Pr Hélène François-Pradier : Prévention du CMV chez les patients greffés du rein
Discipline : Uro-Néphrologie
Date : 08/10/2024
Les traitements immunosuppresseurs consécutifs à une greffe de rein majorent chez le patient le risque d’infection à cytomégalovirus, qu’il s’agisse d’une réactivation ou d’une primo-infection. Avec des conséquences potentiellement très graves, alerte le Pr Hélène François-Pradier, néphrologue au service Transplantation rénale-Néphrologie de l’hôpital Pitié- Salpêtrière (Paris).
TLM : Quel est le risque d’une infection par le cytomégalovirus pour les patients qui viennent de subir une greffe de rein ?
Pr Hélène François-Pradier : Le cytomégalovirus est un virus de la même famille que celui de l’herpès ou de la varicelle.
Pour les personnes en bonne santé, l’infection par le cytomégalovirus est le plus souvent bénigne, voire asymptomatique.
Mais les personnes dont le système immunitaire est affaibli par une maladie chronique ou par un traitement ont un risque élevé de développer des symptômes sévères lors de cette infection. Selon des données datant de 2010, environ 40 % de la population française a déjà été l’objet d’une primo-infection à CMV, ce chiffre peut monter à plus de 70 % selon les pays et les régions. Ce virus entraîne une infection latente, dont on ne se débarrasse jamais. Après la primo-infection, il peut être réactivé dans différentes circonstances. Dans les suites d’une greffe de rein, le patient bénéficie de traitements lourds, immuno-suppresseurs, pour éviter le rejet. Ces traitements majorent le risque d’infection à cytomégalovirus, qu’il s’agisse d’une réactivation ou d’une primo-infection. Ces infections au décours d’une greffe peuvent avoir des conséquences désastreuses. La prévention de l’infection à cytomégalovirus chez les patients qui viennent de recevoir une greffe de rein est indispensable. Avant la greffe, le patient est donc testé pour savoir s’il est positif au cytomégalovirus. Dans l’affirmative, le risque de réactivation de l’infection à CMV après la greffe est de 30 % en l’absence de traitement préventif. Si le patient est négatif, il a entre 60 et 80 % de risque d’être infecté par le virus après la greffe, sans traitement prophylactique.
TLM : Comment contracte-t-on le cytomégalovirus ?
Pr Hélène François-Pradier : La transmission d’une personne à l’autre se fait par toutes les sécrétions corporelles, salive, urine, sécrétions vaginales, sperme, lait maternel, larmes, sang. On relève deux pics de primo-infection, la première année de vie ou encore au début de l’activité sexuelle.
TLM : Comment prévenir ces infections chez les patients qui viennent de recevoir une greffe de rein ?
Pr Hélène François-Pradier : Si le patient a déjà été contaminé par le CMV, il est dit CMV+. Et le risque c’est celui d’une réactivation de l’infection. Dans ces conditions, il existe deux options de prise en charge dans les recommandations actuelles. Soit on prescrit dès le septième jour de la greffe un traitement antiviral pour prévenir la maladie, soit on ne prescrit pas de traitement préventif, mais on surveille le patient avec une PCR-CMV chaque semaine pendant trois mois, pour diagnostiquer au plus tôt l’éventuelle réactivation du virus. Si le patient est négatif pour le CMV, s’il reçoit une greffe de rein venant d’un donneur CMV+, alors il bénéficiera systématiquement d’un traitement préventif pendant au moins six mois. Dans notre service, nous avons opté récemment pour la stratégie qui consiste à prescrire un traitement préventif aux patients receveurs de greffe de rein quel que soit leur statut sérologique.
TLM : Quel traitement antiviral préventif est-il recommandé de prescrire ?
Pr Hélène François-Pradier : Pendant longtemps, le seul traitement antiviral préventif, dans cet objectif, était le valganciclovir, disponible en comprimés. A ceci près que ce médicament, plutôt bien toléré, peut aussi contribuer à une baisse des globules blancs, une neutropénie, ce qui constitue un problème pour ces patients fragiles. Depuis peu, un nouveau médicament, le létermovir, vient d’obtenir une autorisation de mise sur le marché. Il est désormais disponible dans le cadre de la prophylaxie de la maladie a cytomégalovirus après greffe de rein. Le létermovir n’a pas de toxicité sur les globules blancs. Il est prescrit à raison d’un comprimé par jour, mais la posologie dépend de la fonction rénale. C’est pour l’instant un traitement de seconde intention dans cette indication, en cas d’échec ou de neutropénie liée au valganciclovir.
Des nouvelles recommandations internationnales devraient être publiées dans peu de temps sur la prophylaxie des infections à cytomégalovirus après greffe de rein pour intégrer ces nouvelles données. A l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, dans notre service, nous avions commencé à adopter la stratégie « surveillance » pour les patients déjà positifs pour le CMV. A partir du moment où nous disposons d’un nouveau médicament pouvant être prescrit en deuxième intention, en cas de neutropénie liée au valganciclovir, nous choisissons plutôt désormais le traitement prophylactique d’emblée.
TLM : Quels sont les risques connus d’une infection à cytomégalovirus chez un patient après une greffe de rein ?
Pr Hélène François-Pradier : L’infection à cytomégalovirus, qui passe le plus souvent inaperçue chez une personne immunocompétente, peut induire des complications graves chez les personnes immunodéprimées, avec un risque de pneumonie sévère, d’atteinte oculaire, d’hépatite grave, de rhabdomyolyse, de polyradiculonévrite, de gastrite, de colite… Normalement le traitement préventif est efficace pour éviter l’infection après une greffe. Néanmoins, certains patients ne prennent pas correctement leur traitement ou parfois celui-ci est mal dosé. Il y a aussi des résistances au valganciclovir.
Des infections à cytomégalovirus peuvent encore survenir chez ses patients greffés sous traitement, c’est heureusement rare. Néanmoins, tous les patients, dans les mois qui suivent la greffe de rein, sont surveillés sur le plan clinique, avec des PCR CMV si nécessaire.
TLM : Pendant combien de temps le traitement préventif doit-il être pris ?
Pr Hélène François-Pradier : Normalement ce traitement est prescrit pendant trois à six mois au maximum. Au bout de six mois après la greffe, lorsque l’on est loin du traitement d’induction par les immunosupresseurs et les corticoïdes, le risque d’infection à cytomégalovirus résiduel devient alors très faible.
TLM : Connaît-on le nombre de greffes de rein réalisées en France chaque année ?
Pr Hélène François-Pradier : On recense environ 3 600 greffes de rein par an en France. Nous en avons réalisé 168 dans notre service l’année dernière. Nous sommes le deuxième centre d’Ile-de-France en nombre de greffes de rein chaque année.
Propos recueillis
par le Dr Clara Berguig ■