• Pr Jean-François Korobelnik : Quelle anesthésie lors des procédures ophtalmiques ?

Jean-François Korobelnik

Discipline : Ophtalmologie

Date : 06/07/2023


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L’anesthésie en ophtalmologie est en constante évolution. Si l’anesthésie générale a peu évolué, l’anesthésie locorégionale classique a été challengée par l’arrivée de l’anesthésie « locale pure ».

Le point avec le Pr Jean-François Korobelnik, chef du service d’Ophtalmologie à l’hôpital Pellegrin à Bordeaux.

 

TLM : Quelles sont les différentes modalités d’anesthésie au cours des procédures ophtalmiques ?

Pr Jean-François Korobelnik : De manière générale, l’anesthésie effectuée dans le cadre de procédures ophtalmiques a pour objectif de réaliser un acte chirurgical sans douleur, d’en faciliter la réalisation mais aussi de minimiser le risque de survenue de complications ophtalmiques ou systémiques.

Il existe trois grandes catégories d’anesthésie que sont l’anesthésie dite « locale pure », l’anesthésie loco-régionale et enfin l’anesthésie générale.

L’anesthésie « locale pure » peut être soit topique (instillation de gouttes d’anesthésique à la surface de l’œil), soit sous-ténonienne, c’est-à-dire par le biais d’une injection faite autour de l’œil par le chirurgien. La loco-régionale peut être réalisée selon différentes modalités consistant soit en une anesthésie rétrobulbaire soit en une anesthésie péribulbaire. Enfin, l’anesthésie générale classique, qui est administrée par inhalation ou par voie intraveineuse.

 

TLM : Quelles sont les indications de ces différentes techniques d’anesthésie ?

Pr Jean-François Korobelnik : Ici, les indications ne sont pas standardisées. Le choix de la technique d’anesthésie doit être adapté à chaque patient et pour chaque acte et dépend également des habitudes du chirurgien. Ce choix s’appuie notamment sur les caractéristiques du patient, les aspects psychologiques et les impératifs chirurgicaux. En tout état de cause, la décision doit faire l’objet d’une concertation entre le patient, le chirurgien et l’anesthésiste, le cas échéant. A titre d’exemple, l’opération de la cataracte qui est une intervention relativement simple, rapide et ne générant aucune douleur, est une bonne candidate pour une anesthésie « locale pure ». Cependant, certains patients se présentent comme étant très anxieux et souhaitent être endormis, d’autres sont très réactifs ou encore claustrophobes et ne supportent pas le champ opératoire au niveau du visage. Une anesthésie générale sera alors ici indiquée. Il en va de même pour la population pédiatrique. Les indications en anesthésie ophtalmique sont très variables d’un établissement à un autre, d’une équipe soignante à une autre et enfin d’un patient à un autre. Le challenge ici est d’être assez à l’écoute du patient pour finalement déceler celui qui sera compliant et supportera l’anesthésie « locale pure » et celui qui pourra finalement s’avérer anxieux malgré lui et présenter une augmentation de l’hypertension artérielle.

 

TLM : Le concours d’un anesthésiste-réanimateur est-il toujours nécessaire ?

Pr Jean-François Korobelnik : Les anesthésies « locales pures », qu’elles soient topiques ou sous-ténoniennes, sont réalisées sous la responsabilité exclusive de l’ophtalmologiste et ne nécessitent pas l’intervention d’un infirmier anesthésiste diplômé d’État (IADE) ni d’un médecin anesthésiste. En revanche, les anesthésies loco-régionales et générales sont effectuées par un anesthésisteréanimateur et sont par conséquent soumises à une consultation d’anesthésie pré-opératoire. On voit bien qu’un des avantages d’avoir recours à une anesthésie « locale pure » est de s’affranchir de cette consultation pré-opératoire qui peut parfois être particulièrement difficile à obtenir, avec des délais d’attente très longs. Pour nous, chirurgiens, cela permet aussi d’être plus autonomes et plus souples.

 

TLM : Très longtemps, les spécialités autorisées pour l’anesthésie topique étaient uniquement sous forme de collyre. Des alternatives existent-elles aujourd’hui ?

Pr Jean-François Korobelnik : Oui, nous disposons désormais d’un gel ophtalmique de lidocaïne à 2% qui présente un avantage considérable au regard des gouttes. En effet, ces dernières sont par nature très liquides et ont trop souvent tendance à s’évacuer rapidement dès que le patient cligne de l’œil par exemple. Badigeonner la surface de l’œil avec ce gel permet de mieux insensibiliser la zone puisque la lidocaïne a plus le temps de pénétrer correctement dans les tissus. Auparavant, certains ophtalmologistes avaient recours à un gel urétral qui n’était pas indiqué pour notre spécialité. Aujourd’hui, ce gel ophtalmique nous permet « d’être dans les clous » et s’avère particulièrement facile d’utilisation. L’avis de la Haute Autorité de santé (HAS) relatif à ce médicament précise par ailleurs que l’anesthésie locale associée à l’application de ce gel de lidocaïne 2% est dite « améliorée ».

 

TLM : De nouvelles techniques d’anesthésie sont-elles attendues ou en cours d’étude pour demain ?

Pr Jean-François Korobelnik : Il ne s’agit pas réellement de nouvelles techniques mais nous assistons depuis quelques années à l’émergence de petites avancées qui ont un intérêt commun : le bien-être du patient. Je pense notamment à l’hypnose qui se développe de plus en plus, en complément de l’anesthésie. Elle peut être utilisée pour accompagner le patient dans la réalisation de l’anesthésie ou bien pour toute la durée de la chirurgie. Il existe différentes techniques d’hypnose mais l’objectif reste le même : détendre le patient et le mettre dans les meilleures conditions possibles pour l’opération. Elle présente un avantage concret, celui de limiter les pics d’hypertension artérielle et leurs conséquences. Je l’ai vu de mes propres yeux, les patients perdent plusieurs points de systolique et de diastolique en pensant uniquement à des choses agréables. La question du jeûne des patients est une autre évolution qui est en train de voir le jour dans les pratiques. Cela reste évidemment discuté car un estomac pas totalement vide peut entraîner des reflux gastro-œsophagiens et donc une toux en position allongée mais, malgré tout, certains chirurgiens considèrent que manger légèrement avant l’opération permettrait au patient de se détendre et d’éviter une hypoglycémie.

Propos recueillis

par Romy Dagorne

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