Pr LINA : Aucune faille dans la stratégie et le calendrier vaccinal
Discipline : Infectiologie
Date : 09/07/2020
PENDANT LA CRISE SANITAIRE, LE RISQUE AURA PORTÉ SURTOUT SUR LA VACCINATION PÉDIATRIQUE MAIS LA FRANCE N’A PAS DÉVIÉ DE SON SCHÉMA VACCINAL, ANALYSE LE PR BRUNO LINA, VIROLOGUE (CHU DE LYON) ET MEMBRE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE COVID-19. QUANT À L’AVÈNEMENT D’UN VACCIN COVID, IL LE SITUE À L’HIVER 2022...
TLM: L’urgence et l’ampleur de la crise du COVID-19 ont-elles perturbé le déroulement normal des vaccinations?
Pr Bruno Lina : Oui, et en particulier la vaccination pédiatrique. Les pédiatres rapportent que pendant la période du confinement, par crainte ou excès de précaution, les parents n’ont pas toujours amené leurs enfants se faire vacciner, de sorte que certains enfants n’ont pas reçu leurs vaccins selon le calendrier attendu. Si cela n’a provoqué aucune conséquence sanitaire, nous avons pu noter à la sortie du confinement la nécessité d’un rattrapage chez des enfants dont certains vaccins avaient été « différés »...
TLM : L’épidémie de Coronavirus a-t-elle mis en lumière des lacunes dans la stratégie ou le calendrier vaccinal en France?
Pr Bruno Lina : Pas particulièrement, du moins nous n’avons pas eu de remontées dans ce sens. Il faut rappeler que depuis
quelques années nous fonctionnons sur un calendrier vaccinal simplifié, plus lisible et facile à appliquer. A la lumière de cet épisode de circulation de virus, aucune faille n’est apparue dans la stratégie et le calendrier vaccinal en France. Si certains ont cru pouvoir établir une corrélation entre le BCG et la réponse immunitaire au coronavirus, il s’agit d’une lecture erronée.
TLM : Des changements du calendrier vaccinal sont-ils prévus pour 2021 ?
Pr Bruno Lina : L’élaboration d’un vaccin Covid prendra du temps et il n’y a rien de prévu à courte échéance. Du moins il ne sera pas introduit dans un calendrier vaccinal de l’hiver prochain. Par ailleurs, nous discutons actuellement du calendrier de la vaccination contre la grippe, dont il est à prévoir qu’il y aura un renfort pour éviter au maximum les cas de grippe. En particulier la cocirculation — même s’il s’agit d’une hypothèse — de la grippe et du Covid-19 pendant la période hivernale. Sachant que pour un vaccin contre la grippe sont ciblées prioritairement les personnes les plus fragiles, qui se trouvent aussi être les plus à risque face au Coronavirus. On peut donc considérer qu’un renfort de la vaccination contre la grippe de ces personnes vulnérables aura un impact à la fois sur la grippe saisonnière mais permettrait en outre une meilleure lisibilité en cas d’épisode infectieux lié à un redémarrage du SARS-CoV-2.
TLM: Quelles sont les vaccinations le plus à risques en cas de retard, voire d’absence?
Pr Bruno Lina : Aujourd’hui le risque le plus important d’une absence de vaccination porte sur la rougeole, car c’est celle qui présente une capacité de diffusion le plus marquée. Si l’on baissait le niveau de vaccination contre la rougeole, on s’exposerait à un effet rapide en termes de nombre de cas et de décès. Ne l’oublions pas : la rougeole est le maillon faible de notre vaccination.
TLM: Quels enseignements tirer de la crise du Covid-19 quant à la politique vaccinale?
Pr Bruno Lina : Sur la vaccination en France il existe certes des aspects à améliorer. Mais cette crise n’a pas agi comme un révélateur de vaccinations qu’il faudrait amender. Notre stratégie de couverture vaccinale n’a pas montré de défaut avec la circulation du Coronavirus. La France, en termes d’analyse de risque, se trouve dans une situation similaire de défaut ou de failles avant et après la crise Covid.
TLM: Quelles sont les chances de parvenir à un vaccin anti-Covid-19 en 2021 ?
Pr Bruno Lina : Pour ce faire, il faudrait déterminer ce qu’est l’immunité protectrice. Nous savons pour l’heure que des anticorps dirigés contre les protéines S et N sont des anticorps potentiellement neutralisants ; que la protéine S donne des anticorps qui apparaissent plus tardivement mais procurent une meilleure protection ; que les personnes immunisées développent des anticorps neutralisants à même de prévenir l’infection, et c’est le but d’un vaccin. Nous savons encore qu’il existe une immunité cellulaire, qui assurerait une immunité croisée avec d’autres coronavirus. Ne faudrait-il donc pas rechercher une réponse immunitaire qui cible des épitopes différents de ceux qui sont utilisés pour la réponse humorale ? Face à ce questionnement, nous restons pour l’heure dans le flou. D’un vaccin hypothétique qui induirait une réponse humorale, nous ignorons par ailleurs quel serait son niveau de tolérance ou les risques d’effets secondaires. Il serait plus sage, de mon point de vue, de tabler sur un vaccin pour l’hiver 2022.
TLM : 2022 dans le meilleur des cas ?
Pr Bruno Lina : Si nos efforts ne sont pas récompensés, que parallèlement la pression sur le vaccin diminue du fait d’un ressenti de la dangerosité moins aigu à mesure que la crise s’essouffle, cela prendra plus de temps. Alors qu’au début de la crise tout le monde ne jurait que par le vaccin, déjà un sondage récent* annonçait que 26% des Français refuseraient de se faire vacciner...