• Pr MOURAD : L’automesure tensionnelle pour confirmer une HTA résistante

Jean-Jacques MOURAD

Discipline : Cardiologie

Date : 11/04/2022


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Une hypertension artérielle qui résiste aux traitements nécessite une exploration spécifique. Avant d’orienter un patient vers un bilan étiologique, il est essentiel de confirmer que la résistance est authentique. Le point avec le Pr Jean-Jacques Mourad, chef du service de Médecine interne à l’hôpital Saint-Joseph à Paris.

 

TLM : A partir de quand parle-t-on d’hypertension artérielle résistante ?

Pr Jean-Jacques Mourad : La définition classique est une hypertension qui résiste à une association thérapeutique comprenant trois médicaments antihypertenseurs dont un diurétique. Certains professionnels vont au-delà et préconisent de parler de résistance en cas de non-contrôle tensionnel malgré un type particulier de trithérapie associant un diurétique, un bloqueur du système rénine-angiotensine et un inhibiteur calcique. La prévalence de l’HTA résistante est estimée entre 15 et 30 % d’une population générale hypertendue. C’est donc un vrai sujet ! On englobe sous ce terme deux types de patients hypertendus : ceux qui gardent une pression artérielle systolique au-dessus de 140 mmHg avec une pression artérielle diastolique normalisée en dessous de 90 mmHg, largement le contingent le plus important, et ceux qui affichent une HTA systolo-diastolique qui résiste au traitement de trithérapie avec les deux chiffres tensionnels au-dessus de la normale. Ces profils tensionnels sont intéressants à identifier car ils correspondent à des patients assez différents.

 

TLM : Comment est confirmé le diagnostic ?

Pr Jean-Jacques Mourad : Face à une HTA résistante, il faut rechercher s’il y a une cause précise de résistance au traitement, les deux principales étant un problème endocrinien ou une apnée du sommeil. Plusieurs examens sont utiles, par exemple un dosage hormonal de l’axe rénine-angiotensine-aldostérone, des métanéphrines urinaires, un scanner des glandes surrénales, une polygraphie ventilatoire... Ce bilan étiologique est très spécifique. Il peut être réalisé par des cardiologues de ville, s’ils disposent d’un plateau technique adapté, dans des structures hospitalières ou des centres d’excellence en hypertension artérielle. Les médecins généralistes ont un rôle majeur à jouer pour n’adresser que les vrais hypertendus résistants vers ces bilans étiologiques. Cela passe par une vérification indispensable de deux pré-requis. Le patient est-il bien sous trithérapie et prend-il correctement ses médicaments ? Le niveau tensionnel mesuré au cabinet est-il authentique ? Ces deux critères distinguent une vraie HTA résistante d’un autre diagnostic, comme la non observance du traitement ou l’effet « blouse blanche ».

 

TLM : Pour vérifier l’authenticité d’une hypertension artérielle résistante, les automesures sont donc primordiales ?

Pr Jean-Jacques Mourad : Il a été démontré depuis plusieurs années, avec l’étude SHEAF, que les mesures tensionnelles réalisées par le patient à la maison, dans de bonnes conditions, sont meilleures en termes pronostique que celles réalisées en cabinet. Si un médecin généraliste suspecte une HTA résistante, il demandera une série d’automesures à domicile pour la confirmer. Pour que ces automesures soient de qualité, le patient doit se sentir bien au moment de les réaliser, ne pas être stressé, se placer dans un environnement calme. Un cycle complet d’automesures comprend trois relevés le matin et trois le soir, pendant trois jours d’affilée. C’est la moyenne de ces 18 mesures qui sert à confirmer une HTA résistante. Le matin, la tension artérielle est contrôlée après le lever et la toilette, idéalement avant la prise du traitement. Il est recommandé de se poser quelques minutes, tranquillement assis dans son salon, avec le brassard placé au niveau du bras en position humérale, puis de déclencher trois mesures consécutives et de noter les chiffres qui s’affichent sur l’écran du tensiomètre. Rituel similaire le soir, avant le coucher, cette fois après la prise des médicaments ; il faut effectuer de la même manière trois mesures consécutives. Point essentiel : veillez toujours à ce que le brassard utilisé avec le tensiomètre soit parfaitement adapté à la taille du bras. Dans les hypertensions artérielles résistantes, on retrouve beaucoup de personnes en surpoids voire obèses. Des mesures effectuées avec un brassard non adapté seront totalement faussées.

 

TLM : Quels sont les traitements possibles face à une HTA résistante ?

Pr Jean-Jacques Mourad : Une fois que le patient a été orienté vers un bilan étiologique, nous sommes face à deux cas de figure. Si une cause est identifiée, le simple fait de la traiter facilite le contrôle tensionnel, voire guérit l’hypertension artérielle. Cependant, dans la grande majorité des cas d’HTA résistantes, surtout ceux où la seule la pression systolique reste trop élevée, on ne trouve pas de cause précise. On estime alors que les difficultés rencontrées pour soigner l’hypertension sont simplement liées au vieillissement artériel. Pour ces HTA essentielles sans cause identifiée, il est possible de faire deux propositions thérapeutiques. En complément de la trithérapie bien adaptée déjà mentionnée, on peut introduire une faible dose de spironolactone, puis, si cela n’est toujours pas suffisant, une autre classe pharmacologique comme les bêtabloquants. Malheureusement, les solutions sont réduites car nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, de médicaments qui agissent de manière spécifique pour réduire la pression artérielle systolique.

 

TLM : Quel est le suivi à proposer à ces patients ?

Pr Jean-Jacques Mourad : Le temps de trouver le bon équilibre thérapeutique, permettant de contrôler l’hypertension avec quatre ou cinq médicaments, ils doivent être vus tous les mois. Pour évaluer l’efficacité des nouveaux traitements, on se basera là encore sur des automesures tensionnelles, effectuées à domicile environ une semaine avant chaque rendez-vous. Une fois l’HTA résistante équilibrée, on revient au suivi classique d’une hypertension. Il dépendra tout de même des polypathologies et des comorbidités, très fréquentes dans ces profils de patients. Le médecin traitant reste bien évidemment le coordinateur de tout ce suivi. Même si aucun rendez-vous médical n’est programmé, il est préférable de demander aux patients de continuer à effectuer des mesures de leur tension artérielle à la maison environ tous les mois. Ces automesures régulières favorisent l’observance des traitements.

Propos recueillis

par Violaine Badie

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