• Pr Marc Labetoulle : L’œil sec, pathologie multifactorielle et auto-immune

Marc Labetoulle

Discipline : Ophtalmologie

Date : 13/10/2022


  • 279_photoParole_129PE_Labetoulle.jpg

Cause fréquente de consultation en ophtalmologie —entre 5 et 40% de la population seraient touchés—, le diagnostic de la pathologie de l’œil sec passe par l’écoute et l’examen du patient, selon le Pr Marc Labetoulle, chef du service d’Ophtalmologie au CHU de Bicêtre (Hôpitaux universitaires Paris-Saclay), qui décline ici les traitements existants.

 

TLM : Quelles sont les données épidémiologiques dans la pathologie de l’œil sec ?

Pr Marc Labetoulle : Les données sur la fréquence de la maladie sont très disparates, car il n’existe pas de critère unique et consensuel pour définir cette pathologie. Il reste que, selon les études, entre 5 et 40 % de la population seraient touchés. L’œil sec s’avère ainsi une cause fréquente de consultation en ophtalmologie. Le pourcentage est plus important chez les plus de 50 ans et en particulier chez les femmes, avec chez ces dernières une très nette prédominance pour les formes modérées à sévères, notamment au moment de la pré-ménopause et de la ménopause. La péri-ménopause génère des troubles hormonaux avec un déséquilibre entre œstrogènes et androgènes, or le déficit relatif d’androgènes constitue un terrain propice à cette pathologie. Mais ce qu’il faut dire c’est que globalement la maladie de l’œil sec, bien que multifactorielle, est une maladie auto-immune.

 

TLM : La sécheresse oculaire constitue-t-elle une maladie à part entière ?

Pr Marc Labetoulle : Historiquement, la sécheresse de l’œil était considérée comme un syndrome où s’associaient différents symptômes sur lesquels nous reviendrons. Mais cette pathologie est maintenant considérée comme une maladie à part entière, du fait de son impact sur la qualité de vie du patient —5 à 10% des personnes touchées déclarent qu’elle constitue pour eux un handicap.

 

TLM : Comment se manifeste cette maladie ?

Pr Marc Labetoulle : S’il y a bien des façons de débuter une sécheresse oculaire, on retrouvera in fine, pour tous les patients, à la fois des symptômes très évocateurs et des signes objectifs à l’examen. De nombreux symptômes différents ont été répertoriés chez les patients souffrant de sécheresse oculaire : sensations de brûlure, de piqûre, de sécheresse, d’adhérence, de grain de sable, de corps étranger —l’œil « gratte »—, hypersensibilité à la lumière et au vent, notamment froid, etc. Les patients souffrant de sécheresse oculaire ont une acuité visuelle conservée tant qu’ils clignent fréquemment des yeux, sans quoi ils se plaignent de flou visuel et leur acuité visuelle décroît donc de façon intermittente, entre les clignements. Ajoutons que cette maladie correspond à une inflammation de la surface oculaire dans son ensemble, elle atteint donc également les paupières : 60 à 80% des patients souffrant d’un œil sec présentent aussi une blépharite.

 

TLM : Quelles sont les causes de la sécheresse oculaire ?

Pr Marc Labetoulle : On peut schématiquement distinguer deux grandes familles de causes. D’une part, l’insuffisance de production de larmes. C’est typiquement le cas du syndrome de Sjögren, qui associe une baisse de la sécrétion de larmes, une diminution de la production d’autres glandes —salivaires et sudoripares — et parfois des signes rhumatologiques. L’autre grande famille de causes tient à une insuffisance de stabilité et de qualité des larmes. Celles-ci sont en quantité suffisante, mais leur structure est inadaptée. Pour que les larmes soient stables, elles doivent être constituées de trois couches, une couche de mucine, une couche d’eau, et une couche de lipides qui empêchent l’évaporation des larmes. Si les lipides ne protègent pas les larmes de l’évaporation, l’œil devient sec. Le port des lentilles de contact n’est pas, en soi, un facteur de risque d’œil sec, surtout lorsque les contrôles sont réguliers. En revanche, il nécessite un film lacrymal de bonne qualité. L’intolérance aux lentilles de contact est souvent révélatrice d’un problème d’œil sec. Ajoutons que de multiples facteurs environnementaux peuvent modifier la qualité de la surface oculaire : polluants, tabac et écrans, car ces derniers réduisent la fréquence de clignement et augmentent le temps d’évaporation entre chaque clignement…

 

TLM : Comment diagnostiquer une maladie des yeux secs ?

Pr Marc Labetoulle : Ce qu’il faut tout d’abord c’est écouter le patient et évaluer si les symptômes décrits peuvent être évocateurs de sécheresse oculaire. Il faut ensuite examiner la surface oculaire, rechercher des signes d’inflammation et observer l’état des paupières. Un test simple, le test de Schirmer, permet d’évaluer la qualité du réflexe lacrymal : une bandelette de papier buvard est placée cinq minutes entre la paupière et l’œil. On mesure alors la longueur du papier mouillé par des larmes : le test est négatif (sécrétion normale) si la longueur de la partie mouillée est supérieure à 15 mm en cinq minutes.

Des travaux sont en cours pour identifier des biomarqueurs dans les larmes afin d’évaluer la sécheresse de manière objective et suivre l’efficacité des traitements.

 

TLM : Comment se traite cette maladie ?

Pr Marc Labetoulle : Le traitement de base consiste en des larmes artificielles, plus ou moins complexes. Les médicaments disponibles sur le marché vont du sérum physiologique à des collyres contenant trois ou quatre composants différents. Il existe toute une gamme de larmes artificielles que l’on peut utiliser selon leur composition et leur mode d’action, pour les adapter à chaque patient. Dans les formes sévères il est possible d’avoir recours à des anti-inflammatoires, avec, en premier lieu, la ciclosporine sous forme locale qui dispose d’une autorisation de mise sur le marché dans cette indication, mais n’est pas remboursée. Un collyre à base du sérum autologue du patient peut être utilisé de manière exceptionnelle, dans les formes sévères résistantes aux autres traitements.

 

TLM : Peut-on guérir de la maladie de l’œil sec ?

Pr Marc Labetoulle : Si la cause de la sécheresse oculaire est ponctuelle, comme par exemple dans les suites d’une chirurgie de la cataracte ou d’une intervention pour corriger la myopie, les symptômes régressent rapidement après l’intervention. Mais pour les sécheresses oculaires chroniques, les plus fréquentes, le traitement doit être pris à vie. Grâce à la prise en charge, la très grande majorité des patients peuvent revenir à une vie normale. Cependant 10% d’entre eux restent très impactés dans leur vie quotidienne malgré le traitement.

 

TLM : Quelles sont les perspectives de la recherche ?

Pr Marc Labetoulle : La plupart des recherches actuelles visent à améliorer la qualité des larmes artificielles. Les autres axes de recherche portent sur le développement de traitements contre l’inflammation chronique avec d’autres molécules que la ciclosporine. D’autres recherches travaillent à reconstruire la surface oculaire avec notamment des facteurs de croissance neuronaux ou épithéliaux.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig et Elvis Journo

  • Scoop.it