• Pr Jean-Yves Blay : La bataille contre les effets secondaires des chimiothérapies

Jean-Yves Blay

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 23/10/2023


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Les effets indésirables d’une chimiothérapie doivent être surveillés de près, notamment la neutropénie, afin de les prévenir et en limiter l’impact.

Même si les thérapies ciblées apparues plus récemment s’avèrent moins toxiques. Le point avec le Pr Jean-Yves Blay, oncologue médical, directeur général du Centre Léon-Bérard et président d’Unicancer.

 

TLM : Chimiothérapie cytotoxique et chimiothérapie conventionnelle : parlet-on de la même chose ?

Pr Jean-Yves Blay : Tout à fait ! Quand on parle de chimiothérapie, il s’agit d’un raccourci : cela signifie chimiothérapie cytotoxique, autrement dit des médicaments dont l’objectif est de tuer les cellules tumorales. Un mécanisme d’action très différent des thérapies ciblées et de l’immunothérapie.

 

TLM : Dans quels types de cancers la chimiothérapie est-elle prescrite ? Peut-elle être parfois « détrônée » par ces nouveaux traitements anticancéreux ?

Pr Jean-Yves Blay : En situation adjuvante, elle reste utilisée dans de nombreux cancers : sein, prostate, côlon… Elle reste aussi largement employée lorsque les patients rechutent. Egalement en première ligne pour des tumeurs localisées. L’intérêt de la chimiothérapie a été démontré de très longue date. Il faut encore des études scientifiques, avec de vastes cohortes et beaucoup de recul, pour mettre au premier plan les récents traitements anticancéreux. Mais il faut le souligner : la chimiothérapie commence à être devancée par les thérapies ciblées, moins toxiques et plus efficaces.

 

TLM : Quels en sont les effets indésirables les plus courants ?

Pr Jean-Yves Blay : Chaque médicament de chimiothérapie a sa toxicité propre et les effets indésirables sont variables d’un patient à l’autre, puisque chaque individu a son métabolisme particulier. L’effet secondaire le plus problématique et le plus fréquent reste l’impact sur la moelle osseuse et les cellules du sang, avec un risque de neutropénie, d’anémie et de thrombopénie. La toxicité sur les muqueuses, plus ou moins forte selon les molécules, est aussi majeure, entraînant des aphtes, des diarrhées, des douleurs abdominales, des vomissements… La fatigue est un effet secondaire souvent retrouvé mais, même si tous les patients ont un coup de mou après une chimiothérapie, certains pourront ensuite courir un marathon alors que d’autres resteront cloués au lit. Beaucoup de médicaments cytotoxiques entraînent une chute de cheveux : un effet secondaire qui stigmatise et qui est très mal vécu par les hommes et les femmes. Il ne faut pas oublier la sarcopénie —effet du traitement et du cancer lui-même— que l’on peut atténuer ou prévenir par une activité physique adaptée.

 

TLM : Quels sont les agents cytotoxiques les plus délétères ?

Pr Jean-Yves Blay : Ceux qui provoquent le plus d’effets secondaires sont les produits alkylants, les anthracyclines et le docétaxel. Car leur mode d’action est de léser l’ADN des cellules cancéreuses (pour les deux premiers) , mais en abîmant au passage celui de cellules normales.

 

TLM : Peut-on diminuer les doses d’une chimiothérapie tout en maintenant son efficacité ?

Pr Jean-Yves Blay : Oui, on doit moduler les doses face à des toxicités majeures… mais cela doit être finement calculé : si on diminue les doses de façon exagérée, on risque de faire perdre des chances au patient. Il faut vraiment ajuster la quantité de médicament à l’agressivité de la tumeur et on peut modifier aussi l’intervalle entre les cures pour laisser un peu plus de répit au patient. Maintenant on sait que certaines personnes sont plus sensibles à tel ou tel médicament. Par exemple le 5FU, utilisé notamment dans les cancers du sein et les tumeurs digestives : grâce à une prise de sang, on dose une enzyme (la DPD) pour vérifier si elle existe en quantités suffisantes, ce qui permettra au malade de bien assimiler ce médicament et de subir moins d’effets indésirables.

 

TLM : La neutropénie est-elle un effet indésirable fréquent ? Avec quelles conséquences pour le patient ?

Pr Jean-Yves Blay : Pratiquement toutes les chimiothérapies favorisent cet effet secondaire. La neutropénie est provoquée par une diminution du nombre de certains globules blancs, les polynucléaires neutrophiles, très impliqués dans la défense antimicrobienne de l’organisme. Le patient, qui souffre de cet effet secondaire, n’a plus les mêmes capacités à combattre les infections. Il faut surveiller de près la numération formule sanguine avec des prises de sang. La fièvre est le symptôme qui doit alerter et amener à consulter très vite. Quand on prescrit une chimiothérapie cytotoxique à hautes doses à un sujet fragile ou âgé, on peut donner, à titre préventif, des facteurs de croissance, un traitement qui stimule la production de globules blancs.

 

TLM : Les soins de support ont-ils une efficacité pour limiter les effets indésirables ?

Pr Jean-Yves Blay : C’est important d’informer le patient des effets secondaires qui peuvent survenir. Et encadrer son suivi avec des soins de supports qu’il faut prescrire d’emblée. Ils permettent de mieux supporter la chimiothérapie et tous les traitements en général. Par exemple, la fatigue : elle concerne 80 à 100% des malades soignés par chimiothérapie. Le temps où il leur était conseillé de se reposer semble révolu. A ce jour, l’activité physique est le seul traitement validé de la fatigue en cancérologie. Elle est particulièrement importante car elle agit contre tous les effets secondaires : par exemple, marcher régule le transit, diminue les nausées et les douleurs, stimule le mental. C’est fondamental !

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste : lui incombe-t-il de gérer les effets indésirables ?

Pr Jean-Yves Blay : Tous les médecins généralistes ne sont pas formés aux toxicités des chimiothérapies mais, en général, ils savent gérer seuls les effets secondaires simples des traitements. Quoi qu’il en soit, ils suivent le patient en concertation avec l’équipe de cancérologie. Si les effets secondaires sont complexes, ils doivent collaborer avec elle. C’est un travail important qui favorise le lien ville/hôpital. Mais beaucoup de généralistes sont débordés et orientent le patient en consultation d’urgence en cas de doute : il ne faut surtout pas hésiter à le faire.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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