• Pr Laurent Misery : Le nouvel arsenal thérapeutique contre la dermatite atopique

Laurent Misery

Discipline : Dermatologie

Date : 23/10/2023


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Quand le traitement topique et la ciclosporine ne suffisent pas, on s’appuiera sur les biothérapies et les thérapies ciblées pour les formes modérée à sévère de dermatite atopique, confirme le Pr Laurent Misery, chef du service de Dermatologie du CHU de Brest. Elles ont, complète-t-il, révolutionné le traitement et le pronostic de la maladie.

 

TLM : La dermatite atopique est-elle une maladie de plus en plus fréquente ?

Pr Laurent Misery : La dermatite atopique touche environ 20% des nourrissons et 2 % des adultes. La fréquence augmente régulièrement, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Il s’agit d’un problème de santé publique, en particulier pour les formes sévères qui provoquent un fort retentissement social, professionnel, psychologique, financier.

Et lorsque les enfants souffrent de forme sévère, le retentissement concerne le patient, ses parents et la fratrie. La maladie débute à l’âge de trois mois en moyenne chez l’enfant, dans la grande majorité des cas, mais parfois plus tôt, parfois plus tard. La dermatite atopique peut cependant commencer à tout âge. On observe d’ailleurs de plus en plus de dermatite atopique chez des personnes âgées, sachant que le diagnostic est plus difficile dans cette tranche d’âge. Il faut penser à plusieurs diagnostics différentiels, en particulier aux effets secondaires de certains médicaments.

 

TLM : Comment évaluer la sévérité de la dermatite atopique ?

Pr Laurent Misery : La dermatite atopique peut se manifester sous des formes de gravité très variables. La grande majorité des cas sont bénins et peu évolutifs. Mais, dans un tiers des cas, elle peut être de gravité modérée à sévère, avec un retentissement important sur la qualité de vie. Il existe alors des lésions étendues, avec une atteinte très inflammatoire et très prurigineuse et parfois même des douleurs cutanées. La gravité de la maladie peut être évaluée avec des scores cliniques spécifiques. Le retentissement n’est cependant pas toujours proportionnel à la sévérité visible. Le fait d’avoir des lésions au niveau du visage, des mains ou des organes génitaux, est un facteur de gravité. Les symptômes ne sont pas limités à l’atteinte visible en surface. Il faut savoir qu’il s’agit d’une maladie à expression saisonnière avec des poussées plus fréquentes au printemps, en lien avec la circulation de pollens. Certaines pathologies liées au terrain atopique sont parfois associées : asthme, rhinite saisonnière, urticaire, allergie alimentaire.

 

TLM : Comment prendre en charge cette maladie ?

Pr Laurent Misery : Pour les formes légères, les plus fréquentes, les traitements locaux sont suffisants. La prise en charge repose d’abord sur des émollients à appliquer sur le corps pour restaurer la barrière cutanée et, éventuellement, réduire le risque de poussées. Les dermocorticoïdes peuvent être appliqués à la demande, en particulier lors des poussées. Il est possible également d’utiliser le tacrolimus en traitement topique. Lorsque le traitement local est bien conduit, il permet en général de contrôler la dermatite atopique dans les formes légères. Dans tous les cas, les soins locaux sont recommandés, y compris pour les formes plus sévères, mais ils ne sont pas toujours suffisants. A noter que les corticoïdes par voie générale n’ont pas leur place dans la prise en charge de la dermatite atopique, du fait de leurs effets secondaires trop importants.

 

TLM : Quelle prise en charge pour les formes modérées à sévères ?

Pr Laurent Misery : Si le traitement topique ne suffit pas, un traitement systémique sera prescrit. Le traitement par voie générale de première intention en France repose sur la ciclosporine. Ce médicament immunosuppresseur a une autorisation de mise sur le marché dans la dermatite atopique de l’adulte en cas d’échec des traitements topiques. La ciclosporine ne peut être prescrite que de manière limitée dans le temps, au maximum deux ou trois ans. L’efficacité de la ciclosporine est souvent rapide mais le profil de tolérance est généralement limitant, avec un risque d’infections, d’insuffisance rénale, d’hypertension. D’autres immunosupresseurs, tels que le méthotrexate, sont aussi souvent prescrits mais hors-AMM. Lorsque ces traitements sont insuffisamment efficaces ou mal tolérés et que la maladie dite « modérée à sévère » persiste, une biothérapie ou une thérapie ciblée sera utilisée.

 

TLM : Que faut-il prescrire quand la ciclosporine est insuffisante ou mal tolérée ?

Pr Laurent Misery : Les biothérapies et les thérapies ciblées ont révolutionné le traitement et le pronostic des formes modérée à sévère de dermatite atopique. En cas d’échec, intolérance ou contre-indication à la ciclosporine, ces nouveaux traitements basés sur des biothérapies ou des anti-JAK (Janus-Kinase) peuvent être utilisés. Deux biothérapies ont reçu une autorisation de mise sur le marché dans la dermatite atopique, le dupilumab et le tralokinumab. Ces médicaments sont administrés par voie souscutanée, avec un bon profil de tolérance. Il existe cependant quelques effets secondaires et notamment des conjonctivites et des blépharites, qui peuvent conduire à arrêter le traitement. Les anti-JAK sont des médicaments administrés par voie orale, donc plus simples d’usage. Trois molécules au total ont obtenu récemment une autorisation de mise sur le marché : le baricitinib, l’upadacitinib et l’abrocitinib. Un bilan biologique pré-thérapeutique est nécessaire, puis un suivi. Il a été décrit, avec les anti-JAK, un petit sur-risque de maladies cardiovasculaires, thrombo-emboliques, ou de cancers chez des patients à risque. Aussi ces anti-JAK doivent-ils être utilisés avec précaution chez les plus de 65 ans et les personnes à haut risque d’événements cardiovasculaires, thrombo-emboliques, ou de cancers. Le choix du traitement dépend donc du profil du patient, de son âge, de ses comorbidités éventuelles, de ses préférences pour un mode d’administration.

Les résultats obtenus avec ces nouveaux traitements dans les formes modérées à sévères de dermatite atopique sont vraiment intéressants. Entre 60 et 70% des patients recevant ces molécules vont nettement mieux. Il y a aussi une amélioration de la qualité de vie et une réduction de l’absentéisme scolaire et des arrêts de travail.

 

TLM : Ces traitements doivent-ils être pris à vie ?

Pr Laurent Misery : Ces nouveaux traitements cassent les poussées. Et l’on peut imaginer que l’on pourra à l’avenir espacer ou même suspendre ces traitements. Mais, pour l’heure, il n’existe pas de données cliniques permettant de le faire.

D’autres molécules encore sont en cours de développement, pour étoffer l’arsenal thérapeutique de la prise en charge de la dermatite atopique.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

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