• Pr Jean-Paul Stahl : Infections par le cytomégalovirus, rares mais potentiellement graves…

Jean-Paul Stahl

Discipline : Infectiologie

Date : 06/07/2023


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Les infections par le cytomégalovirus (CMV) sont généralement sans danger, sauf lorsqu’elles surviennent chez des personnes immunodéprimées ou au cours de la grossesse. Le point avec le Pr Jean-Paul Stahl, professeur émérite de Maladies infectieuses à l’Université de Grenoble.

 

TLM : Qu’est-ce qu’une infection à CMV ?

Pr Jean-Paul Stahl : Le cytomégalovirus (CMV) est un virus appartenant à la famille des Herpèsvirus, comme celui de la mononucléose infectieuse par exemple. Il est extrêmement répandu : 90% de la population adulte a été en contact avec ce virus à un moment de sa vie. Il reste ensuite présent dans l’organisme et peut resurgir à l’occasion d’une baisse de l’immunité. Il est souvent asymptomatique mais il est dangereux en cas de grossesse car il peut entraîner de graves complications pour le fœtus.

 

TLM : Comment la contracte-t-on ?

Pr Jean-Paul Stahl : Comme pour les virus de l’herpès, la transmission s’effectue principalement via les voies aériennes supérieures, donc le contact avec la salive et les sécrétions nasales. Le virus est également présent dans les sécrétions du col de l’utérus, le sperme, les selles, l’urine, les larmes, le lait maternel. La transmission sexuelle est possible mais rare. Elle peut survenir aussi lors de transfusions sanguines ou de greffes d’organes. Si la maman est en phase aiguë de primo-infection, celle des nourrissons peut avoir lieu dès les premiers jours de vie par contamination avec les sécrétions génitales lors de l’accouchement, par l’allaitement. Elle peut survenir plus tard, par contact avec d’autres nourrissons infectés, notamment au sein d’une crèche. Les plus exposés sont les professions de la santé et celles impliquant un contact avec les enfants.

 

TLM : Comment fait-on le diagnostic d’une infection à CMV ?

Pr Jean-Paul Stahl : Une prise de sang permet de poser le diagnostic. La sérologie du CMV dose deux types d'anticorps : les IgM et les IgG. Les IgM sont les premiers à apparaître et disparaissent en quelques semaines à quelques mois. Suivent les IgG qui perdurent toute la vie. Cela permet de dater en quelque sorte l’infection à CMV, de savoir si elle est récente (primo-infection) ou ancienne. Dans certains cas, s’il y a suspicion d’une pathologie grave liée au CMV, on peut être amené à réaliser une PCR.

 

TLM : Quels en sont les symptômes ?

Pr Jean-Paul Stahl : La primo-infection est souvent asymptomatique. Parfois elle donne lieu à un syndrome viral avec de la fièvre, des douleurs musculaires, voire une petite angine… On guérit sans traitement. A l’occasion d’une immunodépression, le CMV peut ressurgir avec des symptômes bien plus sévères touchant le cœur (péricardite), le côlon (colite), les yeux (rétinite), le cerveau (encéphalite)… Chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli, le CMV peut provoquer une maladie grave, voire le décès : d’une part parce que les symptômes peuvent être très sévères et, d’autre part, parce que ces patients sont très fragiles. Auparavant, chez les personnes atteintes du sida, l’infection à CMV était une complication fréquente : une maladie dite opportuniste. Le virus infectait notamment les yeux au niveau de la rétine, pouvant entraîner une cécité. Aujourd’hui, grâce aux trithérapies, c’est un tableau clinique très rare.

 

TLM : Pourquoi parle-t-on parfois de CMV positif ?

Pr Jean-Paul Stahl : A l’occasion d’une greffe d’organe ou de cellules souches hématopoïétiques : on essaye de ne pas attribuer de greffon CMV positif à un receveur CMV négatif. Ou, sinon, compte tenu de la baisse de l’immunité des patients greffés, ces derniers présenteraient des risques importants de pathologies graves, puisqu’ils n’ont jamais développé d’immunité contre le CMV.

 

TLM : Comment traiter ?

Pr Jean-Paul Stahl : On dispose d’un traitement antiviral par voie intraveineuse très efficace, mais il faut surveiller de près les effets secondaires, notamment la possible survenue d’une atteinte rénale. La recommandation est de traiter les patients immunodéprimés avec cet antiviral uniquement quand la balance bénéfices/risques est en faveur du bénéfice.

Attention, ce traitement ne peut pas être administré à la femme pendant la grossesse en raison des risques élevés pour le développement du fœtus.

 

TLM : Si une femme enceinte contracte le CMV, que se passe-t-il pour le fœtus ?

Pr Jean-Paul Stahl : La femme enceinte ne présente pas de résurgence de CMV car elle n’est pas immunodéprimée, mais elle peut faire une primo-infection. Il y a en effet un risque quel que soit le moment de la grossesse : heureusement, dans 98% des cas, il n’y aura aucune répercussion pour le fœtus ; dans 2 % des cas on peut être confronté à une atteinte fœtale. Si l’infection à CMV gagne le fœtus, il peut y avoir de graves conséquences et séquelles : retard moteur et intellectuel, perte d’audition avec risque de surdité, retard de croissance (microcéphalie, notamment). Dans certains cas, le CMV provoque une fausse couche, un décès in utero voire un décès à la naissance.

 

TLM : Comment agir ?

Pr Jean-Paul Stahl : Lorsqu'une infection fœtale à CMV a été diagnostiquée par un bilan sanguin, une surveillance échographique rapprochée doit être mise en place. Les échographies sont aujourd’hui performantes et il est possible de repérer d’éventuelles malformations ou une anomalie de la croissance fœtale. Mais, même s’il a fait débat, le dépistage n’est pas recommandé de façon systématique pendant la grossesse ou en prévision d’une grossesse, car il n’y a pas de vaccin ou de traitement à proposer, hormis la surveillance échographique. Bien sûr, pour les couples, l’annonce du diagnostic est très éprouvant.

 

TLM : Quelle est la place du médecin généraliste dans la prévention et la prise en charge du CMV ?

Pr Jean-Paul Stahl : Les médecins généralistes suivent des personnes immunodéprimées, ils peuvent donc établir le diagnostic d’infection à CMV en cas de symptômes, et adresser leur patient au spécialiste. Ils peuvent aussi apporter des conseils de bon sens aux femmes enceintes ou ayant un projet de grossesse : ne pas embrasser un adulte ou un enfant malade, ne pas mélanger les couverts et les verres, ne pas sucer la tétine d’un bébé… La prévention repose uniquement sur les mesures d’hygiène.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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