• Pr Joël Gaudelus : Prévention des infections invasives à méningocoques par la vaccination

Joël Gaudelus

Discipline : Infectiologie

Date : 17/01/2023


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Le vaccin contre le méningocoque B est désormais inclus dans le calendrier vaccinal, accèdant ainsi au remboursement.

Explications du Pr Joël Gaudelus, pédiatre infectiologue, anciennement au Pôle Femme-Enfant, service de Pédiatrie de l’hôpital Jean-Verdier (Bondy).

 

TLM : Que représentent les infections invasives en France ?

Pr Joël Gaudelus : Ces infections invasives, dont les méningites à méningocoque,sont dues à douze sérogroupes désignés par des lettres. Or si les sérogroupes A, B, C, W et Y couvrent plus de 95% des cas, le B est à lui seul responsable de la moitié des cas tous âges confondus et de 70% des cas chez les moins de cinq ans (données 2019 de Santé publique France, avant Covid). Le C est le seul à avoir baissé ces dernières années, et le seul contre lequel on vaccine. Le W a beaucoup augmenté durant la dernière décennie et occupe la deuxième place ; il a la particularité d’être plus grave avec une mortalité de plus de 20%. Quant au Y, il concerne avant tout le sujet âgé.

Certes les infections invasives à méningocoque (IIM) ne sont pas fréquentes : incidence de 0,8 p/100 000 soit 450 à 500 cas par an. Mais elles sont imprévisibles : n’importe qui peut en être atteint du jour au lendemain. Et, surtout, elles sont graves : leur mortalité se maintient autour de 10 %, malgré les progrès de la réanimation de l’antibiothérapie et elles sont responsables de séquelles dans plus d’un quart des cas, qu’ellessoient neurologiques,sensorielles(surdité), cognitives ou psychologiques, auxquelles il faut ajouter les amputations de degré variable, et les altérations possibles des cartilages de croissance à l’origine de troubles de la croissance des membres et de séquelles orthopédiques.

 

TLM : Que doit faire le médecin de ville face à ces infections ?

Pr Joël Gaudelus : Leur diagnostic est difficile, surtout au début. Une étude anglaise comportant 450 cas d’IIM de 0 à 16 ans montre que sur les 328 cas ayant consulté un médecin généraliste, seuls 50% avaient été adressés à l’hôpital, du fait de la non-spécificité des signes de début de type syndrome grippal, avec fièvre, parfois anorexie, vomissements, sensation de fatigue, douleurs des membres. Ce n’est qu’après six à huit heures que survient le tableau classique permettant d’évoquer le diagnostic : syndrome méningé avec céphalées, vomissements, raideur de la nuque, photophobie, le tout dans un contexte fébrile. Insistons sur un signe que tous les praticiens connaissent et qu’il faut rechercher : le purpura qui dans un contexte fébrile doit évoquer le diagnostic. Quand les enfants sont vus plus tard, ils peuvent présenter des convulsions, un coma, un choc septique grave. En l’absence de traitement, les enfants atteints d’une méningite bactérienne sont quasiment voués à une mort certaine. En ville, face à ce tableau, le médecin doit pratiquer une injection de ceftriaxone avant même d’appeler le Samu et d’hospitaliser l’enfant.

Il s’agit d’une maladie à déclaration obligatoire.

 

TLM : Quelle prévention vaccinale face à cette pathologie ?

