• Pr Michel Ducreux : Les vertus de l’immunothérapie dans les cancers de l’œsophage

Michel Ducreux

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 13/10/2022


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L’immunothérapie a un rôle à jouer dans les tumeurs de l’œsophage, soit seule en adjuvant après radio-chimiothérapiechirurgie, soit en combinaison avec la chimiothérapie dans les formes plus avancées, estime le Pr Michel Ducreux, chef du service d’Oncologie digestive à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif).

 

TLM : Quels signes doivent faire évoquer un cancer de l’œsophage ?

Pr Michel Ducreux : Le premier symptôme dont les patients se plaignent c’est la dysphagie. Quand les malades commencent à avoir des difficultés à avaler, l’œsophage est déjà aux deux tiers rétréci. Dès les premiers accrochages d’un morceau de pain, de viande ou autre, lors de la déglutition, une consultation chez un gastroentérologue est nécessaire. Et ce d’autant plus que le patient a un terrain alcoolo-tabagique ou qu’il souffre d’un reflux gastro-œsophagien (RGO). Les patients souffrant de RGO, même importants, ne sont d’ailleurs pas assez surveillés. Ils pratiquent souvent l’automédication, consultent peu les médecins. En réalité pour les formes sévères de RGO, des endoscopies digestives devraient être pratiquées régulièrement pour dépister les lésions de l’œsophage à haut risque. Il peut s’agir d’une métaplasie, qui peut évoluer vers une dysplasie, se transformer en lésion de bas grade, enfin de haut grade… Cette transition peut ne jamais se produire, mais une surveillance est nécessaire. Parfois, le cancer de l’œsophage est révélé par l’apparition d’adénopathies sus-claviculaires. Plus rarement encore, ce cancer est découvert à l’occasion d’un bilan pour métastases hépatiques. Dans tous les cas, c’est une endoscopie haute avec une biopsie qui permettra de faire le diagnostic, suivi d’un bilan d’extension. Les cancers épidermoïdes, en lien avec une intoxication alcoolo-tabagique ont tendance à diminuer, les adénocarcinomes liés à un reflux gastro-œsophagien sont eux plutôt en augmentation. En France, 5 445 cas de cancers de l’œsophage ont été diagnostiqués en 2018.

 

TLM : Comment les cancers de l’œsophage sont-ils pris en charge aujourd’hui ?

Pr Michel Ducreux : La prise en charge est assez compliquée. Elle est forcément pluridisciplinaire, associant chirurgien, radiothérapeute, gastroentérologue, oncologue médical. Lorsqu’il s’agit de petites lésions superficielles de découverte fortuite, par exemple dans le cadre d’un bilan pour un cancer ORL, ce qui arrive parfois, mais de manière exceptionnelle, le traitement par voie endoscopique peut être suffisant, avec une simple exérèse des lésions. Dans les autres cas, la prise en charge est un peu différente pour le cancer épidermoïde et pour l’adénocarcinome.

 

TLM : Quels traitements pour le cancer épidermoïde ?

Pr Michel Ducreux : Lorsqu’il s’agit d’une tumeur au stade T1T2N0, le traitement de référence est la chirurgie, à condition que le patient soit en bon état général, qu’il puisse supporter l’anesthésie, l’intervention, les suites opératoires. Cette chirurgie est contre-indiquée pour les patients atteints d’un cancer ORL, un cancer du poumon ou s’ils présentent notamment une insuffisance respiratoire. Pour les cancers plus avancés, au stade T3T4 avec atteinte ganglionnaire, la prise en charge du patient repose sur l’association d’une radio-chimiothérapie, suivie ou non d’une chirurgie. Celle-ci n’est décidée qu’après un débat entre experts, en fonction des caractéristiques du patient et de sa maladie. Des essaisrécents ont montré que pour les patientstraités par radiochimiothérapie et ayant bénéficié d’une chirurgie, la prescription d’une immunothérapie, de la famille des anti-PDL1, en traitement adjuvant, améliore nettement la survie. Aujourd’hui, les oncologues spécialisés en pathologie digestive ont le droit de prescrire cette immunothérapie adjuvante, dans cette indication, dans le cadre d’un accès précoce. Des négociations sont en cours pour le passage en routine, dans cette indication. Avec la prise en charge, la survie moyenne des patients est de l’ordre de 50% à cinq ans.

 

TLM : Et le traitement des adénocarcinomes de l’œsophage ?

Pr Michel Ducreux : Le traitement des adénocarcinomes de l’œsophage au même stade n’est pas très différent, avec une chimiothérapie préopératoire, suivie d’une chirurgie et d’une reprise de chimiothérapie postopératoire, la radiothérapie ayant un rôle un peu moins clair. L’immunothérapie est également prescrite en tant que traitement adjuvant si le patient a bénéficié de la séquence radio-chimiothérapie-chirurgie.

 

TLM : Comment ces traitements adjuvants à base d’immunothérapie ont-ils amélioré la survie ?

Pr Michel Ducreux : Un grand essai thérapeutique publié récemment a montré que la médiane de survie était de 28 mois avec le nivolumab comme traitement adjuvant, contre 18 mois lorsque les patients ne recevaient qu’un placebo. Globalement, à deux ans, 55% des patients atteints d’un cancer de l’œsophage étaient toujours vivants lorsqu’ils recevaient l’immunothérapie en adjuvant et seulement 45% avec le placebo. Les résultats sont un peu différents, selon le type de cancer. Les tumeurs épidermoïdes semblent plus sensibles à l’immunothérapie que les adénocarcinomes. La médiane de survie pour les adénocarcinomes de l’œsophage est de 11 mois avec le placebo, et de 19 mois avec l’immunothérapie adjuvante. Cette médiane de survie est de 29 mois pour les cancers épidermoïdes de l’œsophage recevant l’immunothérapie. Ce traitement adjuvant est bien toléré — pas de nausées ni de vomissements. Le seul risque, comme avec toutes les immunothérapies, c’est l’apparition de troubles auto-immuns qui restent rares. L’immunothérapie dure deux ans sous forme d’une perfusion en hôpital de jour tous les 15 jours au début et une fois par mois, à double dose, par la suite.

 

TLM : Et comment traiter les cancers de l’œsophage métastatiques ?

Pr Michel Ducreux : Dans les formes métastatiques, le progrès vient de l’adjonction de pembrolizumab à la chimiothérapie dans les carcinomes épidermoïdes, et aussi du nivolumab dans les adénocarcinomes de la jonction œsogastrique, chez certains patients. L’immunothérapie a un rôle à jouer dans les tumeurs de l’œsophage, soit seule en adjuvant après radio-chimiothérapie-chirurgie, soit en combinaison avec la chimiothérapie dans les formes plus avancées.

Mais tout dépend des caractéristiques biologiques de la tumeur.

 

TLM : Suite au récent congrès de l’ESMO (European Society for Medical Oncology), quelles présentations vous ont semblé importantes ?

Pr Michel Ducreux : Il y a eu la présentation d’un essai important, NICHE, concernant le cancer du côlon. Selon cet essai, pour les cancers du côlon très localisés (15% des cancers du côlon), la prescription en préopératoire d’une immunothérapie associant nivolumab et ipilimumab permet de faire disparaître la tumeur dans 67% des cas. Au total, 99% des patients répondent à cette immunothérapie. Pour 95% d’entre eux, la réponse est majeure. Ce sont des résultats exceptionnels. Il reste à déterminer s’il faut continuer à opérer le patient quand l’immunothérapie a été suffisante pour faire disparaître le cancer.

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