• Pr LEROY : Hépatite C : promouvoir une détection ciblée vers les personnes à risque

Vincent LEROY

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 10/01/2022


  • 175_photoParole_126PE_Leroy.jpg

Jusqu’à une personne sur deux porteuse du virus ne serait pas dépistée en France. En cause, selon le Pr Vincent Leroy, chef du service d’Hépatologie de l’hôpital Henri-Mondor (Créteil), le fait qu’il n’existe pas de dépistage organisé de l’hépatite C...

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans le dépistage et la prise en charge de l’hépatite C ?

Pr Vincent Leroy : Il y aurait en France entre 70 000 et 80 000 personnes porteuses du virus de l’hépatite C, tous étant des sujets à haut risque de cirrhose et de cancer du foie. Or l’éradication de l’hépatite C est à portée de mains. Au point que depuis la mise à disposition des antiviraux d’action directe, l’Organisation mondiale de la santé a posé comme objectif une suppression de ce virus dans le monde à l’horizon 2030 ; pour la France, cet objectif est fixé à 2025. Pour l’atteindre il faudrait mener une action de dépistage d’envergure qui placerait les médecins généralistes au centre de ce dépistage. Or, selon les données de Santé publique France, un tiers des personnes porteuses du virus de l’hépatite C — près de 50%, selon d’autres experts — ne sont pas dépistées. C’est qu’il n’y a pas, dans notre pays, de dépistage organisé de l’hépatite C. Il est donc nécessaire de promouvoir une détection ciblée vers les personnes à risque. La Haute Autorité de santé a proposé une liste de facteurs de risque orientant le dépistage : usage de drogues par voie intraveineuse, personnes originaires d’Afrique sub-saharienne ou d’Asie, transfusion sanguine, intervention chirurgicale ou soins dentaires, avant 1992, tatouages, piercings, ou encore avoir eu pour un homme des relations sexuelles avec des hommes. Tout cela n’est pas simple à demander. De plus, les patients n’ont pas toujours gardé le souvenir d’une éventuelle transfusion ou de soins dentaires. Pour autant, 50 % des patients atteints d’hépatite C n’ont pas de facteurs de risque évidents.

 

TLM : Faut-il alors mettre en place un dépistage destiné à l’ensemble de la population ?

Pr Vincent Leroy : Aujourd’hui la très grande majorité des patients positifs pour l’hépatite C ont plus de 45 ans. C’est pourquoi en l’absence de facteurs de risque évidents, nous préconisons chez toutes les personnes de plus de 45 ans, comme le recommande la Société française d’hépatologie, le dépistage du virus de l’hépatite C (0,3 % de la population), de l’hépatite B (0,3 %) et du VIH (0,1% ). Ces recommandations ne sont pas suivies par les pouvoirs publics.

 

TLM : Comment concrètement dépister l’hépatite C ?

Pr Vincent Leroy : Par la prescription d’une sérologie pour rechercher la présence d’anticorps anti-VHC. Si la sérologie est positive, un test PCR doit être pratiqué pour confirmer la présence du virus. Car la présence d’anticorps peut n’être que la cicatrice sérologique d’une infection ancienne guérie, puisque 30 % des personnes infectées par le VHC éliminent le virus et guérissent spontanément. Un TROD hépatite C (test rapide d’orientation diagnostique) est aussi disponible. Le test dit du « buvard » réalisé au cabinet du médecin permet également de dépister l’hépatite C. Le généraliste recueille au bout du doigt une goutte de sang qu’il dépose sur un buvard. Celui-ci, envoyé au laboratoire de biologie, est utilisé pour pratiquer à la fois sérologie et recherche virale. Nous menons actuellement à l’hôpital Henri-Mondor une étude pour évaluer aux urgences l’impact de l’usage de ce buvard pour le dépistage des patients à risque. Ce buvard a également été envoyé à tous les médecins généralistes du Val-de-Marne dans le cadre d’une enquête actuellement en cours. Ces nouveaux outils sont à la fois simples et très fiables.

 

TLM : Comment prendre en charge l’hépatite C, une fois le diagnostic posé ?

Pr Vincent Leroy : La prise en charge s’est beaucoup simplifiée. Depuis 2019, la prescription des antiviraux d’action directe pour les patients atteints d’hépatite C est ouverte aux médecins généralistes. Aujourd’hui, le traitement est basé sur des médicaments à prendre par voie orale, avec des posologies allant de un à trois comprimés par jour, pendant 8 à 12 semaines. La tolérance est parfaite. Avant de commencer le traitement, la recherche d’une éventuelle maladie du foie est nécessaire — l’évaluation de la fibrose hépatique est indispensable. Il faut ici savoir que le diagnostic de fibrose ne nécessite plus de biopsie : il peut être obtenu au moyen d’une simple prescription de prise de sang, avec demande de fibrotest ou de fibrométrie, tests très performants. L’élasticité du foie peut être mesurée aussi par un fibroscan. Certains appareils d’échographie sont d’ailleurs équipés d’un module d’élastographie permettant cette évaluation. En cas de cirrhose associée, le patient devra être pris en charge dans un service spécialisé.

 

TLM : Une fois vérifiée l’absence de fibrose hépatique, comment mettre en œuvre le traitement en médecine de ville ?

Pr Vincent Leroy : En l’absence de comorbidités ou de complications, le patient pourra bénéficier d’un parcours de soins simplifié auprès de son médecin généraliste. Avant d’initier le traitement par antiviraux d’action directe, reste à vérifier l’absence d’interactions médicamenteuses. Des précautions sont à prendre avec les statines, certains anti-arythmiques comme l’amodiarone, ou encore avec les psychotropes. L’observance du traitement doit être surveillée. Avec une telle prise en charge, la guérison est assurée dans plus de 99 % des cas, et la charge virale devient indétectable, selon le protocole choisi, après 8 à 12 semaines de traitement.

 

TLM : Les médecins généralistes sont-ils formés à cette prise en charge ?

Pr Vincent Leroy : Les médecins généralistes sont donc au cœur du dépistage. Or il y a environ 70 000 patients et à peu près autant de généralistes en France : chaque médecin a donc en moyenne un seul malade de l’hépatite C dans sa patientèle. Dans ces conditions, beaucoup préfèrent adresser les patients dépistés positifs pour le VHC à un service d’hépatologie. En revanche, les médecins des centres pour usagers de drogues ou patients précaires, chez qui le risque d’hépatite C est plus élevé, se forment plus volontiers à cette prise en charge. Reste que des formations existent pour tous les médecins, ceux qui en ont du moins la motivation. En outre, le médecin généraliste peut toujours, s’il le souhaite, faire valider son choix thérapeutique en adressant le dossier patient à un centre expert qui pourra procéder à cette validation au terme d’une réunion de concertation pluridisciplinaire.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

  • Scoop.it