Pr Joël Gaudelus : L’introduction en 2010 du vaccin contre le meningocoque C (recommandation d’une injection chez l’enfant à 12 mois avec rattrapage jusqu’à 24 ans), vaccin efficace sur le portage des souches C, s’est traduite globalement par un échec parce qu’on n’a pas vacciné les sujets réservoirs du germe —les adultesjeunes et les adolescents— susceptibles de contaminer les nourrissons de moins d’un an, population la plus vulnérable (l’incidence y est 15 fois celle de la population générale). Pour cette raison, le vaccin méningocoque C a donc été introduit à cinq mois dans le calendrier vaccinal en 2017 avant de devenir obligatoire en 2018. En 2019, on a dénombré un seul cas d’IIMC chezles moins d’un an, un bébé de deux mois, non encore vacciné. Quant au vaccin tétravalent —A,C,Y,W—, il n’est recommandé dans l’immédiat dans notre pays que dans des situations à haut risque, notamment les sujets immunodéprimés, aspléniques, ou les voyageurs en direction de pays à risque. Nul doute que cette absence de recommandation en population générale est appelée à évoluer en fonction des données épidémiologiques, modifiées récemment par le Covid et les mesures barrières. S’agissant du vaccin contre le méningocoque B, sa recommandation est intégrée dans le calendrier vaccinal depuis avril 2022. En tant que pédiatre, j’attends ce vaccin depuis 30 ans car j’ai vu trop d’enfants mourir de cette maladie ou en souffrir des séquelles.

 

TLM : Pourquoi avoir tant tardé à introduire dans le calendrier vaccinal le vaccin contre le méningocoque B ?

Pr Joël Gaudelus : Ce vaccin a été introduit pour plusieurs raisons. Premièrement parce que le sérogroupe B est le plus fréquent, notamment chez les moins de cinq ans et les moins de un an, comme je l’ai indiqué plus haut.

Deuxièmement, parce qu’on a enfin réussi à mettre au point ce vaccin, et ce grâce à une méthode révolutionnaire, dite « vaccinologie inverse », qui a permis d’identifier des protéines de la bactérie capables de susciter une réponse immunitaire protectrice. La troisième raison, c’est qu’au moins deux pays ont attesté des résultats significatifs en vie réelle : les Anglais, après l’avoir introduit dans leur calendrier vaccinal, ont obtenu dans les trois ans qui ont suivi une baisse de 75% dans la cible vaccinale ; plus récemment, les Portugais ont trouvé une efficacité de 79%. La tolérance de ce vaccin est acceptable, l’effet indésirable le plus fréquent étant la fièvre. A cet égard les Anglais qui recommandent ce vaccin en co-administration avec l’hexavalent, le vaccin pneumocoque, et le vaccin rotavirus ont montré que le paracétamol donné en prophylaxie diminuait la fièvre sans altérer l’immunogénicité des vaccins. Il reste qu’en France, on n’aime pas pratiquer plus de deux injections par séance vaccinale, d’où la recommandation de l’administrer à trois mois pour la première dose, à cinq mois pour la deuxième et à 12 mois pour la troisième. Ainsi on ne fait pas plus de deux injections par jour sauf à 12 mois. Pour ceux qui refusent de faire trois injections dans la même séance, mieux vaut décaler d’un mois le rappel de vaccin méningo C. La prophylaxie par le paracétamol (une dose au moment de la vaccination puis deux autres doses à six heures d’intervalle) est également recommandée. La cible vaccinale du B vise avant tout les enfants de moins de deux ans en population générale. Ce vaccin n’est d’ailleurs remboursé que si le schéma vaccinal a été commencé avant l’âge de 24 mois. Rappelons que ce vaccin est recommandé et remboursé depuis 2013 chez les sujets à haut risque. Dans cette population il est désormais recomandé de faire un rappel à cinq ans et de vacciner l’entourage proche.

 

TLM : Quelle est l’acceptation vaccinale dans « la » méningite ?

Pr Joël Gaudelus : « La » méningite a toujours eu très mauvaise presse auprès de la population. En outre, on vaccine déjà contre la méningite à Haemophilus b, à pneumocoque, à méningocoque C, et maintenant contre le méningocoque B.

Dans un tel contexte, je ne crois pas que le médecin puisse avoir beaucoup de mal à convaincre les parents. Et leur dire qu’on peut lutter contre les méningites bactériennes constitue un argument très fort. Il s’agit d’une maladie imprévisible, dont le diagnostic est difficile, grave, et contre laquelle nous avons la chance de disposer d’un vaccin efficace.

Propos recueillis

par Elvis Journo & Daniel Paré

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