• Pr Mortemousque: Freiner la myopie de l’enfant pour limiter les pathologies à l’âge adulte

Bruno Mortemousque

Discipline : Ophtalmologie

Date : 18/04/2023


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En très forte augmentation en France comme dans le reste du monde, l’évolution de la myopie de l’enfant doit être freinée pour éviter les complications oculaires chez l’adulte, recommande le Pr Bruno Mortemousque, ophtalmologiste-pédiatre à Bordeaux. Pour ce faire, il existe un ensemble de stratégies et de dispositifs adaptés au jeune âge.

 

TLM : Comment évolue l’épidémiologie de la myopie en France, en particulier chez l’enfant ?

Pr Bruno Mortemousque : Il existe désormais de nombreuses données sur la myopie de l’enfant, en France, grâce notamment à l’enquête menée récemment par le Pr Nicolas Leveziel du CHU de Poitiers. Aujourd’hui en Europe, 45 à 50% des 25-29 ans et 27% des enfants de dix ans seraient myopes. Dans certaines régions d’Asie, la prévalence de la myopie est de 90%, alors qu’il y a 20 ou 30 ans elle était de 40%. Des études récentes ont d’ailleurs montré que les périodes de confinement liées au Covid ont eu un impact très important sur la vision, en favorisant notamment la myopie des 6-8 ans.

 

TLM : Comment expliquer cette « épidémie » de myopie ?

Pr Bruno MorteMousque : Cette évolution est liée aux modifications du mode de vie. Les enfants vivent de plus en plus en milieu intérieur. Les activités sollicitant la vision de près se sont beaucoup développées par rapport à celles mettant en jeu la vision de loin. A l’origine, l’homme était un chasseurcueilleur, il passait sa vie dans la nature pour trouver sa nourriture. Aujourd’hui les enfants, dès leur plus jeune âge, sont surtout soumis à la lumière artificielle avec des activités en vision de près, sur des tablettes, des écrans, des téléphones, qui ont un impact délétère sur la vue. La vision de loin est de moins en moins stimulée chez les enfants et cela expliquerait en grande partie l’évolution épidémiologique actuelle. Nous voyons d’ailleurs tous les jours dans nos salles d’attente des enfants en bas âge, les yeux déjà rivés sur un téléphone, en attendant la consultation.

 

TLM : Le dépistage de la myopie est-il préconisé suffisamment tôt en France, selon vous ?

Pr Bruno MorteMousque : Le carnet de santé de l’enfant prévoit plusieurs examens de la vue entre la naissance et 15 ans. L’examen de la vision doit être réalisé notamment à neuf mois, deux ans et quatre ans. Tous les enfants n’en bénéficient pas. Cette pratique est très variable selon les régions. En Bretagne, par exemple, ce dépistage est très largement réalisé pour les jeunes enfants, car les médecins sont très bien équipés en réfractomètres de dépistage qui permettent d’avoir des indications sur la vision de l’enfant.

Grâce à ces dépistages systématiques, nous savons que certains enfants ont une myopie importante déjà à l’âge de un an. Mais, le plus souvent, le diagnostic est porté plus tard, à l’âge scolaire en particulier lorsque l’enfant est gêné à l’école pour voir le tableau.

 

TLM : De quels moyens disposons-nous pour freiner cette épidémie de myopie ?

Pr Bruno MorteMousque : Pour prévenir la myopie chez l’enfant, il faut augmenter le temps passé en extérieur dès le plus jeune âge. Il faut inciter les enfants à courir, faire du sport en extérieur et même leur suggérer, quand c’est possible, de faire leurs devoirs dehors, en leur demandant de regarder au loin de temps en temps. Nous recommandons à tous les enfants de passer au moins trois heures par jour dehors.

 

TLM : Quels sont les autres moyens pour freiner l’évolution de la myopie des enfants ?

Pr Bruno MorteMousque : En plus des mesures comportementales, plusieurs moyens existent pour freiner l’évolution de la myopie. Le traitement des yeux de l’enfant avec un collyre à 0,1 % d’atropine est largement utilisé en Asie, avec des résultats intéressants. L’atropine diminue la vitesse de croissance de la taille du globe oculaire. Ce traitement est bien toléré, il n’y a pas d’effets secondaires.

En revanche, en France, l’atropine en collyre et à faible dosage n’est pas disponible dans les officines en ville. Ce sont certaines pharmacies hospitalières qui les conditionnent et les délivrent sur prescription médicale.

 

TLM : Il existe également des moyens optiques, comme les lunettes et les lentilles de contact, pour freiner la myopie…

Pr Bruno MorteMousque : Oui, chez l’enfant myope, il est désormais possible de freiner l’évolution de la myopie grâce à des lunettes à la fois correctrices et défocalisantes. Le principe de ces verres est de défocaliser les rayons périphériques de la lumière pour qu’ils se projettent en avant de la rétine. Ces verres défocalisants vont faire converger plus en avant les rayons de lumière périphérique, permettant de diminuer la croissance de l’œil. Chez l’enfant myope, les rayons périphériques de la lumière se projettent en arrière de la rétine, ce qui accroît la taille du globe oculaire. Et c’est cette croissance du globe oculaire qui augmente la myopie. Ces lunettes peuvent être prescrites dès le diagnostic de la myopie et jusqu’à la fin de la croissance de l’œil.

Il existe également des lentilles de contact défocalisantes, basées sur le même principe. Elles peuvent être prescrites chez l’enfant plus grand, motivé, capable de respecter les règles d’hygiène nécessaires à l’usage des lentilles de contact. Sont également disponibles des lentilles dites orthokératologiques. Elles ne sont portées que la nuit. L’enfant les retire le matin au réveil. Il n’est pas nécessaire ensuite de mettre des lunettes correctrices dans la journée. Ces lentilles corrigent la myopie et la freinent en effectuant un remodelage de la cornée pendant la nuit qui persiste toute la journée. Elles modifient la courbure de la cornée et défocalisent aussi les rayons de lumière vers l’avant.

 

TLM : Ces stratégies s’avèrent-elles efficaces ?

Pr Bruno MorteMousque : Pour l’instant, avec cinq à six ans de recul, il a été montré qu’il était vraiment possible de freiner la myopie en ralentissant la croissance du globe oculaire par ces stratégies. En cas de myopie évolutive, ces dispositifs optiques peuvent être prescrits à tout âge. Dans certains cas particuliers, il est même parfois possible d’associer le collyre d’atropine à 0,1 % à des lunettes ou des lentilles pour être plus efficace.

 

TLM : Avec la freination de la myopie, les complications qui y sont associées diminuent-elles aussi ?

Pr Bruno MorteMousque : L’objectif de ces prises en charge de l’enfant est de réduire le risque d’évolution ultérieure vers une forte myopie, à l’âge adulte. Les personnes souffrant d’une forte myopie présentent plus souvent des complications oculaires, décollement de rétine, hémorragie de la macula...

Nous espérons, grâce à ces mêmes stratégies, réduire plus tard les pathologies ophtalmologiques graves de l’adulte liées à une forte myopie.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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