• Pr Kodjikian : Œdème maculaire diabétique, uvéite : Quoi de neuf pour les patients ?

Laurent Kodjikian

Discipline : Ophtalmologie

Date : 23/10/2023


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Ces deux maladies de l’œil sont insuffisamment dépistées alors que de nouveaux traitements efficaces sont disponibles. Le point avec le Pr Laurent Kodjikian, chef-adjoint du service d’Ophtalmologie à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, ex-président de la Société française d’ophtalmologie.

 

TLM : Comment définir l’œdème maculaire diabétique (OMD) ?

Pr Laurent Kodjikian : La rétinopathie diabétique est traitée par laser depuis 30 ou 40 ans, ce qui nous a permis de sauver les diabétiques de la cécité. Le diabète touche 9 % des patients en France : un tiers développe une rétinopathie diabétique et environ 7 % un OMD et, dans ce groupe, 40 % auront un OMD sévère avec perte de vision.

 

TLM : Quels sont les symptômes de l’OMD ?

Pr Laurent Kodjikian : C’est un œdème, donc un épaississement de la macula, provoqué généralement par une accumulation d’eau, car les vaisseaux des diabétiques sont plus poreux et la laissent passer. Les symptômes ne sont pas spécifiques : baisse de la vision, déformation des lignes droites, lecture plus petite ou plus grosse des lettres, parfois un scotome, autrement dit un point noir dans le centre de la vision.

 

TLM : Quelles sont les principales causes de cette pathologie ?

Pr Laurent Kodjikian : C’est le diabète lui-même, en particulier l’ancienneté du diabète, avec les vaisseaux sanguins fragilisés, l’hypertension, le mauvais équilibre du cholestérol et des lipides, des anomalies rénales…

 

TLM : Comment dépister et traiter l’OMD ?

Pr Laurent Kodjikian : Son dépistage est une vraie préoccupation. Un diabétique avec plus de 10 ans d’ancienneté doit consulter son ophtalmologiste tous les ans. Mais, en pratique, seuls 40 à 50 % d’entre eux bénéficient d’un examen de l’œil chaque année en France, contre 90% dans les pays du nord. En 20 ans, le dépistage a progressé mais il reste du chemin à parcourir. Quant au traitement, il passe par différentes voies : tout d’abord équilibrer le diabète, la tension artérielle et arrêter le tabac. Ensuite, on traite en fonction des situations : soit le centre de la vision, en particulier la fovéola, n’est pas atteinte et on peut recourir au laser. Si elle est touchée, on propose des injections d’anti-VEGF ou de corticoïdes intravitréennes (à l’intérieur de l’œil).

 

TLM : Comment définir les uvéites ?

Pr Laurent Kodjikian : Cette fois-ci, il s’agit d’une pathologie du sujet jeune. C’est une inflammation de l’uvée, le tissu vasculaire de l’œil qui comprend l’iris, le corps cilaire, la choroïde, la rétine et ses vaisseaux. Il n’existe pas d’étude épidémiologique récente mais ce n’est pas une pathologie fréquente.

 

TLM : Quels sont les principaux symptômes ?

Pr Laurent Kodjikian : S’il s’agit d’une uvéite antérieure —lorsque les structures situées en avant de l’œil (iris) sont touchées—, l’œil est rouge et douloureux, on observe une baisse de l’acuité visuelle. Les uvéites intermédiaires —les structures intermédiaires (vitré) sont touchées— sont généralement indolores ; elles peuvent s’accompagner d’une baisse de l’acuité visuelle et d’une perception de petites taches noires. Pour les uvéites postérieures —lorsque les structures situées en arrière de l’œil (choroïde, rétine) sont touchées—, la baisse de vision est le principal symptôme, pouvant s’accompagner d’une sensation de flou ou d’une perception de taches.

 

TLM : Quelles sont les principales causes des uvéites ?

Pr Laurent Kodjikian : Les causes sont multiples, au nombre d’environ 80 déjà identifiées. Parfois, il faut une véritable enquête policière pour la déceler, alors les patients sont dirigés vers un service de médecine interne. Parmi les causes les plus fréquentes : des maladies spécifiques de l’œil (corps étranger, plaie oculaire, intervention chirurgicale oculaire, tumeur oculaire, décollement rétinien ancien, etc.), des maladies générales (notamment sarcoïdose, spondylarthrite ankylosante…) et des infections (dont tuberculose, maladie de Lyme, zona). Sans oublier des iatrogénies médicamenteuses.

Mais 30 à 50% des uvéites restent inexpliquées et sont dites alors idiopathiques.

 

TLM : Comment traiter les uvéites ?

Pr Laurent Kodjikian : Le diagnostic est posé quand le patient se plaint de symptômes et consulte. Pour traiter, il faut rechercher la cause, être attentif à ne pas se faire piéger par une infection ou une tumeur. Une uvéite antérieure se traite aisément et rapidement par un traitement local de corticoïdes. Mais pour une uvéite postérieure idiopathique chronique, par exemple, on peut parfois utiliser une corticothérapie par voie intraoculaire et, selon le résultat obtenu, on pourra décider de recourir à des immunomodulateurs soit conventionnels, soit biologiques (une biothérapie par anti-TNF alpha, par exemple).

 

TLM : La recherche dans ce domaine progresse-t-elle ? Dispose-t-on de nouveaux traitements pour ces deux pathologies ?

Pr Laurent Kodjikian : Pour l’OMD, il y aura bientôt de nouveaux anti-VEGF, on attend leur remboursement. Ils présentent une meilleure efficacité anatomique et une plus grande durabilité dans les résultats, ce qui permet d’espacer les injections. Depuis peu, nous disposons de corticoïdes en injection, à durée d’action moyenne et longue, donc une action prolongée, ce qui constitue un progrès. Mais ils peuvent favoriser l’hypertonie oculaire et la cataracte. Néanmoins ils sont utiles pour au moins un tiers des patients diabétiques qui présentent un taux de VEGF normal, chez lesquels les anti-VEGF ne sont pas efficaces. Pour les uvéites, nous avons obtenu le remboursement en 2019 d’un corticoïde très efficace si le patient est bien sélectionné, avec une durée d’action de trois ans !

Sont à l’étude de nouvelles voies d’action contre les uvéites : des antiinterleukines 6 et 17 notamment. Mais il s’agit de recherches encore préliminaires.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste pour la prise en charge de ces deux pathologies ?

Pr Laurent Kodjikian : Il doit adresser à l’ophtalmologiste le patient diabétique atteint d’une OMD et doit rappeler à ce dernier de consulter le spécialiste chaque année. Concernant l’uvéite, le médecin généraliste a un rôle à jouer pour la dépister, en comprendre les causes, surtout déceler une éventuelle pathologie générale sous-jacente. Mais le traitement étant complexe, il doit orienter vers l’ophtalmologiste. Néanmoins Il est à même de prendre en charge les mesures associées, comme la surveillance de l’HTA, la consommation de sel, ainsi que la prise de corticoïdes par voie orale.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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