• Pr KUHN : Le lait maternel, véritable « médicament » pour les prématurés

Pierre KUHN

Discipline : Pédiatrie

Date : 22/06/2020


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L’allaitement maternel des bébés nés prématurément doit être davantage encouragé et soutenu, à la maternité mais aussi lors du retour à domicile, plaide le Pr Pierre Kuhn (Unité de réanimation néonatale, CHRU de Strasbourg). Il invite les professionnels de santé de ville à se mobiliser dans ce sens

Chaque année, environ 8 % des naissances surviennent avant le terme normal de la grossesse —entre 37 et 41 semaines d’aménorrhée (SA). Un chiffre en hausse, indique le Pr Pierre Kuhn, qui l’explique par une aggravation de la précarité sociale et une hausse de la prématurité « consentie » —l’accouchement avant terme est décidé par les médecins en raison de facteurs engageant la survie de la mère ou de l’enfant. Parmi ces 60 000 nouveau-nés, certains viennent au monde avec 1,5 à 2,5 mois d’avance : on parle de « grands prématurés » ; d’autres restent à peine 6 mois dans le ventre de leur mère, parfois moins : ils sont considérés comme « extrêmement prématurés » (22 à 26 SA). 

Outre des complications néonatales majeures, d’ordre cérébral, respiratoire et digestif, ces enfants encourent des troubles du développement cognitif et moteur à plus long terme. Et plus la prématurité est sévère, plus les risques sont élevés. Seul véritable médicament capable de les prévenir : le lait maternel. « Les bénéfices du lait maternel pour le bébé prématuré sont multiples : globalement, il diminue le risque d’infections et de mortalité. A court terme, il réduit le risque de complications digestives (et plus particulièrement d’entérocolite nécrosante, fréquente chez les prématurés), de complications oculaires (notamment la rétinopathie) et de complications pulmonaires. A long terme, il atténue le risque d’atopie et, surtout, le risque de complications neurologiques », liste le spécialiste.

Trop peu de prématurés allaités

En France, les enfants prématurés sont pourtant encore trop peu nombreux à être nourris au lait maternel ; seuls deux tiers d’entre eux le sont à leur naissance, et moins de la moitié le restent une fois sortis de la maternité, selon des résultats de l’étude EPIPAGE 2*. Il faut dire qu’allaiter un bébé prématuré représente un réel défi. « Ces nouveau-nés ne sont pas encore capables de boire au sein. La majorité y parviennent à l’âge de 33-34 SA ; certains peuvent avoir leurs premiers mouvements de succion du sein vers 29 SA, mais c’est assez rare », précise le Pr Kuhn. Tant que la tétée n’est pas envisageable, le lait est administré par une sonde d’alimentation. Si elle veut faire bénéficier son enfant des bienfaits incontestés du lait maternel, la mère doit donc tirer son lait régulièrement. « Toutes les trois heures et au moins une fois la nuit, pour entretenir les montées de lait et respecter les besoins physiologiques du bébé ». Pas toujours facile quand le plaisir lié à l’échange avec son enfant n’est pas là... Sans compter que beaucoup de prématurés sont séparés de leur mère pour raisons médicales. 

Mais ces difficultés n’expliquent pas tout. La preuve, dans d’autres pays, notamment dans les pays scandinaves, l’allaitement maternel des bébés nés prématurément est nettement plus fréquent, souligne le Pr Kuhn, plaidant pour le développement d’une politique en faveur de l’allaitement. « La France doit faire la promotion de l’allaitement maternel, informer les futures mères sur les bénéfices du lait maternel dès la grossesse, former les équipes médicales et soignantes au soutien des jeunes mamans. Il est indispensable que ces dernières soient accompagnées dans leur démarche d’allaitement. » Car plus la mise en route de l’allaitement se fait mal, plus les chances qu’il se poursuive sont minces. 

Depuis plusieurs années, les équipes soignantes qui prennent en charge les bébés prématurés intègrent davantage les parents dans les programmes de soins avec le concept  de soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille. L’objectif : réduire la séparation et favoriser en particulier le « peau-à-peau » dont on sait qu’il a des nombreux bénéfices à long terme pour l’enfant mais aussi qu’il stimule l’allaitement. Mais qu’advient-il de ces femmes une fois sorties de la maternité ? Bien souvent livrées à elles-mêmes, beaucoup cessent de tirer leur lait ou de donner le sein à leur enfant. Pour le Pr Kuhn, il est donc indispensable qu’un soutien s’organise, et que des conseillères en lactation mais aussi les médecins traitant prennent le relais. 

Propos recueilis par Amélie Pelletier

* Étude épidémiologique nationale sur les petits âges gestationnels, lancée en 2011 auprès de 7 000 enfants prématurés suivis jusqu’à l’âge de 12 ans, visant à mieux connaître leur devenir et à améliorer les connaissances sur les causes et les conséquences de la prématurité.

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