• Pr MOUNIER-VEHIER : Pourquoi les femmes sont plus exposées aux maladies cardiovasculaires

Claire MOUNIER-VEHIER

Discipline : Cardiologie

Date : 10/01/2022


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Encore trop souvent associées aux hommes, les maladies cardiovasculaires sont sous-diagnostiquées et prises en charge trop tardivement chez les femmes, alerte le Pr Claire Mounier-Véhier, chef du service de Médecine vasculaire et Hypertension artérielle à l’Institut Cœur Poumon du CHU de Lille et cofondatrice, avec Thierry Drilhon, du fonds de dotation « Agir pour le cœur des femmes ».

 

TLM : On pense communément que la femme est plus protégée que l’homme face au risque cardiovasculaire...

Pr Claire Mounier-Véhier : En effet, et cette attitude a conduit à négliger la moitié de la population ! Beaucoup l’ignorent mais les maladies cardiovasculaires tuent chaque jour 200 femmes, ce qui en fait la première cause de mortalité féminine, loin devant le cancer du sein. Près de 400 000 femmes sont hospitalisées chaque année pour une maladie cardiovasculaire, dont un tiers avant 65 ans. Malgré les signes d’alerte (1 femme sur 4 est obèse et 1 sur 2 hypertendue avant 55 ans), les 45-55 ans restent la catégorie de la population la moins dépistée sur le plan cardiovasculaire. Tout récemment l’étude Elabe d’Axa Prévention Santé souligne que 81 % des femmes se préoccupent d’abord du soin de leurs proches, 71 % reportent leurs rendez-vous médicaux, 80 % estiment être en bonne santé si elles ne sont pas malades. Il est temps d’agir plutôt que subir.

 

TLM : Les maladies cardiovasculaires ont-elles des spécificités féminines ?

Pr Claire Mounier-Véhier : Oui, dans la mesure où les facteurs de risque cardiovasculaire classiques auxquels les femmes sont désormais autant exposées que les hommes (tabagisme, sédentarité, surpoids, stress psycho-social), sont plus toxiques sur les artères féminines. Parallèlement, elles sont soumises à des facteurs de risque spécifiques que sont les fluctuations hormonales. Enfin, certaines maladies exclusivement féminines — comme l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques, l’hystérectomie avec ou sans ovariectomie, une ménopause précoce, mais aussi les migraines (avec ou sans aura) et certaines maladies inflammatoires comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde —, qui sont plus volontiers l’apanage des femmes, les prédisposent aussi aux maladies cardiovasculaires.

 

TLM : Peut-on dire que le cœur des femmes diffère de celui des hommes ?

Pr Claire Mounier-Véhier : Oui dans le sens où, chez les femmes encore jeunes, les grosses artères coronaires ne développent pas les mêmes lésions que chez les hommes. Molles et peu calcifiées, les plaques d’athérome s’ulcèrent, se déchirent et se recollent, occasionnant un tableau clinique relativement atypique (palpitations, essoufflement, douleurs d’allure digestive), avec des symptômes fluctuants. Elles peuvent aussi se détacher de la paroi des artères coronaires et venir obstruer les petites artérioles du muscle cardiaque, abimant ainsi le cœur à bas bruit. Les femmes jeunes sont aussi 4 fois plus que les hommes sujettes aux dissections coronaires spontanées ; ces lésions, qui peuvent se manifester par une fatigue ou un essoufflement pour des efforts modérés de la vie quotidienne, des douleurs atypiques dans la poitrine ou encore des signes digestifs, sont l’une des principales causes d’infarctus du myocarde chez les femmes jeunes. Bien que rare, son incidence est en hausse alors qu’elle a baissé chez l’homme.

 

TLM : Quelle doit être l’attitude du médecin généraliste ?

