• Pr Martine Laville : Comment la stigmatisation de l’obésité impacte la demande de soins…

Martine Laville

Discipline : Métabolisme, Diabète, Nutrition

Date : 18/04/2023


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Dans la rue, au travail, dans les lieux de loisirs, partout les personnes en situation d’obésité souffrent du regard de la société. Une stigmatisation, déplore le Pr Martine Laville, professeur de Nutrition à l’Université Lyon-1, qui a des répercussions négatives sur la demande de soins…

 

TLM : La stigmatisation des personnes en situation d’obésité représente-t-elle un handicap dans leur prise en charge ?

Pr Martine Laville : Les personnes en situation d’obésité sont nombreuses à se plaindre d’être stigmatisées. Elles souffrent du regard que la société porte sur elles, dans la rue, au travail, dans les lieux de loisirs, partout… Et cela peut être assez violent. De surcroît, les patients en situation d’obésité qui se sentent stigmatisés ont tendance à moins souvent demander de l’aide pour être pris en charge. Tout doit être mis en œuvre pour lutter contre cette stigmatisation qui influe négativement sur la demande de soins. Lesstratégies de traitementsont cependant en plein développement et devraient permettre la prise en charge à tous les stades de cette maladie.

 

TLM : Comment le nombre des personnes en situation d’obésité a-t-il évolué ?

Pr Martine Laville : L’obésité augmente partout dans le monde. Selon une enquête récente, en France 17 % des adultes seraient en situation d’obésité, c’est-à-dire qu’ils ont un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30. Ce qu’il y a d’inquiétant c’est que le nombre de personnes souffrant d’une obésité de grade 3, à savoir avec un IMC supérieur à 40, est en augmentation. Cette obésité de grade 3 concerne désormais 2% de la population française. Quant à l’obésité de l’enfant, elle aurait tendance à diminuer. Mais lorsque l’on regarde les données, cette diminution concerne essentiellement les milieux socio-économiques favorisés. L’obésité augmente pour les enfants des groupes les plus défavorisés. Les enfants d’ouvriers ont quatre fois plus de risque d’être obèses que les enfants de cadres.

 

TLM : Quelles sont les causes du développement de cette obésité ?

Pr Martine Laville : Il y a bien sûr un facteur de prédisposition génétique. L’obésité se développe chez des personnes ayant un terrain prédisposant, dans un environnement « obésogène » : sédentarité, alimentation excessivement grasse et sucrée… La cause de l’obésité dite commune s’explique par une prédisposition dans un environnement délétère, avec une alimentation sans repère, sans alternance jeûne/repas… Ces dernières années, plusieurs nouveaux gènes de l’obésité ont été identifiés, notamment dans les voies de la leptine et de la mélanocortine, altérant la satiété.

 

TLM : Quelles sont les stratégies de prise en charge de l’obésité commune ?

Pr Martine Laville : Après une évaluation médicale de la situation par un médecin généraliste ou nutritionniste, une modification des modes de vie est généralement conseillée, en première intention. Une aide peut être nécessaire et peu reposer sur des approches pluri-disciplinaires impliquant diététicien, psychologues, éducateur d’activité physique adaptée. Il faut mettre en place une aide au changement de mode de vie. Cette aide est multidisciplinaire et repose sur des soignants paramédicaux, nutritionnistes, psychologues, éducateurs d’activité physique adaptée. Malheureusement, ces prises en charge paramédicales ne sont pas remboursées par l’Assurance maladie. Ce soutien paramédical est souvent très utile car il est très difficile de maigrir quand tout repose sur la bonne volonté, surtout pour les patients dont la vie est difficile et qui n’ont pas les moyens de manger sainement. Depuis quelques mois, des innovations dans l’organisation de la prise en charge de l’obésité se sont développées. Un forfait de soins, destiné aux enfants et aux adultes en situation d’obésité, ainsi qu’aux personnes suivies après chirurgie bariatrique, est en cours d’évaluation. Ce forfait est défini selon chaque patient par un médecin nutritionniste qui met en place la stratégie. Il peut s’agir d’un suivi par un diététicien pour corriger les erreurs alimentaires et/ou d’un suivi par un coach en activités physiques, ou encore d’une thérapie avec un psychologue en cas de troubles du comportement alimentaire. Des séances d’éducation thérapeutique peuvent compléter la prise en charge.

 

TLM : Quelle est la place des médicaments dans le traitement de l’obésité ?

Pr Martine Laville : Jusqu’à présent, il y a eu un véritable fiasco des médicaments contre l’obésité, quasiment tous retirés du marché en raison de leurs effets secondaires. Il existe depuis peu une nouvelle classe thérapeutique indiquée dans l’obésité et qui a passé toutes les étapes des essais cliniques avec succès. Il s’agit de médicaments prescrits depuis quelques années dans le diabète de type 2, les analogues du Glucagon-Like Peptide (GLP)-1 et qui ont montré une réelle efficacité dans la perte de poids. Ces molécules sont des analogues d’une hormone digestive qui notamment transmet au cerveau un message de satiété, signalant que l’organisme n’a plus faim. Ces médicaments augmentent donc la sensation de satiété assez vite pendant le repas et conduisent à arrêter de manger. Ils sont bien tolérés, avec peu de contre-indications. Il y a cependant quelques effets secondaires comme des diarrhées ou une pesanteur gastrique. Un des médicaments de cette classe, le semaglutide vient de recevoir une autorisation européenne de mise sur le marché pour les patients souffrant d’obésité avec un IMC supérieur ou égal à 30 ou un IMC supérieur à 27 en cas de comorbidités associées. En France, le médicament n’est pas encore commercialisé ; la Haute Autorité de santé a autorisé ce médicament dans le cadre d’un accès précoce pour les personnes souffrant d’obésité avec un IMC supérieur à 40 et des comorbidités.

 

TLM : Quels sont les résultats obtenus avec ce médicament ?

Pr Martine Laville : Ce médicament, prescrit sous forme d’une injection sous-cutanée hebdomadaire, a permis d’obtenir des résultats très concluants. La dose hebdomadaire commence à 0,25 mg et augmente sur une période de 16 semaines pour atteindre 2,4 mg. Les personnes traitées peuvent perdre en moyenne 15 % de leur poids en quelques mois. Environ deux tiers des patients sont des bons répondeurs. En l’absence de perte de poids au bout de trois mois, le traitement doit être arrêté. Il est prescrit uniquement après échec des autres stratégies thérapeutiques et en association avec un régime alimentaire adapté. Un autre médicament de la même famille, le liraglutide, basé sur une injection quotidienne, a également obtenu une autorisation de mise sur le marché contre l’obésité.

 

TLM : Et quid de la chirurgie bariatrique ?

Pr Martine Laville : Elle peut rendre des services, à condition d’une bonne indication, d’une bonne préparation et d’un suivi à vie. Beaucoup de patients après chirurgie ne sont pas suivis, avec un risque de carence vitaminique et de complications postopératoires tardives.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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