Pr Laurent Guilleminault : La toux chronique, une pathologie à part entière…
Discipline : Pneumologie
Date : 10/01/2024
La prise en charge de la toux chronique a récemment fait l’objet de nouvelles recommandations de la Société de pneumologie de langue française (SPLF).
Leur objectif : donner des clefs aux médecins pour la traiter mais aussi communiquer sur cette pathologie à part entière. Le point avec le Pr Laurent Guilleminault, pneumoallergologue au CHU de Toulouse et coordinateur de ces recommandations.
TLM : Quand la toux est-elle qualifiée de chronique ?
Pr Laurent Guilleminault : Si la définition de la toux chronique est quelque peu arbitraire, les recommandations nationales et internationales sont unanimes pour dire qu’il s’agit d’une toux qui évolue depuis au moins huit semaines. Cette durée permet de la distinguer de la toux aigüe post-virale, motif très fréquent de consultation en médecine générale, et qui se résout généralement dans les trois semaines suivant l’infection. Il existe peu de travaux sur la prévalence réelle en France de la toux chronique mais une récente étude portant sur un échantillon de 15 000 personnes a été réalisée. Les résultats sont en cours de publication et permettent d’estimer qu’une toux chronique qui persiste au cours des 12 derniers mois concernerait 4,8 % de la population française. Il s’agit donc d’une affection extrêmement fréquente.
TLM : Si les étiologies de la toux chronique sont multiples, quelles en sont les plus fréquentes ?
Pr Laurent Guilleminault : Les différentes étiologies possibles sont effectivement nombreuses. En termes de démarche diagnostique, les trois causes les plus fréquentes doivent d’abord être recherchées : rhinosinusite, asthme ou reflux gastro-œsophagien (RGO). Pour la majorité des patients, l’interrogatoire permet d’avoir assez d’informations pour identifier une de ces trois causes. Le cas échéant, un traitement adapté doit être initié. La présence d’une symptomatologie clinique de reflux (pyrosis, régurgitations acides) justifie un traitement anti-reflux adapté, en l’occurrence les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). En dehors de cette indication précise, il a été largement démontré dans la littérature que les IPP ne présentaient aucun intérêt dans le traitement de la toux chronique sans symptômes de reflux.
TLM : Quelle est l’exploration de deuxième intention dans le diagnostic de toux chronique ?
Pr Laurent Guilleminault : Les explorations englobent l’ensemble des examens complémentaires à réaliser en fonction du contexte et sont très orientées par la clinique.
Les différents examens présentés dans les recommandations sont indépendants les uns et des autres et aucune hiérarchisation de prescription ne doit être établie. Endoscopie bronchique, scanner des sinus, bilan ORL, examen du larynx, pHmetrie œsophagienne, test à la métacholine pourront être prescrits au cas par cas. Le scanner thoracique, très défendu par nos confrères pneumologues, peut aussi être intéressant et permet d’identifier des causes spécifiques. L’idée générale que nous avons souhaité mettre en avant est qu’il est inutile de procéder à des examens trop larges car les patients finissent par se lasser, d’autant plus que les examens complémentaires reviennent normaux dans la grande majorité des cas. En tout état de cause, la prise en charge de la toux chronique doit être clinique et multidisciplinaire, faute de quoi elle est vouée à l’échec !
TLM : Les recommandations actuelles initient la notion de toux chronique réfractaire. De quoi s’agit-il ?
Pr Laurent Guilleminault : S’il n’existe aucune définition consensuelle internationale concernant la toux chronique réfractaire ou inexpliquée (TOCRI), le concept a été introduit par les recommandations actuelles car la reconnaissance de cette entité constitue une étape cruciale pour le patient afin qu’il puisse identifier sa pathologie, mais aussi pour le médecin afin d’initier une prise en charge spécifique.
Un tel diagnostic pourra être posé si aucune cause n’a été retrouvée malgré une exploration extensive orientée par la clinique ou en l’absence d’amélioration de la toux en dépit d’un traitement étiologique bien conduit.
TLM : Quelle prise en charge de la toux chronique en 2023 ?
Pr Laurent Guilleminault : La prise en charge de la toux chronique se base d’abord sur les étiologies potentielles indiquées ci-dessus. S’il n’existe aujourd’hui aucun médicament spécifique commercialisé dans la toux chronique, nous préconisons l’utilisation de neuromodulateurs à la plus faible dose efficace car l’arc réflexe de la toux chronique est un dysfonctionnement neurologique. L’amitriptyline, la prégabaline ou la gabapentine peuvent être essayés. En cas d’échec, la morphine à faible dose peut aussi considérablement soulager les patients.
L’objectif est ici de rétablir la qualité de vie avec des traitements à faible dose et avec un profil de tolérance qui est généralement assez bon. Enfin, les composés à base de menthol contrôlent ponctuellement la toux mais les antitussifs et la codéine sont déconseillés dans ce contexte.
TLM : De nouvelles thérapeutiques sont-elles attendues prochainement ?
Pr Laurent Guilleminault : Des antagoniques des récepteurs transmembranaires purinergiques P2X3 sont en cours de développement. Le géfapixant a démontré son efficacité dans des études de grande envergure et serait très utile dans la prise en charge de la toux chronique. Il vient d’être approuvé par l’EMA et nous espérons que la France suivra. D’un point de vue des instances, il est essentiel que la toux soit perçue comme un handicap extrêmement lourd avec une altération énorme de la qualité de vie. D’autres thérapeutiques nouvelles, comme les inhibiteurs des récepteurs de la toux, sont actuellement en développement. Nous avons bon espoir qu’elles soient commercialisées dans quelques années.
TLM : Les interventions non pharmacologiques ont-elles encore leur place ?
Pr Laurent Guilleminault : Oui, car certains patients toussent depuis cinq ou dix ans et finissent par développer une dysfonction du larynx. La rééducation a donc toute sa place ici, notamment pour réutiliser leur larynx correctement, moduler leur toux via des techniques précises, etc. Kinésithérapie et orthophonie apportent un bénéfice très net pour ces patients.
Propos recueillis
par Anya Leyrahoux ■