Pr Claire Mounier-Véhier : Chaque étape clé de la vie hormonale d’une femme doit systématiquement donner lieu à la recherche de facteurs de risque cardiovasculaire et de signes d’alerte. On en dénombre six : la première consultation de contraception et la consultation de suivi de contraception ; la consultation préconceptionnelle puis la consultation prénatale (particulièrement le deuxième trimestre de la grossesse), assortie dans certains cas d’une consultation d’information après l’accouchement en cas de grossesse compliquée ; et, enfin, l’entrée dans la ménopause puis les consultations de suivi. Pas besoin d’examens sophistiqués mais un interrogatoire minutieux sur l’exposition aux facteurs de risque (contraception, antécédents obstétricaux, symptômes climatériques), un bilan biologique datant de moins d’un an (bilan lipidique complet, dosage du cholestérol total, HDL et LDL-cholestérol, triglycérides), la mesure du poids, du périmètre abdominal (<88 cm), le calcul de l’indice de masse corporel (<25), et la mesure de la tension artérielle (<135/85 mmHg). En présence de plus de trois facteurs de risque ou de symptômes « bizarres ou atypiques », la patiente doit être adressée à un cardiologue, qui lui prescrira des examens complémentaires tels qu’un échodoppler vasculaire, une échocardiographie d’effort et/ou un coroscanner, selon le contexte clinique.

 

TLM : À maladies cardiovasculaires spécifiques, traitements spécifiques ?

Pr Claire Mounier-Véhier : Les doses des médicaments indiqués dans le traitement des maladies cardiovasculaires, testées sur des cohortes majoritairement masculines, sont très probablement trop élevées pour des femmes. L’ordonnance reste néanmoins la même pour tous. Cela n’empêche cependant pas de faire preuve d’une certaine « finesse thérapeutique » et d’adapter le traitement. Par exemple, les femmes tolérant moins bien les statines, on peut leur proposer un schéma thérapeutique progressif sur six mois pour atteindre la dose souhaitée. Et utiliser des statines spécifiques dites hydrosolubles mieux tolérées. Les anti-agrégants plaquettaires prescrits après un infarctus du myocarde provoquant davantage de saignements chez les femmes que chez les hommes, notamment quand il y a plusieurs familles associées d’antiagrégants plaquettaires, il faut donc les surveiller étroitement.

 

TLM : En février 2020, vous avez cofondé « Agir pour le cœur des femmes » avec Thierry Drilhon, dirigeant d’entreprise et président de la Chambre de commerce franco-britannique. Quels en sont les objectifs ?

Pr Claire Mounier-Véhier : Ce fonds de dotation à vocation nationale et internationale (Women’s Cardiovascular Heathcare Foundation) a pour ambition de sauver la vie de 10 000 femmes à cinq ans. Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes donnés trois missions —3 A pour 3 âges : Alerter la société pour mobiliser autour de l’urgence médico-sociétale que représentent les maladies cardiovasculaires chez les femmes ; Anticiper pour mieux prévenir en formant les professionnels de santé et les femmes ; et Agir en coordonnant les soins, et notamment en développant un parcours cardiovasculaire et gynécologique afin de systématiser le dépistage de ces maladies aux trois âges de la vie hormonale des femmes. Parmi les premières actions, nous avons lancé une grande opération itinérante d’information, de sensibilisation et de prévention des maladies cardiovasculaires à l’intention des femmes en situation de précarité : des « Bus du Cœur » vont à leur rencontre pour leur proposer des consultations de dépistage cardiovasculaire, métabolique et gynécologique en nous appuyant sur l’écosystème local des professionnels de santé mais aussi des services des villes. Après Avignon, Lille, Marseille, La Rochelle, Saint-Étienne en 2021, nous prévoyons de les déployer dans 20 villes en 2022 et 80 en 2025 ! Ceci grâce à des mécènes et des entreprises engagés.

Propos recueillis

par Amélie Pelletier

Plus d’infos : www.agirpourlecoeurdesfemmes.com

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