• Pr MOLINA : La médecine de ville légitimée pour la prophylaxie pré-exposition du VIH

Jean-Michel MOLINA

Discipline : Infectiologie

Date : 11/04/2022


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L’obligation d’une consultation hospitalière initiale constituait un frein aux prescriptions dans la prévention de l’infection par le VIH. L’ouverture de la prescription de la PrEP (Prophylaxie pré-exposition) au médecin généraliste induit une « délivrance en ville », considère le Pr Jean-Michel Molina, de l’Université de Paris et chef du service des Maladies infectieuses à l’hôpital Saint- Louis et à l’hôpital Lariboisière.

 

TLM : Les médecins généralistes peuvent-ils tous prescrire la PrEP pour la prévention de l’infection par VIH ?

Pr Jean-Michel Molina : Tous les médecins généralistes peuvent désormais initier une prescription de PrEP et ce depuis juin 2021, pour peu qu’ils soient formés à cette stratégie de prévention de l’infection par le VIH. Depuis plusieurs années déjà, il leur était possible de renouveler les ordonnances. Mais ils ne pouvaient pas initier le traitement. Désormais, des médecins généralistes peuvent commencer à délivrer ce traitement basé sur une association de médicaments antiviraux, et assurer le suivi complet des patients bénéficiant de la PrEP. C’est vraiment une avancée majeure, car l’obligation d’une consultation hospitalière pour obtenir la PrEP était un frein aux prescriptions et à la diffusion de cette stratégie de prévention. Cette délivrance en ville permettra de toucher beaucoup plus de personnes à risque, souvent réticentes à aller consulter à l’hôpital. Les médecins généralistes ont désormais un rôle très complet concernant la lutte contre le sida et en particulier sa prévention.

 

TLM : Comment les médecins généralistes peuvent-ils se former à la prescription de la PrEP ?

Pr Jean-Michel Molina : Plusieurs documents viennent d’être publiés dans cet objectif. La SPILF (Société de pathologie infectieuse de langue française) a proposé des recommandations pour aider les médecins à prescrire la PrEP. De même, la Haute Autorité de santé a publié un avis pour expliquer aux médecins généralistes, en particulier, comment et pour qui mettre en œuvre cette prescription. Des formations en ligne sont aussi disponibles désormais sur le site de la Société française de lutte contre le sida. Les médecins généralistes qui le souhaitent peuvent donc prendre en charge leurs patients demandant la PrEP. Par ailleurs, il sont aussi les mieux placés pour interroger leurs patients sur leur santé sexuelle, les informer sur la PrEP et évaluer l’indication de cette prévention du VIH.

 

TLM : A qui est précisément destinée la PrEP ?

Pr Jean-Michel Molina : Ce traitement préventif s’adresse à toutes les personnes à risque élevé de contamination par le virus du sida. Ainsi, les hommes qui ont des relations avec les hommes sont la cible privilégiée de ce traitement, en particulier ceux qui ont régulièrement des rapports non protégés avec des partenaires multiples. Il est important de bien apprécier le risque actuel ou futur lors de la prescription, par l’interrogatoire. Mais le risque est également élevé pour les populations hétérosexuelles migrantes originaires d’Afrique sub-saharienne. Les hétérosexuel(le)s avec de multiples partenaires sont aussi concernés. L’information sur la PrEP et sur la prévention de manière générale doit concerner les patients ayant une activité sexuelle, leurs amis, leurs conjoints, leurs partenaires.

 

TLM : Quels sont les bénéfices et les inconvénients de la PrEP ?

Pr Jean-Michel Molina : Le principal avantage c’est que la protection contre le VIH est de quasi 100 % lorsque le traitement est pris correctement. Par ailleurs, cette PrEP est très bien tolérée, avec une absence de toxicité sur le long terme. Certaines personnes peuvent se plaindre de troubles digestifs, transitoires, au début. Mais, il faut le souligner, il n’y a pas de problème de tolérance, à court, moyen et long terme. Chez les hommes de plus de 50 ans, il faut vérifier la fonction rénale, car le traitement est contre-indiqué en cas d’insuffisance rénale avérée. L’inconvénient c’est que la PrEP ne protège pas contre les autres infections sexuellement transmissibles (IST) fréquentes chez les personnes à risque. Il est recommandé au patient de prendre la PrEP, sans renoncer aux préservatifs dans les situations à haut risque. D’un autre coté la PrEP est une opportunité de mieux dépister et traiter les IST.

 

TLM : Concrètement comment rédiger les prescriptions ?

Pr Jean-Michel Molina : Le médecin face à une personne à risque qui sollicite une PrEP ou à qui il la propose doit d’abord s’assurer que le patient n’est pas déjà infecté par le VIH. Un test datant de moins de sept jours est indispensable avant la prescription. Cette consultation est aussi l’occasion de prescrire un bilan à la recherche des autres IST, en particulier la syphilis et les infections par les virus de l’hépatite B et C. Concrètement, il existe deux modalités de prescription de PrEP. Soit le patient prend un comprimé par jour tous les jours en continu. Ou bien, en fonction de son activité sexuelle, il peut aussi bénéficier d’une prescription à la demande, avant et après les rapports sexuels : avant un rapport à risque, il s’agit de prendre deux comprimés entre 2 et 24 heures avant le rapport et ensuite un comprimé par jour pendant les 48 heures suivantes.

 

TLM : Quel bilan peut-on déjà tirer de l’utilisation de la PrEP ?

Pr Jean-Michel Molina : Selon le réseau de surveillance Epi-phare, depuis 2016, année d’autorisation de la PrEP en France, 40 000 personnes au total en auraient déjà bénéficié. Actuellement 25 000 personnes reçoivent cette PrEP. Les patients arrêtent à un moment ou un autre, car ils n’en ont pas forcément besoin toute leur vie. Clairement, chez les personnes qui prennent correctement la PrEP, les études ont confirmé la quasi-absence de nouvelles contaminations par le VIH. Avec un partenaire de rencontre, dont on ne sait pas s’il est positif au VIH, la PrEP protège incontestablement.

Certaines maladies sexuellement transmissibles peuvent être observées sous PrEP si la personne arrête d’utiliser totalement les préservatifs. Mais de manière collatérale, nous avons observé avec la PrEP une diminution des contaminations par la syphilis chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes. Cela s’explique par le fait que la recherche systématique des IST lors du renouvellement des prescriptions de PrEP qui sont réalisés tous les trois mois dépiste des syphilis parfois asymptomatiques, permet de les traiter, ce qui réduit le risque de diffusion de cette maladie. Il est en effet recommandé de voir ces patients sous PrEP tous les trois mois en consultation, pour une recherche de VIH et des autres IST et pour renouveler l’ordonnance.

 

TLM : Et à l’avenir ?

Pr Jean-Michel Molina : Il y a beaucoup de recherches concernant la prévention médicamenteuse du VIH. Aux Etats-Unis, un traitement préventif basé sur une injection intramusculaire tous les deux mois vient d’être autorisé. Des implants sous-cutanés sont également à l’étude.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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