• Pr Julien Taïeb : Cancers de l’œsophage : Les promesses de l’immunothérapie

Julien Taïeb

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 18/04/2023


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Le pronostic des cancers de l’œsophage, qu’ils soient localisés ou métastatiques, s’améliore grâce à l’immunothérapie. Le point avec le Pr Julien Taïeb, oncologue digestif à l’hôpital Européen GeorgesPompidou à Paris.

 

TLM : Combien de Français sont-ils diagnostiqués chaque année d’un cancer de l’œsophage ?

Pr Julien Taïeb : 5 000 à 6 000 nouveaux cas sont enregistrés par an. Avec une forte prédominance masculine puisque, dans 75 % des cas, les hommes sont concernés. On distingue deux formes de cancers de l’œsophage : le carcinome épidermoïde, localisé à tous les niveaux de l’œsophage, et l’adénocarcinome, généralement localisé au tiers inférieur.

 

TLM : Quels sont les facteurs de risque de ce cancer ?

Pr Julien Taïeb : Le tabac, l’alcool (ou leur association) sont des facteurs de risques du carcinome épidermoïde. Le HPV peut aussi parfois contaminer l’œsophage mais cela reste rare en comparaison aux cancers ORL. L’adénocarcinome est plus particulièrement associé à l’obésité et à la junk food qui favorisent le reflux gastro-œsophagien et les remontées acides.

 

TLM : Quels signes doivent alerter le médecin ?

Pr Julien Taïeb : Le plus souvent, une dysphagie progressive : difficulté à déglutir d’abord des aliments solides puis liquides. Le patient a la sensation de quelque chose de bloqué derrière le sternum.

Sans oublier une altération de l’état général : perte d’appétit, amaigrissement, fatigue, anémie (les lésions cancéreuses peuvent saigner). La présence de ganglions au-dessus de la clavicule est aussi un signe d’alerte.

 

TLM : Comment poser le diagnostic ?

Pr Julien Taïeb : Il faut une endoscopie de l’œsophage et de l’estomac au cours de laquelle sont réalisées des biopsies. Le diagnostic est confirmé par les résultats de l’anatomopathologie. Cela permet aussi d’identifier la forme histologique du cancer : carcinome épidermoïde ou adénocarcinome.

Ensuite le scanner thoraco-abdominal permet de bien localiser la lésion et les ganglions avoisinants et de rechercher des métastases au foie et au poumon. Cet examen est suffisant pour évaluer l’extension de la maladie et décider de l’approche thérapeutique. Néanmoins si la tumeur est localisée, on pratique aussi une écho-endoscopie pour préciser de façon plus fine les rapports locaux de la tumeur avec les autres tissus et les ganglions locorégionaux en vue d’une possible chirurgie.

 

TLM : Comment traiter selon les différents types de cancer et selon les stades ?

Pr Julien Taïeb : Si la tumeur est localisée et très superficielle, on peut la retirer sans chirurgie, par endoscopie. Si elle est localisée et superficielle, par la chirurgie seule. Si elle n’est pas superficielle on propose généralement une radio-chimiothérapie préopératoire puis une chirurgie. Mais cela dépend de la localisation de la tumeur : on n’opère plus le tiers supérieur de l’œsophage car l’intervention est trop mutilante, on propose une radiochimiothérapie exclusive dans ce cas. Pour le tiers moyen, la chirurgie est assez lourde mais non délabrante. Le tiers inférieur est le plus facile à opérer. Pour les cancers localement avancés, une radio-chimiothérapie suivie d’une chimiothérapie est le traitement habituel. Pour les cancers métastatiques, la chimiothérapie est le traitement de référence.

 

TLM : Quelle est la place de l’immunothérapie dans les cancers de l’œsophage ?

Pr Julien Taïeb : On associe l’immunothérapie à la chimiothérapie chez des patients dont les cellules tumorales ont des marqueurs spécifiques, identifiés par l’anatomopathologie : les PDL1. Ils indiquent qu’il existe, dans la tumeur, des acteurs immunitaires. On calcule un score, le CPS ou Combined Positive Score : lorsqu’il est supérieur à 10, on peut associer l’immunothérapie à la chimiothérapie. Ce traitement booste les cellules de l’immunité qui peuvent ainsi s’attaquer à la tumeur et améliore l’effet thérapeutique de la chimiothérapie. De nombreux malades aujourd’hui bénéficient de ce traitement. 80% sont diagnostiqués au stade métastatique et 60% d’entre eux environ sont éligibles à une immunothérapie.

 

TLM : L’immunothérapie améliore-t-elle la qualité et la quantité de vie des patients ?

Pr Julien Taïeb : L’immunothérapie est généralement bien tolérée mais elle est couplée à la chimiothérapie. On n’aggrave pas les effets secondaires de la chimio mais on peut rajouter des toxicités. Comme on stimule le système immunitaire, le risque est de favoriser une agression des organes sains, aboutissant à des maladies auto-immunes : ces effets sont sévères chez moins de 1 % des patients. Les études scientifiques montrent une amélioration de la survie globale. On gagne en médiane quatre mois d’espérance de vie : ce qui représente, pour ces cancers, 30 à 40 % d’espérance de vie en plus. Mais c’est une médiane et une partie des patients obtiennent un bénéfice beaucoup plus important, avec un gain de survie de 12 à 24 mois.

 

TLM : L’immunothérapie est-elle possible pour les stades localisés ?

Pr Julien Taïeb : Pour les stades localisés, on opère, après radio-chimiothérapie préopératoire. Une étude, publiée en 2021 dans le New England Journal of Medicine, a testé l’immunothérapie chez ces patients opérés : un groupe placebo et un groupe immunothérapie pendant six mois. Les résultats sont éloquents. Dans le premier groupe, 30% des patients ne rechutent pas à long terme et semblent guéris contre 45% dans le groupe immunothérapie. Pour ceux qui rechutent, l’immunothérapie permet une survie sans récidive médiane de 22 mois, contre 11 mois avec le placebo. C’est la première fois, avec un recul de deux ans et demi, qu’on montre qu’un traitement est efficace pour le cancer de l’œsophage en postopératoire.

Et, de plus, très bien toléré.

 

TLM : Quelle est la place du médecin généraliste dans la prévention, le dépistage et le traitement de ce cancer ?

Pr Julien Taïeb : D’abord la prévention : il doit insister sur l’hygiène alimentaire pour éviter les facteurs de risque de reflux comme les sodas et la junk food. Et faire attention aux signes d’alerte, surtout chez les plus de 50 ans qui ont du mal à déglutir : c’est une indication pour une fibroscopie sans tarder.

Enfin le généraliste est autorisé à porter un message d’espoir : des progrès très importants ont été réalisés ces dernières années avec des guérisons plus fréquentes dans les formes localisées, et des rémissions plus fréquentes dans les formes avancées. L’avenir est prometteur avec des combinaisons d’immunothérapies ainsi que de nouvelles immunothérapies, actuellement testées.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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