• Pr MOREAU : L’écot des anticorps monoclonaux dans le traitement des myélomes en rechute

Philippe MOREAU

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 11/04/2022


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Dans la prise en charge des myélomes en rechute, les progrès ont été énormes, souligne le Pr Philippe Moreau, hématologue au CHU de Nantes, notamment grâce à l’utilisation des anticorps monoclonaux. Si bien que cette maladie est actuellement considérée comme bien moins grave qu’il y a une quinzaine d’années...

 

TLM : Quelle est l’incidence du myélome aujourd’hui en France ?

Pr Philippe Moreau : Le myélome, maladie statistiquement rare, constitue, en termes de fréquence, la deuxième hémopathie maligne, soit actuellement 6 à 7 000 nouveaux cas chaque année. L’âge médian au diagnostic est de 70 ans. Son incidence augmente. A noter que cette maladie est plus fréquente chez les patients exposés durant plus de 10 ans aux pesticides. A ce titre le myélome est aujourd’hui pris en charge en tant que maladie professionnelle chez les agriculteurs. C’est là un point qu’il est important que les médecins généralistes connaissent.

 

TLM : Quand traiter et selon quels protocoles ?

Pr Philippe Moreau : Cette maladie est traitée en première ligne quand les malades sont symptomatiques, c’est-à-dire en pratique lorsqu’ils présentent des douleurs osseuses avec un pic monoclonal important. Autres critères de mise en route du traitement : une anémie, une hypercalcémie ou une insuffisance rénale. Globalement on traite les malades en première ligne selon un critère d’éligibilité ou non à un traitement intensif — une chimiothérapie agressive — suivi d’autogreffe de cellules hématopoïétiques. Ces traitements entraînent la plus longue durée de réponse. L’autogreffe est pratiquée systématiquement chez les patients de moins de 65-70 ans, et n’est pas réalisée chez ceux ayant dépassé cette limite d’âge. Pour les autres patients plus âgés, non éligibles à l’autogreffe, on propose un traitement de première ligne associant plusieurs molécules, par exemple : un anticorps monoclonal, le daratumumab, qui cible les cellules tumorales, que l’on donnera en association avec un immuno-modulateur, le lénalidomide et la dexaméthasone. Ces traitements entraînent des durées de première réponse extrêmement longues, cinq ans en moyenne chez les patients âgés, et de sept à huit ans chez les patients jeunes. Les progrès ont été énormes, notamment grâce à l’utilisation des anticorps monoclonaux, si bien que cette maladie est actuellement bien moins grave qu’il y a 15 ans.

 

TLM : Que faire en cas de rechute ?

Pr Philippe Moreau : Il est en effet à déplorer que la grande majorité des patients rechutent. Le cas échéant, on aura recours à des combinaisons de médicaments que ces patients n’ont pas reçu en première ligne ou pour lesquels ils n’étaient pas réfractaires. Nous disposons de toute une panoplie de médicaments approuvés, ce qui nous permet de choisir la meilleure séquence thérapeutique. En cas de rechute on préconise, sur la base d’essais internationaux de phase 3 et de ce qui est remboursé, la meilleure association compte tenu de la première ligne administrée. Les malades qui n’ont pas reçu d’anticorps monoclonaux en première ligne en recevront systématiquement lors de leur rechute. En plus des anticorps monoclonaux, on peut associer du polamidomide, un immunomodulateur, ou du carfilzomib, un inhibiteur du protéasome, produits très spécialisés donnés exclusivement dans des services d’hématologie. En général, la deuxième réponse dure moitié moins de temps que la première, soit de deux et quatre ans maximum. Autrement dit, une nouvelle rechute surviendra.

Lors de cette deuxième rechute, on essaiera toujours, comme d’ailleurs lors de la première, de proposer un essai clinique. En effet, tous les centres traitant le myélome en France participent à l’Intergroupe francophone du myélome, groupe coopérateur proposant des guidelines, des algorithmes de traitement ainsi que des protocoles de recherche clinique. On essaiera donc toujours d’inclure le malade dans l’un de ces protocoles car c’est là que les résultats sont les meilleurs.

 

TLM : Quelles sont les nouvelles perspectives en matière de traitement ?

Pr Philippe Moreau : S’agissant des malades avancés, c’est-à-dire à partir de la deuxième rechute, la grande nouveauté actuellement développée en France, en Europe et dans le monde entier, c’est l’immunothérapie, qu’on utilise en lieu et place des produits habituels de chimiothérapie. Cette immunothérapie est de deux types. Premièrement, les anticorps dits bispécifiques, au sens où une partie de l’anticorps se fixe sur la cellule tumorale tandis que l’autre partie va se fixer sur le lymphocyte T pour le rapprocher de la cellule tumorale et la tuer. Ces anticorps bipécifiques font l’objet d’un développement considérable. Ce traitement sera probablement utilisable à la fin de cette année. Le deuxième type d’immunothérapie ce sont les CAR-T, lymphocytes T qu’on prélève chez le malade par plasmaphérèse —filtration sanguine— et que l’on modifie ex vivo, en dehors du corps du malade, de façon à ce qu’ils reconnaissent spécifiquement la cellule tumorale. Une fois modifiés, ils ciblent un antigène toujours et quasi exclusivement exprimé par la cellule tumorale. Ce sont des cellules tueuses qui visent dans la moëlle osseuse les cellules malignes. Ils sont extrêmement efficaces puisqu’ils donnent des durées de survie d’environ deux ans chez des malades qui n’avaient pas d’alternative thérapeutique. Ces CAR-T, qui commencent à être utilisés en France où ils ont une autorisation d’utilisation, constituent une révolution dans la prise en charge du myélome. Cependant le process de modification des lymphocytes T prélevés est tel que ces derniers ne peuvent, pour le moment, être produits à grande échelle. Actuellement en France, seulement 10 patients peuvent en recevoir chaque mois. Nous ne sommes encore qu’au début de ce traitement.

 

TLM : Quel suivi en médecine générale du patient traité ?

Pr Philippe Moreau : Le suivi de ces patients s’effectue exclusivement en service d’hématologie à travers des consultations très régulières, prévues à l’avance. Le médecin généraliste doit s’inquiéter en cas d’apparition de nouvelles douleurs osseuses, d’une anémie ou d’une hypercalcémie. Il devra alors systématiquement adresser le malade à l’hématologue. Le médecin généraliste aura souvent à voir le malade pour les problèmes de douleurs, il prescrira alors des antalgiques, souvent de pallier 3 ou des morphiniques. En outre ces malades présentent, en raison de leur déficit immunitaire, de nombreuses complications infectieuses, notamment ORL ou pulmonaires. Et dans ces cas-là, il devra prescrire des antibiotiques sans attendre et adresser le malade à l’hématologue.

Propos recueillis

par Daniel Paré

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