• Pr Luc Thomas : Le dépistage précoce améliore la survie dans les cas de mélanome

Luc Thomas

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 06/07/2023


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Un médecin généraliste qui observe une lésion cutanée suspecte sur un malade peut lui sauver la vie, simplement en demandant l’avis d’un dermatologue, constate le Pr Luc Thomas, onco-dermatologue au Centre hospitalier Lyon Sud. En matière de mélanome, martèle-t-il, le seul progrès procède du dépistage précoce.

 

TLM : Quelles sont les actualités récentes dans la prise en charge du mélanome ?

Pr Luc Thomas : Le traitement du mélanome progresse régulièrement depuis 12 ans, grâce notamment à l’immunothérapie et aux thérapies ciblées. Des essais cliniques permettent d’améliorer en permanence le pronostic. Mais il faut le redire : c’est le dépistage précoce qui a contribué le plus à augmenter la survie dans cette maladie. Actuellement, 91 % des mélanomes sont diagnostiqués alors que la tumeur est localisée à la peau et, dans 9% des cas, le diagnostic est porté lorsque le patient présente des métastases. Lorsque le diagnostic est précoce, le pronostic est bon. Malheureusement, l’alerte que constitue la tumeur primitive de la peau passe parfois encore inaperçue. Et alors le diagnostic n’est fait que lorsque le patient présente déjà une atteinte ganglionnaire ou des métastases à distance. L’âge moyen au moment du diagnostic est de 51 ans et une personne sur 67 présentera un mélanome dans sa vie. Le nombre de nouveaux cas par an se situerait autour de 15 000. Il est en tout cas supérieur à 10 000 et inférieur à 20 000.

 

TLM : Quelles sont les nouvelles stratégies de prise en charge ?

Pr Luc Thomas : Quand l’épaisseur de la tumeur est inférieure à 0,5 millimètre, une simple exérèse est suffisante. A ce stade, il n’y a pas de consensus sur le bilan d’imagerie à faire, les recommandations nationales précisent qu’il est optionnel. Dans notre service nous ne le faisons pas en dessous de 0,5 millimètre d’épaisseur. Pour tout mélanome dont l’épaisseur est supérieure à 0,5 millimètre, le bilan repose sur une imagerie thoraco-abdomino-pelvienne et une échographie de l’aire ganglionnaire de drainage.

Quand l’épaisseur du mélanome dépasse 0,8 millimètre, une biopsie du ganglion de drainage « sentinelle » doit être systématiquement réalisée.

Si le ganglion est positif, un traitement adjuvant est nécessaire ; s’il est négatif, ce traitement est inutile. Depuis février 2023, un traitement adjuvant peut être proposé d’emblée, sans biopsie ganglionnaire, dans deux cas précis, lorsque le mélanome présente des ulcérations ou quand son épaisseur est supérieure à 4 millimètres. Dans ces deux situations, la biopsie du ganglion sentinelle n’est plus nécessaire et le traitement adjuvant par immunothérapie est systématique. La Haute Autorité de santé a autorisé récemment un accès précoce et direct à l’immunothérapie, après que l’essai Keynote-716 ait mis en évidence une réduction du risque de récidive, de décès et de métastases, avec les anti-PD1 dans ces deux situations.

 

TLM : Quels sont les traitements adjuvants ?

Pr Luc Thomas : Dans le cas d’un mélanome ulcéré ou d’un mélanome dont l’épaisseur est supérieure à 4 millimètres, le traitement adjuvant repose exclusivement sur l’immunothérapie et notamment sur les anti-PD1. Ces traitements adjuvants sont destinés bien sûr aussi à tous les patients avec une atteinte ganglionnaire et ils sont alors basés sur l’immunothérapie, en particulier les anti-PD1 et également sur les thérapies ciblées. Celles-ci ne peuvent être prescrites cependant que pour les mélanomes présentant une mutation dite BRAF. Autrefois, en cas d’atteinte ganglionnaire, le taux de survie était de 41 % à cinq ans. Grâce aux traitements adjuvants, cette survie est désormais de 70 % à cinq ans. Ce traitement adjuvant est prescrit pour un an.

 

TLM : Et lorsqu’il s’agit d’un mélanome métastatique ?

Pr Luc Thomas : Le mélanome peut être d’emblée métastatique. Il peut également récidiver sous forme de métastases. Dans les cas exceptionnels où la métastase est unique et extirpable, son exérèse chirurgicale doit être faite, en association avec une immunothérapie. Cette situation « privilégiée » existe, mais elle est exceptionnelle. Le cas le plus fréquent est celui d’une maladie avec métastases disséminées, sans traitement chirurgical possible. La prise en charge repose alors sur un traitement médical. A ce stade, le mieux est d’inclure les patients dans un essai clinique si cela est faisable. Cela permet à la fois de faire avancer les connaissances et parfois d’améliorer la survie des patients. Sinon, dans tous les cas, plusieurs options sont possibles. D’abord l’immunothérapie avec les anti-PD1, avec sur une perfusion toutes les quatre à six semaines. Il est même possible aussi d’associer deux médicaments d’immunothérapie, les anti-PD1 et les anti-CDL4. Cette association augmente le taux de réponse clinique, mais augmente aussi la toxicité du traitement.

L’autre option, c’est la thérapie ciblée, si la mutation BRAF est présente.

Plusieurs médicaments agissent sur cette mutation dans ce contexte-là, avec une amélioration rapide du patient. Mais au bout de 12 à 15 mois, l’état du patient se dégrade à nouveau avec ces thérapies ciblées du fait d’un échappement thérapeutique.

 

TLM : Quelle est la survie après un mélanome métastatique ?

Pr Luc Thomas : Avant 2012, la médiane de survie pour les patients atteints de mélanome métastatique se situait entre cinq et sept mois. Cette médiane est aujourd’hui de l’ordre de trois ans et demi. Des progrès importants ont donc été réalisés, grâce à l’immunothérapie et aux thérapies ciblées. Il existe également des patients dits « longs surviveurs ». Ainsi, nous avons des malades traités avec l’immunothérapie depuis 2012 et qui vont bien encore aujourd’hui. Quand les patients sont en rémission complète, au bout d’un certain nombre de mois de traitement, celui-ci est arrêté. Mais pour l’instant, c’est un peu au cas par cas, car en l’absence de recommandations précises, le fait d’arrêter l’immunothérapie est une décision partagée entre l’équipe soignante et le patient. Mais, je le répète : le plus grand progrès contre le mélanome, c’est le dépistage précoce. En 1940, la survie à cinq ans après un mélanome était en moyenne de 40 %, en 1968 elle s’affichait à 68 % et en 2009, avant la révolution de l’immunothérapie, elle culminait à 91 %. Quand un médecin généraliste voit une lésion cutanée qui ne lui plaît pas sur un malade, il peut lui sauver la vie, simplement en demandant l’avis d’un dermatologue.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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