• Pr Harry Sokol : L’effet des probiotiques sur un microbiote intestinal altéré

Harry Sokol

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 17/01/2023


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« Avec ses fonctions métaboliques, immunitaires et neurologiques, un microbiote altéré joue un rôle dans de nombreuses maladies. Le cibler pour en corriger les anomalies de composition ou de fonctions est une stratégie intéressante », indique le Pr Harry Sokol, du département de Gastroentérologie à l’hôpital Saint-Antoine (Paris).

 

TLM : Quels sont les micro-organismes constituant le microbiote intestinal ?

Pr Harry Sokol : Le microbiote intestinal se compose de micro-organismes venus coloniser progressivement l’intestin depuis la naissance. Il en existe de très nombreux types. D’une part, les bactéries situées au niveau colique essentiellement. Elles sont anaérobies strictes. Les médecins généralistes et même les gastroentérologues les connaissent très mal car elles ne se retrouvent pas dans une coproculture et sont très difficiles à cultiver. Elles appartiennent à deux grands phyla majeurs : les firmicutes et les bactéroïdètes. Il existe d’autres phyla mineurs comme les protéobactéries, les actinobactéries. D’autre part, des champignons sont présents au niveau du côlon.

Ils sont beaucoup moins nombreux que les bactéries (de l’ordre de 10^5 - 10^6 champignon/g vs 1011 bactéries/g) mais ils ont une biomasse bien supérieure.

Plus complexes, ces eucaryotes ont potentiellement des effets importants. Le microbiote intestinal comporte également des protistes. Ces parasites unicellulaires se retrouvent chez près d’un tiers de la population laissant supposer qu’ils ne sont donc probablement pas vraiment pathogènes. Enfin, les virus, notamment les phages, sont extrêmement nombreux dans l’intestin et jouent sans doute un rôle dans la modulation des populations bactériennes.

 

TLM : Quel est le rôle de ces micro-organismes ? Qu’est-ce qui est en jeu dans une altération du microbiote ?

Pr Harry Sokol : C’est un vaste sujet. Le microbiote intestinal a de nombreux impacts sur notre santé. Il a des effets métaboliques. Il produit des vitamines, métabolise les xénobiotiques et joue un rôle dans la prolifération des cellules de l’intestin. Il a des effets sur l’immunité en stimulant et en maturant notre système immunitaire dans l’intestin mais aussi globalement dans l’ensemble de notre organisme. Il joue un rôle dans le renforcement de la barrière intestinale, notamment en induisant la sécrétion des IgA dans la lumière intestinale, la sécrétion de peptides antimicrobiens par les cellules épithéliales de l’intestin et en renforçant les jonctions serrées de ces dernières. Il intervient dans la protection contre les pathogènes intestinaux en entrant en compétition avec eux. Enfin, le microbiote agit à distance dans notre organisme y compris jusqu’au niveau du cerveau. De nombreuses recherches sont actuellement en cours sur ce thème. Il stimule la production de molécules dans l’intestin qui vont ensuite circuler dans l’organisme. Par exemple, 80 à 90% de la sérotonine du corps est produite dans l’intestin par nos cellules qui sont stimulées par les bactéries au niveau colique. Le microbiote module également les terminaisons nerveuses reliant le cerveau et l’intestin.

Avec toutes ses fonctions, un microbiote altéré joue un rôle dans de nombreuses maladies. Mais il est important de comprendre que, à quelques exceptions près, nous ne savons pas si ce rôle est prépondérant, modéré ou minime. Par exemple, dans le cas de l’infection à Clostridium difficile, nous savons que le microbiote est un acteur majeur (à plus de 95%). Une action sur le microbiote est ainsi efficace. Dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin comme la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique, son rôle est également important. Pour d’autres maladies, comme le syndrome métabolique, le syndrome de l’intestin irritable, les maladies neurodégénératives, nous savons que le microbiote a une action mais nous n’en connaissons pas le poids. Cibler le microbiote pour corriger les anomalies de composition ou les anomalies de fonctions est une stratégie intéressante.

 

TLM : Quels sont les modes d’action des probiotiques ?

Pr Harry Sokol : Il existe deux types de probiotiques : les classiques disponibles actuellement et ceux de nouvelle génération. Les probiotiques classiques sont composés de micro-organismes se trouvant dans l’alimentation humaine. Ils ne sont pas dangereux et peuvent être utilisés assez facilement. Le saccharomyces boulardii de l’ultra-levure et le lactobacillus GG ont démontré un effet réel pour réduire la diarrhée sous antibiotiques. Leur prescription est intéressante pour un patient sous antibiotiques à large spectre mais également pour une personne âgée, surtout si elle est sensible du point de vue digestif. Leur intérêt est également avéré dans le traitement de la diarrhée de l’enfant. Ils en réduisent la durée et la gravité. Certains probiotiques ont un effet démontré dans le syndrome de l’intestin irritable. Cela peut avoir un intérêt de les tester.

Concernant les autres probiotiques, ce n’est pas qu’ils n’ont pas d’effet, c’est qu’ils manquent d’études pour les recommander. Ce n’est pas du tout choquant de conseiller à un patient, par exemple dans le cadre du syndrome de l’intestin irritable, de tester des probiotiques de manière empirique pendant quelques semaines. Et si cela ne marche pas, d’en essayer d’autres ou d’arrêter. Les probiotiques de nouvelle génération sont actuellement en développement. Ce sont des micro-organismes issus du microbiote intestinal sélectionnés pour leurs effets biologiques que l’on espère plus puissants que ceux des micro-organismes alimentaires. Dans les travaux précliniques réalisés essentiellement chez la souris, les modes d’action attendus de ces probiotiques sont ceux du microbiote intestinal, c’est-à-dire des effets sur l’immunité, sur l’épithélium, sur les terminaisons nerveuses, etc. Chaque micro-organisme a des effets qui lui sont propres. Nous avons lancé, par exemple, un premier essai clinique avec la bactérie faecalibacterieum prausnitzil pour évaluer son action dans la maladie de Crohn. Une autre stratégie possible est d’utiliser les molécules produites par ces micro-organismes. Parmi les métabolites microbiens candidats pour être des traitements, les dérivés idoles (métabolites du tryptophane) activent le récepteur AhR. Dans ce cadre-là, ces dérivés pourraient être directement prescrits ou les bactéries les produisant.

 

TLM : Une actualité vous concernant ?

Pr Harry Sokol : Pour en savoir plus sur le microbiote, j’ai écrit une bande dessinée destinée au grand public, intitulée « Les extraordinaires pouvoirs du ventre ». Elle vient d’être publiée*.

Propos recueillis

par Alexandra Van der Borgh

* « Les extraordinaires pouvoirs du ventre ».

Pr Harry Sokol, dessins Judy. De Boeck Sup Editeur.

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