• Pr Mathurin Fumery : La maladie de Crohn de mieux en mieux prise en charge

Mathurin Fumery

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 23/10/2023


  • 408_photoParole_131_PE_Fumery.jpg

En France environ 120 000 personnes souffrent de la maladie de Crohn. Elle est de mieux en mieux prise en charge grâce à un arsenal thérapeutique qui s’étoffe régulièrement. Le point avec le Pr Mathurin Fumery, chef du service d’Hépato-Gastroentérologie du CHU Amiens-Picardie.

 

TLM : Quelles sont les causes de la maladie de Crohn ?

Pr Mathurin Fumery : La maladie de Crohn est multifactorielle, avec des causes génétiques et des facteurs environnementaux. Par exemple, le tabac, qui la favorise et l’aggrave. Les aliments ultratransformés qui contribuent au développement de l’inflammation intestinale.

Sont vraisemblablement impliquées la pollution de l’air, des sols, et l’exposition aux pesticides. Les anomalies du microbiote, les anomalies de la perméabilité intestinale, une activation lymphocytaire sont aujourd’hui reconnues comme facteurs de risques. Notamment la dysbiose avec une diminution qualitative et quantitative de la richesse microbienne.

 

TLM : Comment ont évolué les traitements de la maladie de Crohn ?

Pr Mathurin Fumery : On a assisté à une première révolution au début des années 2000 avec l’apparition des premiers anti-TNF. De nouvelles biothérapies ont suivi. En cette fin 2023 apparaissent les inhibiteurs de JAK. Ces molécules, à prendre par voie orale une fois par jour, inhibent donc le système immunitaire. Elles sont particulièrement indiquées dans les fissures et les abcès de l’anus. Il est possible qu’elles entraînent un sur-risque de thromboses artérielles et veineuses, ainsi que de cancers, chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. Ce qui explique des restrictions de prescription. Nous avons maintenant des inhibiteurs d’interleukine 23 : ils ont représenté une véritable révolution en dermatologie dans le traitement du psoriasis. Dans la maladie de Crohn, le dernier essai fast-fast a montré la supériorité clinique et anatomique du risankizumab (un anti-IL 23) sur l’ustékinumab (un anticorps monoclonal).

 

TLM : Quelle place gardent les corticoïdes dans la maladie de Crohn ?

Pr Mathurin Fumery : Une place importante. Ils ont une action anti-inflammatoire puissante et sont toujours utilisés dans Crohn : il s’agit d’un traitement efficace des poussées, en cures courtes, au maximum trois mois. Mais on ne les utilise pas au long cours, à cause de leurs effets secondaires. Ils sont aussi prescrits en relai du traitement de fond. C’est d’ailleurs une bonne opportunité pour réévaluer ce dernier. Les nouveaux médicaments n’ont donc pas détrôné les anciens.

 

TLM : Quelles sont les recommandations actuelles ?

Pr Mathurin Fumery : Aujourd’hui, nous n’avons pas encore de recommandations françaises.

Elles sont en cours de rédaction par le GETAID (Groupe d’étude thérapeutique des affections inflammatoires du tube digestif) et seront prêtes début 2024. Pour traiter, nous nous basons uniquement sur des recommandations européennes et nous gardons en tête les paramètres d’AMM et de remboursement. On prescrit en première ligne une cure de corticoïdes aux patients qui entrent dans une forme légère de la maladie, et on attend de voir comment ils réagissent. Certains malades commencent par une forme sévère : on introduit tout de suite un anti-TNF (pour des raisons de remboursement). En cas d’échec, nous avons le droit de prescrire un autre anti-TNF, ou de l’ustékinumab (des antiIL 12 et anti-IL 23) ou du védolizumab, une anti-intégrine. En 2024, on pourra prescrire un nouvel anti-IL 23 (le résankizumab) ou l’upalacétinim (inhibiteur de JAK) en deuxième ligne ou troisième ligne, après échec des anti-TNF. Les modalités de remboursement restent à déterminer. Quant aux immunosupresseurs, de type thiopurines ou méthotrexate, ils sont utilisés surtout en combothérapie, c’est-à-dire en association avec les anti-TNF pour augmenter l’efficacité de ces derniers. Un essai fast-fast est en cours pour montrer l’intérêt de la combinaison de deux biothérapies : un anti-IL 23 et un anti-TNF. Ce double traitement a démontré son efficacité pour la rectocolite hémorragique. On espère la même chose pour Crohn.

 

TLM : La qualité de vie des patients s’est-elle nettement améliorée ?

Pr Mathurin Fumery : Difficile à dire car les études scientifiques n’évaluent que depuis peu la qualité de vie et le handicap. Néanmoins, par le ressenti des patients, on constate de réelles améliorations de la qualité de vie, avec des rémissions profondes. Chez certains, la totalité de l’intestin redevient normale, sous réserve de prendre le traitement au long cours. Mais pas encore chez tous : c’est pourquoi nous avons besoin de nouvelles molécules.

 

TLM : Quel est l’objectif de l’étude ICARE II ?

Pr Mathurin Fumery : Compte tenu de l’arrivée des anti-interleukines et des anti-JAK, le GETAID a besoin d’évaluer en vie réelle la tolérance et l’efficacité de ces nouveaux traitements des MICI, afin d’observer s’ils modifient l’histoire naturelle de la maladie.

L’objectif, c’est aussi d’évaluer la qualité de vie et de surveiller les effets secondaires : risques de cancers, d’infections et d’événements cardiovasculaires associés aux nouvelles thérapies. Nous souhaitons inclure 10 000 personnes en France, suivies pendant quatre ans minimum. Nous avons besoin de 250 gastroentérologues, libéraux et hospitaliers, pour mener à bien cette étude. Mais c’est le patient qui sera sollicité tous les mois sur son smartphone pour indiquer la tolérance et l’efficacité.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge des patients atteints de Crohn ?

Pr Mathurin Fumery : Il a un rôle essentiel dans le diagnostic et le suivi de cette maladie. Il faut surveiller notamment les traitements immunosuppresseurs qui peuvent favoriser des infections et proposer par exemple la vaccination contre la Covid, la grippe et le pneumocoque. Il faut être attentif aux effets secondaires : certaines molécules augmentent le risque de problèmes dermatologiques (comme des tumeurs dermatologiques non mélanocytaires), gynécologiques (risque augmenté d’infections à papillomavirus pour certains immunosuppresseurs), et cardio-vasculaires. Le médecin généraliste doit aussi s’assurer que les patients dont le côlon est atteint réalisent régulièrement leur coloscopie de contrôle.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

  • Scoop.it