• Pr Laurent Abramowitz : La fissure anale, une pathologie sous-diagnostiquée…

Laurent Abramowitz

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 18/04/2023


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« La fissure anale est la première cause de douleur rectale en consultation chez le généraliste. Mais elle est trop souvent confondue avec une hémorroïde », affirme le Pr Laurent Abramowitz, proctologue et gastroentérologue à Paris.

 

TLM : Quels sont les symptômes de la fissure anale ?

Pr Laurent Abramowitz : Rappelons que la fissure anale est une plaie, située au niveau antérieur ou postérieur de la marge anale. Dans 90 % des cas, le symptôme principal est une douleur à la défécation pendant ou après la selle.

Ce qui n’est pas le cas des hémorroïdes.

Les autres signes sont la présence plus ou moins importante de sang sur le papier toilette lors de l’essuyage et des démangeaisons liées à la fissure et au processus de cicatrisation.

 

TLM : Quels sont les principaux facteurs déclenchants de cette pathologie ?

Pr Laurent Abramowitz : La fissure est avant tout liée à un phénomène mécanique comme l’expulsion d’un gros étron ou de petites selles dures, des caractéristiques associées à la constipation. Un excès d’hygiène accompagné de frottements trop appuyés peut également pérenniser la lésion. Il existe des causes moins fréquentes comme une IST (chlamydia, gonocoque, syphilis…), un cancer, la maladie de Crohn et, plus rarement, après un rapport anal.

Ce dernier peut provoquer une déchirure au passage du sexe chez un jeune homosexuel, dont le canal anal est parfois très tonique. Lorsque la fissure présente un aspect inflammatoire, elle nécessite des prélèvements anorectaux à la recherche d’une IST. Enfin, l’accouchement peut déclencher une fissure anale chez 15 % des femmes dans le post-partum.

 

TLM : Comment différencie-t-on la fissure anale des autres atteintes anales ?

Pr Laurent Abramowitz : Les autres pathologies sont les hémorroïdes, les fistules anales, les abcès, les condylomes, les maladies de peau...

La différence est la douleur déclenchée par la selle, typique de la fissure. Face à cette plainte, il faut demander au patient de se mettre en position genupectorale, puis écarter la marge anale entre les deux pouces. C’est un diagnostic qui n’a besoin d’aucun matériel. Attention à la marisque, qui est souvent confondue avec une hémorroïde. Ce repli de peau est une séquelle de la fissure chronique. On l’appelle la marisque sentinelle car elle cache l’entrée de l’anus et masque la fissure anale au-dessus.

 

TLM : Quels sont les risques à ne pas traiter une fissure anale ?

Pr Laurent Abramowitz : La fissure est une plaie qui abrite des milliards de bactéries. Elle peut se compliquer d’un abcès avec fistule. La résection de la fistule peut entraîner des risques d’incontinence.

 

TLM : Prescrivez-vous des règles hygiéno-diététiques ? Et si oui, lesquelles ?

Pr Laurent Abramowitz : En première intention, la prise en charge de la constipation est essentielle. Elle consiste à augmenter la consommation d’aliments riches en fibres : les légumes secs (lentilles, pois chiches…) et les fruits secs (pruneaux, abricots, les dattes)… L’hydratation et notamment les eaux riches en magnésium ont montré dans deux études vs placebo une efficacité sur le transit. Enfin, l’activité sportive est recommandée.

Mais sur une échelle de 1 à 10, les fibres jouent pour 8 et l’hydratation pour 1 ou 2 sur 10.

 

TLM : Quels sont les autres traitements contre la constipation ?

Pr Laurent Abramowitz : Lorsque les fibres alimentaires ne suffisent pas, je prescris des laxatifs : soit des mucilages pour les petites constipations, soit des laxatifs osmotiques. L’important est que les selles évacuées soient moulées et molles.

Elles vont permettre la cicatrisation de la fissure et éviter les récidives. Attention, si les selles sont trop molles ou trop grasses, l’essuyage excessif risque d’irriter l’anus. Le traitement doit être adapté en fonction des selles et doit durer au moins un mois et demi, voire deux. Si le patient s’appuie uniquement sur ses symptômes, il sera rapidement soulagé. Mais la fissure sera toujours présente. C’est pour cette raison que le traitement doit être pris pendant deux mois suivis d’une visite de contrôle.

 

TLM : Et les topiques locaux ?

Pr Laurent Abramowitz : Certaines pommades ou suppositoires aident à la cicatrisation. L’arrivée très prochaine d’inhibiteurs calciques, sous forme de pommade, devrait permettre une prise en charge efficace. Ils agissent sur la physiopathologie de la fissure en relâchant la contraction du sphincter anal, ce qui aide à revasculariser la sphère anale. Déjà recommandés dans les fissures douloureuses et/ou hypertoniques dans plusieurs pays d’Europe, on peut espérer que les inhibiteurs calciques vont diminuer le nombre d’indications chirurgicales.

 

TLM : En quoi consiste la chirurgie ?

Pr Laurent Abramowitz : En France, dans la majorité des cas, on pratique la fissurectomie. Les berges trop fibreuses ne peuvent plus combler la fissure. L’intervention consiste à retirer les petits replis de peau en aval (la marisque) et en amont (la papille). Puis une nouvelle plaie est créée qui cicatrise, avec des topiques locaux et une régulation du transit. Les pays anglo-saxons agissent sur la cause. Ils pratiquent la sphinctérotomie latérale interne. Cela consiste à couper le sphincter interne avec un scalpel pour lever l’hypertonie. Le risque est l’incontinence anale.

Propos recueillis

par Cendrine Barruyer-Latimier

NB : Dans le pré-programme des journées de colo-proctologie 2023 (16, 17 et 18 novembre), une séance est prévue sur la fissure anale.

www.snfcp.org

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