Pr Morgan Roupret : Ligne thérapeutique du cancer de la prostate à un stade avancé
Discipline : Uro-Néphrologie
Date : 08/10/2024
Si le cancer de la prostate au stade avancé est traité par hormonothérapie, le développement d’une résistance à la castration reste inéluctable. Et si, fort heureusement, de nouvelles pistes thérapeutiques voient le jour, le Pr Morgan Roupret, chirurgien urologue à la Pitié- Salpêtrière à Paris, s’interroge sur « l’accessibilité à ces derniers traitements pour tous les patients concernés ».
TLM : Le cancer de la prostate est-il fréquent ?
Pr Morgan Roupret : Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez l’homme en France et dans le monde occidental. D’après les dernières recommandations du comité de cancérologie de l’Association française d’urologie, 52 000 nouveaux cas par an sont observés en France. Sur l’ensemble de ces cas, on estime que 5 000 d’entre eux sont métastatiques au moment du diagnostic et qu’environ 9 000 concernent des cancers devenant métastatiques après récidive d’un traitement de première ligne pour une maladie localisée.
En tout état de cause, le cancer de la prostate reste rare avant 50 ans et son incidence augmente progressivement avec l’âge. Au moment du diagnostic, pour les formes sporadiques qui sont les plus fréquentes, l’âge avoisine généralement les 65-70 ans.
TLM : Des facteurs de risque ont-ils été identifiés ?
Pr Morgan Roupret : Lorsque deux ou trois antécédents personnels au premier degré de cancer de la prostate diagnostiqué avant l’âge de 55 ans sont recensés, on considère qu’il existe une forme familiale de la maladie. L’âge avancé constitue lui aussi un facteur de risque individuel.
Par ailleurs, on s’est aperçu que l’origine ethnique avait elle aussi une influence sur le risque de survenue du cancer de la prostate. Les populations asiatiques sont moins exposées que les populations caucasiennes et ce sont les populations afro-caribéennes qui sont les plus à risque de développer ce type de cancer.
TLM : Quelles en sont les modalités diagnostiques ?
Pr Morgan Roupret : En pratique, le dosage du PSA est utilisé en examen de débrouillage puisqu’il indique la probabilité éventuelle d’un cancer de la prostate, raison pour laquelle sa valeur prédictive est critiquée dans la littérature. Le cheminement diagnostique se fait ensuite par la réalisation d’une IRM de la prostate, d’un examen clinique et de biopsies prostatiques.
TLM : Si le traitement du cancer de la prostate dépend du stade de la maladie, quelle ligne thérapeutique pour la prise en charge des stades avancés ?
Pr Morgan Roupret : Pour les stades avancés, la ligne therapeutique classique est une hormonothérapie de premiere génération, type agonistes ou antagonistes de la LHRH qui bloquent l’axe hypothalamo-hypophysaire et donc la production de la testostérone par les testicules. Ces derniers sont administrés par voie injectable à intervalle régulier. En pratique, un traitement de premiere ligne est souvent associe aux nouvelles hormonothérapies (NHT) dites de deuxième génération (acétate d’abiraterone, enzalutamide, darolutamide et apalutamide) qui permettent d’améliorer nettement l’espérance et la qualité de vie du patient. On parle de « doublet ». Enfin, pour les quelques patients avec énormément de métastases et une maladie très agressive, il peut être discuté de la mise en place d’un « triplet » avec adjonction, en plus, d’une chimiothérapie par docétaxel. Cette dernière ligne thérapeutique reste une option à discrétion de discussions en réunion de concertation pluridisciplinaire entre oncologues et urologues.
Grâce à ces lignes thérapeutiques, on a gagné entre 2 et 10 ans d’espérance de vie en plus chez ces malades avec une pathologie qui va se chroniciser.
Récemment, le rélugolix est venu enrichir l’arsenal thérapeutique disponible.
TLM : Quelle est sa place dans le traitement du cancer de la prostate à un stade avancé ?
Pr Morgan Roupret : Le rélugolix constitue une option thérapeutique supplémentaire dans le traitement de première intention du cancer de la prostate hormonodépendant à un stade avancé. Une nouvelle molécule dans la catégorie des agonistes et antagonistes de la LHRH, hormonothérapie de première génération. Elle présente la particularité d’être un traitement par voie orale, offrant donc une prise plus simple et moins d’effet local que les traitements par voie injectables déjà disponibles. De par cette administration per os, le rélugolix peut être indiqué pour les patients qui supportent mal les piqûres, par exemple.
TLM : Quid des patients développant une résistance à l’hormonothérapie ?
Pr Morgan Roupret : Malheureusement, l’hormonosensibilité n’est pas éternelle (avec une durée moyenne de l’ordre de 3-4 ans) et des formes de résistance à la castration vont survenir de façon inéluctable. Dès lors que la tumeur devient résistante a un premier traitement a base d’hormonothérapie, il peut être propose de modifier le traitement hormonal mais il n’est pas rare d’observer des résistances croisées. Le traitement par docetaxel est alors indique. Par ailleurs, les inhibiteurs de PARP ont montré un véritable intérêt pour lutter contre certains cancers métastatiques de la prostate qui ne sont plus sensibles aux hormonothérapies, en particulier chez les patients présentant des altérations du gène BRCA2.
TLM : De nouvelles pistes thérapeutiques sont-elles à l’essai pour les stades avancés ?
Pr Morgan Roupret : Oui, car 70 % des gens qui meurent du cancer de la prostate décèdent de leurs formes métastatiques. C’est la raison pour laquelle il y a une telle concentration de moyens sur les quelques milliers de patients diagnostiqués à un stade avancé et qui sont confrontés à une maladie mortelle. En ce sens, la radiothérapie interne vectorisée, comme avec le Lutétium 177-PSMA-617, constitue un réel espoir thérapeutique dans la prise en charge de certains cancers de la prostate au stade métastatique résistants aux hormonothérapies de premiere et deuxième générations ainsi qu’a la chimiothérapie. On parle ici d’injection radioactive thérapeutique. Toutefois, si les hormonothérapies dont nous avons parlé (que ce soit per os ou par injection) sont facilement disponibles sur l’ensemble du territoire national, la radiothérapie interne vectorisée nécessite quant à elle un plateau technique et un investissement de la structure de soins qui est important : chambres isolées, capacité de se faire livrer des vecteurs radioactifs, etc. A mon sens, ce dernier point laisse à penser que ces traitements ne sont pas accessibles à l’intégralité des patients concernés et pose donc une vraie question sur la disponibilité des traitements modernes et la problématique potentielle d’une médecine à deux vitesses.
Propos recueillis
par Marie Ruelleux ■