• Pr Muhamed-Kheir Taha L’anti-méningocoque B dans le calendrier vaccinal des moins de 2 ans

Muhamed-Kheir Taha

Discipline : Pédiatrie

Date : 13/10/2022


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Sur recommandation de la Haute Autorité de santé, la vaccination contre les infections invasives à méningocoque de type B des enfants de moins de deux ans intègre le calendrier vaccinal et le vaccin sera pris en charge dans cette population. Les explications du Pr Muhamed-Kheir Taha, directeur de l’unité des Infections bactériennes invasives et du Centre national de référence (CNR) des méningocoques à l’Institut Pasteur (Paris).

 

TLM : Quelle est la tendance en matière d’incidence de l’infection à méningocoque B ?

Pr Muhamed-Kheir Taha : Il faut distinguer deux périodes : avant le Covid et les confinements, et après. Jusqu’au début de l’année 2020, elle était au CNR de 400 à 600 cas par an tous âges confondus. En 2020, elle a été divisée par deux (202 cas) puis 106 cas en 2021. Cette baisse a concerné toutes les catégories d’âge. Cela montre que les mesures barrières prises pour contrôler la propagation du SARS-CoV-2 ont également eu un impact fort sur la transmission du méningocoque. Ce n’est guère surprenant dans la mesure où cette bactérie se transmet par les gouttelettes de salive.

 

TLM : Dans ce contexte, pourquoi recommander la vaccination des nourrissons ?

Pr Muhamed-Kheir Taha : Cette question s’est posée mais la Haute Autorité de santé a fait ce choix pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les enfants de moins d’un an sont les plus touchés par les infections invasives à méningocoque B. L’incidence dans cette population est dix fois plus élevée que celle de la population générale (9 cas/100 000 habitants vs 0,9 cas/100 000). En outre, le sérogroupe B représente 75 à 90 % des cas à cet âge-là. Il s’agit d’une urgence médicale absolue dont l’issue peut être fatale en quelques heures. Il est donc apparu important de cibler les nourrissons.

 

TLM : Le vaccin anti-méningocoque B était déjà recommandé pour certaines populations. Pourquoi en avoir exclu, à l’époque, les nourrissons ?

Pr Muhamed-Kheir Taha : Le vaccin anti-méningocoque B a été mis sur le marché en 2013 avec des recommandations ciblées sur les populations à risque comme les personnes présentant un déficit immunitaire, les individus aspléniques, ceux traités par un inhibiteur du complément, les personnes ayant reçu une greffe de cellules souches hématopoïétiques ou encore les gens exposés via leur profession au méningocoque B. En plus, le vaccin peut être utilisé pour le contrôle de situations épidémiques. Plusieurs raisons ont été invoquées, à l’époque, pour exclure les enfants de moins de deux ans de cette recommandation : l’immunité directe que procure le vaccin qui protège la personne vaccinée contre le risque d’infection mais n’empêche par la transmission de la bactérie ; son caractère réactogène qui faisait craindre des pics de fièvre voire des convulsions chez des nourrissons recevant déjà de nombreux vaccins ; la durée relativement courte de persistance de la réponse immunitaire, d’environ trois à quatre ans ; enfin, le rapport coût/efficacité très défavorable.

 

TLM : Quels sont les changements qui ont incité la HAS à revenir sur sa décision ?

Pr Muhamed-Kheir Taha : Entre 2013 et 2020, ce vaccin a été recommandé dans plusieurs pays comme l’Anglettere et a été utilisé plusieurs fois en situation épidémique en France et les données recueillies ont montré sa bonne tolérance et le maintien de son immunogénicité malgré la prise de paracétamol en prévention des effets indésirables. Deux arguments qui ont conduit la HAS à émettre, en juin 2021, une recommandation favorable à la vaccination des nourrissons. Elle figure dorénavant dans le calendrier vaccinal 2022 avec le schéma suivant : les deux premières doses à l’âge de trois et cinq mois, en dehors de toute autre vaccination, puis un rappel à 12 mois. Parallèlement, une étude cas-témoins réalisée à partir des données de l’Assurance maladie a mis en évidence que l’un des facteurs de risque majeur d’infection d’un nourrisson est que ses parents bénéficient de la CMU-c. Les enfants issus de familles à faibles revenus sont ainsi les plus à risque d’IIM-B. Le remboursement du vaccin a donc été décidé pour gommer cette iniquité sociale.

 

TLM : Pourquoi ne pas avoir rendu cette vaccination obligatoire ?

Pr Muhamed-Kheir Taha : La loi inclut déjà 11 vaccins obligatoires chez le nourrisson : il faudrait modifier la loi, ce qui est toujours très lourd et très long.

 

TLM : Comment les nourrissons contractent-ils le méningocoque B ?

Pr Muhamed-Kheir Taha : La contamination des enfants de moins d’un an se fait via les gouttelettes de salive transmises par des porteurs asymptomatiques, essentiellement des adolescents et des jeunes adultes. Dans la population générale, le taux de portage est d’environ 10%, ce qui représente entre 7 et 10 millions de personnes contaminées susceptibles de transmettre la bactérie.

 

TLM : Quels sont les symptômes qui doivent alerter ?

Pr Muhamed-Kheir Taha : Le début d’une infection à méningocoque B est souvent difficile à déceler : l’enfant présente de la fièvre et les parents décrivent un comportement inhabituel — « il est mou », « il refuse de téter » ou « il est geignard ». Il est très important de les écouter parce que ce sont eux qui connaissent le mieux leur enfant. D’autres signes peuvent orienter le diagnostic et doivent être recherchés en consultation : des fontanelles bombées qui reflètent une élévation de la pression intracrânienne par augmentation du volume de liquide cérébrospinal, des vomissements en jet, une rigidité axiale (l’enfant résiste aux mouvements de la nuque ou des pieds), une pâleur inhabituelle, un retard de remplissage (autrement dit un délai de recoloration des ongles après une pression exercée dessus), qui traduit un trouble hémodynamique survenant pendant la phase septicémique de l’infection, et enfin des tâches purpuriques sous la peau ou sur les muqueuses.

 

TLM : Les médecins sauront-ils convaincre les parents de vacciner leur enfant contre une maladie finalement assez peu fréquente ?

Pr Muhamed-Kheir Taha : C’est vrai qu’il y a peu de risques de contracter cette maladie, mais celui de passer à côté est réel et son issue est alors fatale en quelques heures. En outre, après l’allégement/suppression des mesures barrières contre le Covid, un rebond des IIM-B a été observé, c’est une donnée à prendre en considération. Le médecin doit donc prendre le temps d’expliquer l’intérêt du vaccin en termes de protection directe, rassurer quant à sa tolérance, sans pour autant occulter son caractère réactogène et douloureux localement, deux effets que l’on peut prévenir à l’aide de paracétamol.

Propos recueillis

par Jeanne Labrune

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