• Pr Marie Wislez : Cancers bronchiques : Les nouvelles stratégies thérapeutiques

Marie Wislez

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 10/01/2024


  • 424_photoParole_134PE_Wislez.jpg

Fin Octobre à Madrid, le Congrès 2023 de l’European Society of Medical Oncology (ESMO) a réuni 30 000 oncologues du monde entier.

Ces derniers ont été séduits par les progrès thérapeutiques annoncés dans le cancer bronchique, notamment l’utilisation plus précoce de l’immunothérapie. Le point avec le Pr Marie Wislez, pneumologue cancérologue, PU-PH, chef de l’unité d’Oncologie thoracique à l’hôpital Cochin (Paris).

 

TLM : Quelles sont les principales avancées annoncées à l’ESMO dans la prise en charge des cancers du poumon ?

Pr Marie Wislez : Ce congrès a été très riche en présentations sur le cancer du poumon. Plus de la moitié des sessions présidentielles étaient consacrées à cette pathologie alors qu’il s’agit d’un congrès de cancérologie générale. Les progrès ont porté d’une part sur de nouvelles thérapies ciblées. Mais aussi sur certaines déjà connues. A l’ESMO, elles ont montré leur efficacité dans des essais de phase 3, donc elles pourront être remboursées. Il y a eu d’autre part des progrès annoncés dans l’utilisation plus précoce de l’immunothérapie, notamment en péri-opératoire dans des stades précoces localisés.

 

TLM : Quelles sont les thérapies ciblées porteuses d’espoir ?

Pr Marie Wislez : Tout d’abord l’Alectinib : ce médicament cible la protéine ALK, anormale dans les cellules tumorales à cause d’un réarrangement moléculaire. On connaît ce médicament depuis longtemps mais on le prescrivait seulement dans les stades métastatiques. L’étude présentée à l’ESMO montre l’intérêt de l’utiliser en postopératoire pendant deux ans, dans les stades localisés, à la place de la chimiothérapie : on observe moins de récidives et une meilleure qualité de vie pendant deux ans car ce médicament se prend en comprimés, matin et soir, avec moins d’effets secondaires. Un beau progrès ! Une autre thérapie ciblée a montré son grand intérêt dans l’étude Libretto 431 : le selpercatinib, qui cible la protéine réarrangée RET. Elle a été testée en première ligne métastatique, donc avant tout autre traitement : elle a démontré un bénéfice important en termes de survie sans progression de la maladie, par rapport à la chimiothérapie : 24,8 mois contre 11,2 mois.

Donc on double la médiane de survie sans progression ! Comme cette thérapie a été testée dans un essai de phase 3, on devrait y avoir rapidement accès en France.

 

TLM : D’autres thérapies ciblées ont-elles attiré l’attention ?

Pr Marie Wislez : L’Amivantamab — c’est un anticorps bispécifique car il cible deux protéines impliquées dans la cancérisation : EGFR et MET. En association avec une chimiothérapie, cette thérapie ciblée démontre son efficacité en première ligne métastatique pour des patients porteurs d’une anomalie particulière de EGFR : l’exon 20. Elle est efficace également, en première ligne en association avec une chimiothérapie, pour des patients porteurs de mutations EGFR dites « communes ». L’Osimertimib, autre thérapie ciblée, est actuellement le traitement recommandé en premiere ligne pour les mutations communes de l’EGF. L’Amivantamab pourrait se positionner aussi dès la première ligne ou à progression, et ajouté à la chimiothérapie.

 

TLM : L’immunothérapie a-t-elle été l’autre star de l’ESMO 2023 ?

Pr Marie Wislez : Oui, sur les cancers du poumon « non à petites cellules » : ils sont les plus fréquents, et représentent 80 % des cas. L’utilisation de l’immunothérapie est intéressante, plus seulement dans les stades métastatiques, mais aussi désormais dans les stades localisés, en péri-opératoire. Quatre études randomisées concordantes ont déjà montré le grand intérêt de l’immunothérapie, associée à la chimiothérapie, à des stades localisés avant d’opérer les patients. Dans cette configuration, on observe une réduction de près de 40 % du risque de récidive. A l’ESMO, les nouvelles données de suivi de l’étude KEYNOTE-671 démontrent, pour la première fois, un bénéfice de survie globale en ajoutant une immunothérapie — Keytruda ou Pembrolizumab — à la chimiothérapie avant la chirurgie : à un an, on passe de 74 % de patients en vie après la chimiothérapie à 87,7 % quand on rajoute cette immunothérapie.

 

TLM : Ces études confirment-elles le bénéfice de l’immunothérapie prescrite de façon précoce ?

Pr Marie Wislez : Une autre étude, CheckMate-77T, a confirmé ces données : une immunothérapie (le Nivolumab) prescrite selon le même schéma — en péri-opératoire et en association avec la chimiothérapie — montre une amélioration très significative de la survie « sans événements » des patients, autrement dit une survie sans rechute ni toxicité sévère. Ce sont des résultats très positifs.

 

TLM : Peut-on prescrire l’immunothérapie seule dans le cancer du poumon ?

Pr Marie Wislez : On nous a présenté des résultats très intéressants d’une combinaison de deux immunothérapies avant la chirurgie : il s’agit d’études qui demandent des confirmations et qui ne déboucheront pas forcément sur une AMM. Actuellement il existe d’autres travaux en cours sur des associations d’immunothérapie pour éviter la chimiothérapie.

 

TLM : Quels sont les patients éligibles à l’immunothérapie ?

Pr Marie Wislez : Les critères d’éligibilité sont ceux utilisés par les études, mais en général les patients répondent mieux à ce traitement si leur tumeur exprime fortement la cible des anticorps d’immunothérapie, la protéine PD-L1.

Plus les cellules cancéreuses expriment le PD-L1, plus l’immunothérapie sera efficace, et plus longtemps vivront les patients. Le fait de pouvoir allonger la survie globale est événement majeur !

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans le suivi des cancers bronchiques ?

Pr Marie Wislez : Le pronostic des cancers bronchiques s’améliore de façon très importante. Les médecins généralistes doivent donc intégrer l’idée que, dans certains cas, il ne s’agit plus d’une maladie mortelle mais d’une maladie chronique. Et ils peuvent s’occuper de cette phase chronique en insistant sur le sevrage tabagique, en facilitant la réinsertion au travail et en prenant en charge les aspects psychologiques. Ils peuvent aussi gérer les effets secondaires de l’immunothérapie : ce traitement comporte un risque d’augmentation de la réactivation du système immunitaire pouvant conduire à l’apparition de maladies auto-immunes (colites, dysfonctionnements de la thyroïde…). Il faut aussi connaitre les effets secondaires des thérapies ciblées pour mieux les prendre en charge. Les généralistes vont s’occuper de patients qui ont désormais des mois ou des années supplémentaires de vie devant eux.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

  • Scoop.it