• Pr. NEGRIER : Patients hémophiles : vivre presque comme tout le monde...

Claude NEGRIER

Discipline : Hématologie, Immunologie

Date : 24/07/2020


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FACTEURS DE COAGULATION ISSUS DU GÉNIE GÉNÉTIQUE, PROMESSES DE LA THÉRAPIE GÉNIQUE, APPLIS SANTÉ, CARNET DE SANTÉ NUMÉRIQUE SONT QUELQUES-UNES DES ÉVOLUTIONS QUI GARANTISSENT AUX PATIENTS HÉMOPHILES UNE VIE QUASIMENT NORMALE... LE PR CLAUDE NÉGRIER, CHEF DU SERVICE D’HÉMATOLOGIE BIOLOGIQUE ET D’HÉMOSTASE CLINIQUE AU CHU DE LYON, FAIT LE POINT

 

TLM : La prise en charge actuelle de l’hémophilie ouvre-t-elle de nouvelles possibilités ?
Pr Claude Négrier :
Comme beaucoup d’autres pathologies chroniques, l’hémophilie bénéficie de la délégation organisée d’un certain nombre de tâches au travers de la prise en charge à domicile. Cela tient notamment à l’évolution des objectifs thérapeutiques. Le but est de prévenir les accidents hémorragiques plutôt que de les traiter. Le traitement prophylactique est presque systématiquement administré à domicile, soit par un professionnel de santé, soit par le patient lui-même. Cela nécessite encore une formation approfondie du patient, l’administration du traitement reposant sur une injection intraveineuse, mais il est aujourd’hui pleinement acteur de sa prise en charge.

 

TLM : Quelles sont les pistes du traitement ?
Pr Claude Négrier :
On distingue plusieurs époques. Jusqu’au milieu du XXe siècle, le traitement reposait sur des transfusions de sang total puis sur des transfusions de plasma. Ensuite le plasma a été fractionné pour l’enrichir en facteur de coagulation. La sécurité a été améliorée par différents procédés de destruction et/ou de réduction virale. A la fin des années 80, grâce aux progrès de la génétique, l’industrie pharmaceutique a pu produire des facteurs de coagulation dits recombinants. Nous en sommes aujourd’hui à la 4e génération. Ils sont fabriqués sans le moindre apport de protéine humaine ou animale et sont modifiés par génie génétique afin d’améliorer certaines de leurs propriétés, notamment leur demi-vie.

Ces produits de substitution sont désormais rejoints par des traitements qui ne sont plus des facteurs de coagulation. Ils améliorent le processus de coagulation en remplaçant partiellement la fonction coagulante du facteur de coagulation déficitaire (anticorps monoclonaux) ou en améliorant le système de coagulation au moyen de petits fragments d’ARN ou d’anticorps monoclonaux encore actuellement en phase de recherche clinique chez l’homme. Enfin, la thérapie génique, aussi en cours d’essai clinique, devrait changer radicalement les modalités de prise en charge. Il suffit en théorie d’une simple perfusion intraveineuse pour administrer un virus, vecteur d’un gène médicament optimisé par génie génétique. Cette approche, avec 10 ans de recul, est des plus prometteuses.

 

TLM : En quoi le mouvement, l’exercice physique, est-il déterminant dans la prise en charge de l’hémophilie ?
Pr Claude Négrier :
La répétition des hémarthroses entraîne une fragilisation de l’articulation et une atrophie des muscles alentours. Le fait d’avoir une activité physique significative permet de renforcer la masse musculaire et de stabiliser l’articulation. Elle est d’autant plus importante à l’adolescence pour préserver le capital articulaire à l’âge adulte. Elle doit faire partie intégrante du traitement.

 

TLM : Comment libérer les patients de ce fardeau de la maladie, libérer leur parole ?
Pr Claude Négrier :
Comme dans toutes les maladies chroniques, certains patients éprouvent une souffrance psychologique, quel que soit l’âge. Le fardeau de la maladie est une réalité notamment du fait de la lourdeur de l’administration du traitement.

Toutefois, la perception de la maladie a radicalement changé. A titre d’exemple, un diagnostic anténatal d’hémophilie conduisait, il y a 30 ans, à une interruption médicale de grossesse pratiquement systématique. Aujourd’hui, elle ne concerne plus que 20 % des couples environ. De même, l’espérance de vie des hémophiles est passée de10à12ansaudébutduXXe siècleàdes valeurs proches de celle de la population masculine moyenne aujourd’hui. Les hémophiles ont ainsi de plus en plus un mode de vie très proche d’une personne non malade.

 


TLM: Quelle est la place du généraliste dans la prise en charge de l’hémophilie ?
Pr Claude Négrier :
Elle reste mesurée hormis pour quelques praticiens très impliqués. Le réseau entre l’hôpital et la ville devrait se développer de manière plus large et plus efficace. Le rôle de médecin traitant doit être conservé par le généraliste, assurant la prise en charge et le suivi des affections dont peut souffrir l’hémophile, y compris le suivi quotidien de l’hémophilie. Il est une « sentinelle ». Il souffre toutefois d’un déficit de formation sur ce sujet, ce qui peut s’expliquer par la faible probabilité de rencontrer un patient hémophile dans sa pratique.

 

TLM : Qu’attendre de la e-santé ?
Pr Claude Négrier :
Le suivi, qui reposait sur un carnet papier, se numérise et permet peu à peu d’assurer un lien dématérialisé avec le système hospitalier et les praticiens de ville qui le désirent. Le carnet de santé numérique est, à ce titre, très attendu. Des applications intégrant les données individuelles de pharmacocinétique permettent désormais à un patient d’adapter très finement son traitement. Autre initiative, le CHU de Nantes développe une base de données simple, regroupant les informations nécessaires à une prise en charge des hémophiles et des autres patients présentant un trouble de coagulation, afin de disposer des informations médicales pour administrer un traitement adapté en cas d’urgence. Ces moyens techniques permettent donc d’améliorer considérablement les possibilités de suivi des patients.

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