Pr Jean-Paul Renard : Stratégies pour limiter la propagation de la myopie
Discipline : Ophtalmologie
Date : 06/07/2023
Avec une prévalence en forte augmentation et au regard des graves complications qu’elle peut entraîner, la myopie est aujourd’hui un véritable enjeu de santé publique dont il importe de freiner la progression. Un ensemble de stratégies et de dispositifs le permettent. Le point avec le Pr Jean-Paul Renard, ophtalmologue à Paris.
TLM : De récentes projections laissent à penser que la moitié de la population mondiale sera myope à l’horizon 2050. Ces projections vous paraissentelles réalistes et connaît-on les causes de cette explosion ?
Pr Jean-Paul Renard : Actuellement on estime que 40% de la population mondiale est atteinte de myopie, et la projection pour 2050 culmine à 50 %. La progression de la myopie forte suit malheureusement la même tendance. Cette évolution est principalement liée aux modifications de notre mode de vie.
Nous vivons de plus en plus en milieu intérieur et les activités sollicitant la vision de près se sont nettement développées. Utilisation excessive des écrans et augmentation du temps passé en intérieur font partie des principaux facteurs favorisants qui ont été identifiés. Cela pourrait expliquer en grande partie cette explosion du nombre de patients myopes.
TLM : De quels moyens disposons-nous pour prévenir ou en tout cas freiner cette progression vertigineuse ?
Pr Jean-Paul Renard : On sait désormais que l’exposition aux UVB, surtout pendant l’adolescence et chez l’adulte jeune (entre 14 et 29 ans) est associée à une diminution du risque de myopie. D’où la nécessité d’une activité quotidienne à l’extérieur ! Dans les pays asiatiques, qui sont particulièrement touchés par des phénomènes de myopie forte, certaines écoles ont pour projet de construire des plafonds en verre, pour des écoles à « toits ouverts ». Car plus la myopie démarre jeune et plus elle risque d’augmenter et de s’aggraver. La prévention chez l’enfant est primordiale pour freiner cette évolution épidémiologique.
Des études randomisées ont toutes rapporté que parmi les méthodes les plus efficaces pour prévenir la myopie, l’activité en milieu extérieur au cours de la journée (entre une heure et demie et deux heures par jour) était cruciale. A ces mesures comportementales, s’ajoutent plusieurs moyens pour freiner l’épidémie de myopie comme les collyres à base d’atropine microdosée à 0,01 %, à instiller une fois par jour, les lunettes, les lentilles, l’orthokératologie…
TLM : Souvent considérée à tort comme une maladie bénigne, la myopie peut cependant entraîner des complications graves ?
Pr Jean-Paul Renard : La myopie forte (- 6 dioptries) entraîne des complications parfois graves comme un glaucome, une cataracte, des déchirures rétiniennes spontanées et des risques de décollement de la rétine ou encore des maculopathies myopiques qui nécessitent des traitements spécifiques. Quoi qu’il en soit, un œil myope est toujours de moins bon pronostic.
TLM : Mais alors, en quoi glaucome et myopie forte sont-ils étroitement liés ?
Pr Jean-Paul Renard : La myopie, et la myopie forte notamment, est un facteur de risque important de glaucome, qui est la première cause de cécité absolue dans notre pays. Et ce lien a été démontré par de nombreuses études qui révèlent que, tous types de myopie confondus, 3 à 28 % de patients myopes sont atteints de glaucome.
Pourquoi ? Parce qu’il y a une augmentation du globe oculaire avec un remodelage de la sclère qui est par conséquent moins résistant à une pression intraoculaire donnée. Le nerf optique présente une lame criblée plus fine et donc moins résistante.
Mais le glaucome du patient myope est complexe car il pose des problèmes de diagnostic et de suivi. Chez 10 à 15 % des myopes forts, il y a des altérations du champ visuel qui ont le même aspect que les altérations d’un patient glaucomateux. Mais nous disposons aujourd’hui de critères précis permettant de distinguer une altération du champ visuel liée à la myopie de celle liée au glaucome. Et c’est surtout le suivi de ces altérations qui va permettre de confirmer le diagnostic de glaucome. En résumé, le diagnostic de glaucome chez un myope fort va dépendre d’un ensemble d’arguments et d’éléments complémentaires qui reposent sur l’examen clinique de l’ophtalmologiste, la mesure de la pression intraoculaire, l’analyse du champ visuel et sur l’imagerie des fibres rétiniennes.
TLM : Quel suivi pour ces patients ?
Pr Jean-Paul Renard : On retiendra que devant un patient présentant une myopie à - 6 dioptries, le risque relatif d’avoir un glaucome est multiplié par 3,3. Il faut considérer une hypertonie oculaire suspecte de glaucome quand elle supérieure à 17 mm de mercure et réaliser un examen ophtalmologique régulièrement avec une analyse en imagerie de la rétine, de la papille et un examen du champ visuel associé à une surveillance de la pression intraoculaire. En cas de glaucome et myopie supérieure à - 6 dioptries, le traitement va toujours rechercher une pression cible plus basse que chez le sujet non myope. Il faudra également rechercher des facteurs vasculaires qui peuvent être des facteurs aggravants surajoutés.
TLM : Quel rôle pour le médecin généraliste ?
Pr Jean-Paul Renard : Il joue un rôle important car il peut sensibiliser sur les différentes mesures environnementales à mettre en place pour préserver la vue des plus jeunes et expliquer l’effet délétère des écrans de manière générale. Le médecin généraliste doit également proposer un examen ophtalmologique complet en cas de doute en observant l’enfant, et systématiquement au moins une fois avant 5 ans. En tout état de cause, il peut conseiller un bilan ophtalmologique régulier à tous ses patients et permettre ainsi une surveillance étroite.
Propos recueillis
par Anya Leyrahoux ■