Pr H. Mirghani: Vacciner les garçons pour prévenir les cancers liés aux HPV à l’âge adulte
Discipline : Infectiologie
Date : 08/01/2025
Les virus HPV apportent leur lot de souffrances aux hommes, qui ne bénéficient d’aucun dépistage. D’où l’intérêt de la vaccination chez les garçons. Le point avec le Pr Haitham Mirghani, chirurgien spécialisé dans les cancers ORL, de la face et du cou, à l’hôpital Européen Georges-Pompidou (Paris).
TLM : Quelles sont les conséquences d’une infection à papillomavirus pour les garçons ?
Pr Haitham Mirghani : Les infections à papillomavirus sont très fréquentes chez les hommes et les femmes (première cause d’IST). La majorité d’entre elles sont asymptomatiques et sont spontanément éradiquées par le système immunitaire. Dans certains cas, l’infection persiste de nombreuses années et peut induire l’apparition d’un cancer, notamment au niveau ano-génital et oropharyngé. Pour le cancer du col de l’utérus, il existe un dépistage qui permet de repérer et détruire des cellules précancéreuses, mais pour tous les autres cancers liés au HPV, il n’existe pas de dépistage : ils sont diagnostiqués à un stade où la pathologie est déjà installée et nécessite des traitements parfois lourds. C’est pourquoi les hommes sont particulièrement concernés par le fardeau des cancers induits par le HPV.
TLM : Pourquoi parler de fardeau, précisément ?
Pr Haitham Mirghani : D’abord, ces virus sont responsables de condylomes ou verrues génitales, disgracieuses et inconfortables.
On dénombre en France 50 000 cas par an chez l’homme et autant chez la femme. Ces verrues sont difficiles à traiter et les récidives fréquentes. Autre pathologie provoquée par les HPV : la papillomatose laryngée juvénile, autrement dit des petites tumeurs, non cancéreuses, qui peuvent endommager les cordes vocales, affecter la voix et provoquer des difficultés, voire une détresse respiratoire nécessitant des chirurgies à répétition. Le mot « fardeau » est particulièrement adapté aux cancers provoqués par les HPV oncogènes. Les cancers du col, dont près de 100 % sont liés aux HPV, affectent environ 3 000 femmes par an en France. Ce chiffre serait bien plus élevé si 30 000 lésions précancereuses n’étaient pas traitées annuellement. Les cancers de l’oropahrynx (5 000 cas/an) dont 30 à 40 % sont liés aux HPV, le reste au tabac et l’alcool. On n’oubliera pas les cancers du canal anal (environ 2 000 cas/an, causés à plus de 90 % par les HPV) et les cancers de la vulve, du vagin et du pénis (environ 1 500 cas/an, causés à plus de 50 % par les HPV).
TLM : Ces cancers induits par les HPV ont-ils un fort impact sur la qualité de vie ?
Pr Haitham Mirghani : Effectivement, ces cancers impactent significativement la qualité de vie, même en cas de guerison. En effet, les traitements (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie), bien qu’efficaces, induisent des toxicités notables. A titre d’exemple, 85 % des patients traités pour un cancer oropharyngé HPV-induit vont en guérir mais ils garderont de nombreuses séquelles (troubles de la déglutition parfois très sévères, manque de salive, caries dentaires, dysfonctionnement de la thyroïde, problèmes auditifs, en particulier acouphènes…). Ces mêmes traitements peuvent endommager voire mutiler le canal anal avec toutes les conséquences que l’on imagine. Quant aux cancers du pénis, ils peuvent au final empêcher toute vie intime… Il n’y a pas de traitement sans effets secondaires et ces derniers sont très variables d’un patient à l’autre.
TLM : Les dernières études épidémiologiques constatent-elles une hausse des cancers des voies aérodigestives chez les hommes du fait du HPV ?
Pr Haitham Mirghani : Très clairement ! Cette recrudescence est démontrée dans plusieurs études, notamment dans les pays scandinaves. Au Danemark, par exemple, les cancers de l’oropharynx augmentent à cause des HPV. Aux Etats-Unis, le cancer de l’oropharynx lié aux HPV est aujourd’hui le plus courant des cancers ORL. Et, dans ces deux pays, le cancer le plus fréquent lié aux HPV n’est plus le cancer du col mais celui de l’oropharynx.
TLM : La vaccination contre le HPV est-elle aussi importante pour les garçons que pour les filles ?
Pr Haitham Mirghani : Incontestablement. Vacciner les deux sexes est fondamental. Sinon on ne protègerait pas les garçons contre les cancers liés au HPV. De façon plus générale, vacciner les deux sexes permet de réduire la circulation du virus et la fréquence des maladies liées au HPV, cancers comme verrues génitales.
Les vaccins sont sûrs et efficaces et couvrent la plupart des génotypes viraux responsables des condylomes, papillomatoses laryngées et des cancers. Ils réduisent le risque de tout type de maladies et cancers induits par le HPV.
TLM : La vaccination dans les collèges va-t-elle améliorer la couverture vaccinale, particulièrement chez les garçons ?
Pr Haitham Mirghani : La couverture vaccinale en France est sensiblement moins bonne que dans de nombreux autres pays européens. De plus, la vaccination des garçons — un levier important pour lutter contre ces virus — n’est recommandée que depuis 2021. Les pays qui ont les meilleurs taux de vaccination sont ceux où elle est pratiquée à l’école. Chez nous, la première campagne de vaccination en milieu scolaire a eu lieu en 2023. Elle a permis d’améliorer sensiblement le taux de vaccination chez les adolescents de 12 ans (progression de 17 points entre 2022 et 2023). Lors de la seconde campagne, une diminution du nombre de consentements des parents a été observé (-10% dans certaines académies), mais des relances ont été réalisées. L’amélioration de la couverture vaccinale nécessite un travail de fond qui s’inscrit nécessairement dans la durée.
TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans cette vaccination ?
Pr Haitham Mirghani : Il joue un rôle essentiel dans l’éducation des familles et des jeunes patients, notamment dans l’information concernant les cancers de l’oropharynx, bien moins connus que ceux du col de l’utérus. Il doit rappeler que ces pathologies sont diagnostiquées au stade de cancer et non de précancer. Sans oublier de prévenir de la grande fréquence des condylomes.
Ce sont des arguments pour convaincre de vacciner. Le médecin généraliste doit aussi désexualiser cette vaccination, qui est parfois associée à des préjugés délétères. Le message principal étant de protéger nos enfants contre une infection virale fréquente pouvant avoir des conséquences graves, voire mortelles. Les pédiatres et les ORL ont aussi un rôle majeur pour promouvoir et convaincre des bienfaits de cette vaccination.
Propos recueillis
par Brigitte Fanny Cohen ■