• Pr LEVEZIEL : Comprendre la myopie de l’enfant pour mieux la prévenir

Nicolas LEVEZIEL

Discipline : Ophtalmologie

Date : 10/10/2021


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Les résultats d’une grande étude épidémiologique française menée dans le cadre d’un partenariat entre le CHU de Poitiers et KRYS GROUP viennent d’être publiés dans le British Journal of Ophthalmology. Cette étude a inclus 136 333 enfants myopes suivis entre 2013 et 2019. Le Pr Nicolas Leveziel, chef du service d’Ophtalmologie du CHU de Poitiers, qui a dirigé les recherches, en rapporte les principaux enseignements.

TLM : Qu’est-ce que la myopie et quelle est sa prévalence chez les enfants et adolescents ?

Pr Nicolas Leveziel : La myopie est un défaut de réfraction au cours duquel les images se forment devant la rétine. En conséquence, les objets proches apparaissent nets tandis que les objets distants apparaissent flous. Avant de devenir une maladie la myopie est tout d’abord un trouble de réfraction, qui s’explique par différents facteurs : la génétique, l’environnement et les habitudes de vie. La myopie est très fréquente dans l’est de l’Asie. Ainsi, 96 % des Coréens du Sud de 17 ans sont myopes. En France, une étude publiée en 2015 montre qu’environ 50% des jeunes de 20-29 ans sont myopes. Si les courbes actuelles de l’incidence de la myopie ne s’infléchissent pas, près de la moitié de la population mondiale souffrira de myopie en 2050 contre 23 % en 2000. Il s’agit donc d’un enjeu de santé publique important.

 

TLM : Quels étaient les objectifs de l’étude sur la myopie de l’enfant que vous avez dirigée ?

Pr Nicolas Leveziel : Cette étude épidémiologique, la plus grande jamais menée en France sur ce sujet, visait à comprendre la myopie de l’enfant pour mieux la prendre en charge. Nous avons analysé les données anonymisées collectées auprès de 696 magasins de l’enseigne KRYS GROUP, soit environ 5 millions d’individus. Nous avons ainsi pu suivre, entre 2013 et 2019, 136 333 enfants myopes, âgés de 4 à 17 ans, afin d’évaluer précisément l’impact sur la progression de la myopie de différents facteurs que sont l’âge, le sexe et le degré de myopie chez l’enfant.

 

TLM : Quelles sont les principales conclusions de cette étude ?

Pr Nicolas Leveziel : Le premier enseignement est que l’âge constitue un facteur déterminant dans la progression de la myopie chez l’enfant. Ainsi, près de 25 % des enfants voient leur myopie progresser entre la première et la deuxième année de suivi. C’est chez les enfants de 7 à 12 ans que le taux de progression de la myopie est le plus fort, avec une progression de 33 % chez les 7-9 ans et de 29 % chez les 10-12 ans. Par ailleurs, nous avons constaté que les enfants les plus myopes ont 58 % de risques de développer une myopie forte au cours du suivi contre moins de 5 % chez les enfants moins myopes. L’étude révèle enfin une progression de la myopie plus importante chez les filles que chez les garçons. Ces résultats confirment l’importance d’un dépistage précoce de la myopie et de sa prise en charge dès qu’elle est détectée pour ne pas la laisser s’installer et éviter qu’elle ne progresse trop vite.

 

TLM : Quels sont les risques engendrés par une absence de dépistage de la myopie chez l’enfant ?

Pr Nicolas Leveziel : Chez l’enfant, la difficulté à lire ce qui est écrit au tableau peut engendrer des difficultés d’apprentissage, voire un décrochage scolaire. Par ailleurs, plus une myopie débute tôt, plus elle risque de s’aggraver et d’entraîner, à l’âge adulte, des complications rétiniennes telles qu’un décollement de la rétine ou une dégénérescence maculaire de type myopique. Une myopie sévère engendre également un risque de glaucome et de cataracte plus précoces. A 60 ans, 26 % des personnes présentant une myopie très sévère, à partir de -10 dioptries, sont malvoyants, voire non-voyants. Pour toutes ces raisons, le dépistage précoce de la myopie de l’enfant est nécessaire.

 

TLM : Quelles sont vos recommandations pour favoriser ce dépistage de la myopie chez l’enfant ?

Pr Nicolas Leveziel : Le dépistage de la myopie doit s’effectuer dès l’âge préscolaire, idéalement vers trois ans. Une baisse de l’acuité visuelle, un strabisme, un enfant qui plisse fréquemment les yeux constituent des signes d’alerte. Les médecins généralistes et les pédiatres jouent un rôle important dans ce dépistage, en collaboration avec les ophtalmologistes. En cas de doute, un examen sous cycloplégie doit être réalisé pour bloquer les accommodations et permettre une mesure précise de la réfraction.

 

TLM : Une fois la myopie de l’enfant diagnostiquée, quels traitements peuvent être mis en œuvre ?

Pr Nicolas Leveziel : Les ophtalmologues disposent d’approches optiques et pharmacologiques efficaces pour corriger la myopie de l’enfant. Portées la nuit, les lentilles d’orthokératologie remodèlent la cornée en « l’aplatissant ». Il existe aussi des lentilles souples qui favorisent la défocalisation myopique et, depuis fin 2020, de verres freinateurs composés de centaines de petits segments, qui ramènent les images périphériques en avant de la rétine. L’atropine en collyre donne des résultats significatifs, avec une réduction de 50 % la progression de la myopie. En outre, il faut pousser les enfants à développer des activités extérieures et à limiter les activités sur écran, car ces mesures simples permettent de réduire le risque de développer une myopie.

 

TLM : Comment mieux sensibiliser professionnels de santé et grand public à la prise en charge de la myopie chez l’enfant ?

Pr Nicolas Leveziel : Nous espérons que la publication de notre étude sensibilisera la communauté médicale internationale à la prise en charge de la myopie chez l’enfant. Aujourd’hui la myopie est encore mal connue, pourtant elle peut s’avérer très handicapante. Des cinquantenaires sont ainsi obligés de renoncer à leurs activités professionnelles. Pour améliorer l’accompagnement des personnes myopes, il existe une association de patients myopes, l’Association de lutte contre la maculopathie myopique —www.amam-myopie.fr. Les médecins ne doivent pas hésiter à orienter leurs patients vers cette association, qui constitue une mine d’informations.

Propos recueillis

par Solène Penhoat

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