, la vision de près est de plus en plus sollicitée, avec l’usage accru d’écrans, y compris chez les jeunes enfants. Ce mode de vie est un cocktail favorable au développement de la myopie.

Les activités en extérieur diminuent le risque de myopie et les activités en vision de près, en revanche, l’augmentent.

 

TLM : Dans quels objectifs avez-vous mené récemment une des rares grandes enquêtes épidémiologiques sur la myopie des enfants en France, publiée dans le British Journal of Ophtamology ?

Pr Nicolas Leveziel : Cette étude épidémiologique visait à comprendre la myopie de l’enfant pour mieux la prendre en charge. Nous avons analysé les données anonymisées collectées pendant six ans auprès de 696 magasins de l’enseigne KRYS GROUP, soit environ 5 millions d’individus. Nous avons ainsi pu suivre, entre 2013 et 2019, 136 333 enfants myopes âgés de 4 à 17 ans. L’objectif était d’évaluer précisément l’impact sur la progression de la myopie de différents facteurs comme l’âge, le sexe et le degré de myopie initiale de l’enfant.

 

TLM : Quelles sont les principales conclusions de cette étude ?

Pr Nicolas Leveziel : Ce travail nous a permis d’obtenir d’importantes informations sur le processus d’évolution de la myopie. Ainsi, près de 25 % des enfants voient leur myopie progresser entre la première et la deuxième année de suivi. L’étude montre que l’âge est le facteur déterminant dans cette progression. Globalement, la myopie évolue plus vite chez l’enfant plus jeune. Ainsi, la myopie progresse chez 33 % des enfants de 7 à 9 ans et chez 29 % des 10-12 ans. Par ailleurs, nous avons constaté que les enfants les plus myopes au départ ont 58 % de risques de développer une myopie forte au cours du suivi contre moins de 5 % pour les enfants les moins myopes. Les résultats obtenus soulignent la nécessité d’un dépistage précoce de la myopie. Il s’agit de la prendre en charge le plus tôt possible pour ne pas la laisser s’installer et éviter qu’elle ne progresse vite. L’étude révèle enfin une progression de la myopie plus importante chez les filles que chez les garçons.

 

TLM : A quel âge faut-il réaliser un dépistage de la myopie ?

Pr Nicolas Leveziel : L’idéal c’est de le faire dès trois ans, à l’âge préscolaire. Ce premier dépistage à l’âge de trois ans permet d’identifier les enfants à risque de devenir myope plus tard. En cas de doute, un examen sous cycloplégie doit être réalisé pour bloquer les accommodations et permettre une mesure précise de la réfraction. Actuellement la myopie est le plus souvent diagnostiquée vers l’âge de six ans, souvent parce que l’enfant a des difficultés à l’école pour lire ce qui est écrit au tableau.

 

TLM : Quels sont les risques liés à la myopie ?

Pr Nicolas Leveziel : D’abord, si elle n’est pas diagnostiquée chez l’enfant, la myopie peut s’accompagner de difficultés d’apprentissage et de décrochage scolaire. Par ailleurs, plus une myopie débute tôt, plus elle risque de s’aggraver et d’entraîner à l’âge adulte des complications rétiniennes telles qu’un décollement de rétine ou une dégénérescence maculaire de type myopique. Une myopie sévère engendre également un risque plus précoce de glaucome et de cataracte. A 60 ans, 26 % de personnes présentant une myopie très sévère, à partir de -10 dioptries, sont malvoyantes, voire nonvoyantes. Pour toutes ces raisons, le dépistage précoce de la myopie de l’enfant est nécessaire, pour pouvoir la freiner et réduire le risque de complications à l’âge adulte.

 

TLM : Quelles sont les stratégies permettant aujourd’hui de freiner la myopie de l’enfant ?

Pr Nicolas Leveziel : Lorsque le diagnostic de myopie est confirmé assez tôt, il est possible de mettre en œuvre des stratégies pour freiner cette myopie. Des essais menés principalement en Asie ont montré que les stratégies de freination disponibles permettent de réduire la progression de la myopie de 50 à 60 %. Cela signifie que pour un enfant qui a une myopie de -0,5 à l’âge de 5 ans, sa myopie sera d’environ -6 à l’âge de 12 ans selon l’évolution naturelle. Si l’on freine cette progression de 50 à 60 %, sa myopie à 12 ans sera environ de -3. Et cela change tout. En réduisant le risque de forte myopie, on pense que l’on réduit considérablement les risques de complications plus tard dans la vie.

 

TLM : Comment freiner l’évolution de la myopie ?

Pr Nicolas Leveziel : Il existe désormais des verres de lunettes freinateurs de myopie qui ont fait la preuve de leur efficacité dans des essais cliniques publiés dans des revues scientifiques. Ce sont ces verres qui doivent être prescrits par l’ophtalmologiste. Il faut utiliser ces verres freinateurs très tôt, dès le diagnostic de la myopie chez l’enfant. Leur intérêt, c’est qu’ils corrigent la myopie et qu’ils la freinent dans le même temps. Il existe également pour l’enfant plus grand, à partir de 10-12 ans, des lentilles de contact pour freiner la myopie. Mais chez l’enfant, le risque d’infections, de kératites, est plus élevé avec les lentilles. Ces lentilles peuvent être éventuellement envisagées chez les enfants qui font très attention aux règles d’hygiène, sous la responsabilité de leurs parents. Mais les lunettes capables de freiner la myopie sont une solution simple et efficace pour la grande majorité des enfants myopes. Il existe, enfin, un traitement médicamenteux basé sur un collyre d’atropine diluée. Pour l’instant en France, aucun laboratoire ne commercialise de tels collyres. Ils ne sont disponibles que sous forme de préparation par les pharmacies hospitalières.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

* Lien vers l’étude réalisée par le Dr Leveziel : bit.ly/3tAlv26

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