• Pr. MOURAD : HTA: comprendre la stratégie thérapeutique des DHP

Jean-Jacques MOURAD

Discipline : Cardiologie

Date : 25/04/2021


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Que sait-on aujourd’hui du contrôle tensionnel de la population ? Est-il satisfaisant ?
Pr Jean-Jacques Mourad :
L’étude Esteban a porté sur un large panel de Français dont 2 503 adultes, âgés de 18 à 74 ans, mais excluant les plus âgés encore plus largement impactés par cette maladie. Elle montre que, depuis dix ans, à peine 50 % des hypertendus ont leur tension normalisée par le traitement. Parallèlement des pans entiers de la population sont mal dépistés et mal suivis, surtout les femmes. Le contrôle tensionnel est donc largement insuffisant en France, il stagne voire régresse par rapport à d’autres pays qui ont mené une politique de santé plus ambitieuse pour l’HTA.

Quelle est la place des dihydropyridines (DHP) dans le traitement anti-hypertenseur, versus les autres familles thérapeutiques (IEC, ARA, diurétiques, bêtabloquants) ?

Elles tiennent une place incontournable et font partie des quatre classes majeures reconnues, non seulement pour leur efficacité à baisser la pression artérielle, mais aussi pour leur capacité à diminuer les complications cardiovasculaires de l’HTA. Elles peuvent être proposées chez tous les hypertendus, mais ont des indications préférentielles comme l’HTA avec angine de poitrine associée, l’HTA du sujet âgé, sans oublier l’HTA gravidique de plus en plus fréquente. Ces médicaments ont démontré leur intérêt dans des tranches d’âge très différentes, notamment chez les hypertendus systoliques de plus de 65 ans. On peut les utiliser soit en monothérapie, soit en association avec les autres classes thérapeutiques. Les recommandations indiquent de traiter, en prévention primaire, avec les inhibiteurs calciques dont les DHP —les bloqueurs du système rénine angiotensine et les diurétiques. Chez les patients en prévention secondaire cardiaque, ou en cas d’intolérance aux classes précédemment citées, on prescrit les bêta-bloquants qui gardent leur intérêt dans le post-infarctus ou l’insuffisance cardiaque.

Quel est le mécanisme d’action des dihydropyridines ?

Qu’il s’agisse de molécules à tropisme vasculaire ou à tropisme mixte cardiaque et vasculaire, elles dilatent les vaisseaux —les gros et ceux de moyen calibre— et, par ce mécanisme, font baisser la pression artérielle.

Quels sont leurs effets indésirables ? Sont-ils durables ?

Les DHP, de par leurs propriétés vasodilatatrices puissantes, sont susceptibles d’entraîner des flushs (rougeurs de visage dues à la vasodilatation) et des céphalées induites par la dilatation des artères cérébrales. Généralement ces effets s’estompent au bout de quelques semaines de traitement. Ce qui peut persister, ce sont les œdèmes des membres inférieurs, autre effet secondaire éventuel des DHP. En général, ils disparaissent pendant la nuit et réapparaissent en fin de journée. Ils ne sont pas dangereux mais très gênants. D’ailleurs, chez les femmes qui prennent ces médicaments et présentent une insuffisance veineuse associée, on note une moins bonne tolérance aux DHP que chez les hommes. Enfin ces effets sont doses-dépendants : ils peuvent diminuer ou disparaître lorsqu’on réduit les doses.

Quelles sont leurs contre-indications ?

L’avantage de cette classe de médicaments, c’est qu’il n’y a pratiquement aucune contre-indication, hormis une allergie connue à ces médicaments. C’est d’ailleurs la seule classe thérapeutique qu’on peut prescrire sans connaître les résultats des examens biologiques d’un patient, contrairement aux bêta-bloquants qui nécessitent au moins un ECG, ou aux bloqueurs du système rénine-angiotensine et aux diurétiques qui exigent des informations sur la fonction rénale.

Quelle est l’action des DHP dans la prévention des événements cardiovasculaires et cérébrovasculaires ?

Ces médicaments ont largement démontré leur efficacité à baisser la pression artérielle et, par ce biais, à diminuer le risque d’accidents coronaires et d’AVC, surtout chez le sujet âgé. Les DHP sont particulièrement efficaces sur l’HTA systolique : un vrai fléau, induit par le vieillissement de la population. Certaines d’entre elles présentent des propriétés contre l’angine de poitrine. Ainsi vous avez à la fois un traitement anti-HTA et un traitement anti-angor. C’est sans doute pourquoi on a pu observer, dans des études semi-récentes (Value, Accomplish, Syst-Eur, Camelot), une supériorité des stratégies thérapeutiques avec les DHP par rapport aux stratégies thérapeutiques incluant des diurétiques.

Parmi les DHP on trouve la nicardipine. Quelles sont ses indications plus spécifiques et ses avantages ?

La nicardipine est un vasodilatateur sans effet cardiaque. Habituellement, avec les autres anti-hypertenseurs, il faut attendre plusieurs jours avant de pouvoir observer un effet sur la pression artérielle. La nicardipine, de par ses propriétés pharmacocinétiques, est une molécule à courte durée d’action mais aussi à court délai d’action. Après administration par voie orale, elle est rapidement et complètement absorbée. Des concentrations plasmatiques sont détectables dès 20 minutes après l’administration. Ce qui en a fait une molécule de choix en initiation de traitement quand on attend une réponse rapide sans être dans l’urgence hypertensive qui impose un traitement intraveineux. La nicardipine existe également sous forme intraveineuse et constitue un des deux traitements les plus fréquemment utilisés dans cette situation critique.

Quelle est la place des DHP dans la prise en charge des épisodes de pré-éclampsie ?
 

Pour revenir sur la nicardipine sous forme intraveineuse, précisons que celle-ci est indiquée dans la prise en charge de la pré-éclampsie. De manière générale, les DHP ont un profil de sécurité autorisant leur prescription chez la femme enceinte. Elles peuvent être utilisées dans toutes les formes d’HTA de la grossesse y compris la pré-éclampsie, une urgence hypertensive nécessitant la forme intraveineuse.

Où en est la recherche ? Existe-t-il des molécules prometteuses à l’étude ?

Bien sûr, nous aurions besoin de nouvelles armes thérapeutiques. Mais aujourd’hui le niveau d’exigence des autorités sanitaires pour obtenir une AMM est tel que peu de recherches sont menées dans ce domaine. Cela diminue malheureusement l’implication des praticiens vis-àvis de cette maladie, aujourd’hui banalisée et moins enseignée, ce qui participe au déclin du contrôle tensionnel dans le monde.

Propos recueillis par Carla Lerner

 

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