Pr. GRIMALDI : Prôner l’observance requiert une «éducation à l’empathie»
Discipline : Métabolisme, Diabète, Nutrition
Date : 20/01/2021
TLM : L’Alliance thérapeutique (AT) n’est-elle pas déjà comme inscrite dans la relation médecin/patient ?
Pr André Grimaldi : Oui, mais de nombreux facteurs ont bouleversé la relation médecin/malade : l’hyperspécialisation née des progrès techniques et scientifiques, avec parfois le sentiment du patient d’être « découpé en rondelles » ; la démocratisation de l’information où le patient se meut en « expert profane » ; le poids de la marchandisation dans l’ensemble de la société, qui fait du médecin un prestataire comme les autres ; le procès du paternalisme qui, au nom du bien du malade, l’infantilisait ; la féminisation de la profession qui a changé la représentation du « pouvoir médical ». Tout cela a donné naissance, légitimement, aux droits du malade. Dès lors s’est mis en place un rapport égalitaire, d’adulte à adulte, basée sur la confiance mais qui n’implique pas un devoir d’obéissance pour le patient. Grand progrès ! Mais ce progrès donne lieu à une dérive commerciale. Au nom d’une prétendue « symétrie » relationnelle, on a glissé vers une relation producteur/consommateur. S’il n’y a plus d’asymétrie, notamment émotionnelle, entre un médecin et son patient, plus besoin du code de déontologie et du serment d’Hippocrate, le code du commerce suffit... Dans ce contexte, la décision médicale partagée est pour certains l’application de cette dérive commerciale défendant le droit du consommateur. Au point que, au sein de la nouvelle génération de médecins, on en vient à une indifférence revendiquée : « vous changerez ou vous ne changerez pas, moi cela ne changera pas ma vie ». Personnellement je prône une relation égalitaire mais asymétrique sollicitant l’empathie du médecin, empathie cognitive mais aussi émotionnelle, débouchant sur une aide inconditionnelle : « je comprends vos difficultés à suivre le traitement. Que puis-je faire pour vous aider ? ». « Pourquoi ne suivez-vous pas les traitements alors que vous connaissez les risques que vous prenez ? » D’ailleurs, comment expliquer que nombre de très bons médecins se soignent si mal, quand ils sont eux-mêmes malades ?
u Disons que le financement à l’acte ne se prête pas au suivi des patients atteints de maladies chroniques. Prenons l’exemple de l’annonce du diagnostic d’une maladie sévère. Dans une relation médecin/malade prétendument « symétrique », le diagnostic sera « jeté » à la figure du malade au nom du droit de savoir, sans respecter le droit de ne pas savoir, ou pas tout, ou pas tout de suite. Au nom du respect de l’autonomie du patient, on en vient à accompagner des croyances et des pratiques dangereuses pour sa santé. « C’est son choix », entend-on dire, comme si on choisissait d’être dialysé ou amputé. Alors qu’il faut chercher à créer chez le patient un « conflit cognitif » : pourquoi vient-il me voir alors qu’il ne fait rien de ce que je lui dis ? Une moitié des patients diabétiques suivent leur traitement au mieux avec des consultations qui pourraient être espacées tous les six mois ou tous les ans. Pendant le confinement, on a mis en avant ces nombreux patients atteints de maladies chroniques qui ne voyaient pas leur médecin alors que leur maladie évoluait. On a moins fait cas de ces patients hypertendus ou diabétiques qui allaient bien et qui se sont à juste titre orientés vers le pharmacien pour faire renouveler leur prescription. La consultation ne devrait pas servir exclusivement au renouvellement d’une ordonnance doublée de la prescription d’examens complémentaires systématiques. Un système de capitation ou de d otation populationnelle pour les pathologies chroniques aurait plus de sens ; il permettrait de voir plus souvent et plus longtemps en consultation les patients qui le nécessitent et moins souvent ceux qui n’en ont pas besoin.
L’observance ne relève-t-elle pas de l’éducation thérapeutique citoyenne ? u On touche ici à la prévention primaire d’une manière large, relevant d’une éducation à la santé, y compris à l’école, de messages d’information pour le grand public et d’une politique de santé environnementale. Mais au cours de du colloque singulier soignant/soigné, chaque personne « trimballe » son passé, ses habitudes, ses croyances, ses problèmes psychologiques ou sociaux, ses drames familiaux, qu’il faut absolument prendre en compte au même titre que la maladie. L’injonction répétée à l’observance ne devient plus audible. Je me souviens de ce patient diabétique insulinodépendant de la soixantaine qui me consultait pour la première fois et me dit : « S’il vous plaît Docteur, pouvezvous ne pas me dire que je n’accepte pas ma maladie ». Quelques minutes plus tard, ce même patient me confiait qu’il avait un fils unique et qu’un jour il l’avait trouvé pendu ! Autre exemple : un tiers des femmes diabétiques insulinodépendantes diminuent leur dose d’insuline pour garder la ligne grâce à une glycosurie massive et cela peut déboucher sur une véritable addiction au contrôle pondéral. Doit-on se borner à répéter les recommandations de la HAS et mettre en garde contre les dangers d’un traitement non suivi ?
L’Assurance maladie pourrait-elle intégrer un module «Alliance thérapeutique» dans la prise en charge des maladies chroniques ?
u Le très intéressant document « Charges et produits » qu’édite chaque année l’Assurance maladie comporte, en 2019, un chapitre important sur l’observance. Elle y propose d’établir des scores à partir des doses délivrées par le pharmacien. Mais elle contourne la question de la pratique d’une médecine centrée sur le patient et non sur la maladie, par la création en 2022 d’un « acte infirmier d’observance ». Un acte normé avec des cases à cocher, qui n’a de sens que s’il induit un travail d’équipe aboutissant à un dialogue entre le médecin et l’infirmier sur les motifs de l’inobservance. Dans le cas contraire, il ne fera qu’ajouter un acte de plus sur le sommet de la pile déjà haute.
u Les études médicales ont occulté ce pan de la médecine qualifiée de « narrative » et qui prend en compte l’histoire de vie du malade. Non pas l’observation de la maladie, mais celle de la personne malade : qui est-il, que fait-il, que sait-il, quelles sont ses croyances, quels sont ses projets, comment vit-il son hospitalisation ?... Permettre au patient de « se raconter » est capital dans la prise en charge des maladies chroniques. Notre système de formation a fait l’impasse sur les sciences humaines, en particulier la psychologie et il n’y a pas de réflexion sur une éducation à l’empathie. Face à un patient diabétique non observant, nous réagissons en faisant appel à la raison et en lui rappelant les risques qu’il prend pour sa santé, ce que, en général, il sait parfaitement. Pire, face aux mauvais résultats du patient, le médecin qui ne veut pas être accusé « d’inertie thérapeutique », intensifie le traitement. Mais pourquoi prescrire un 3e anti-diabétique si les deux premiers ne sont pas pris régulièrement ?...
Propos recueillis par Daniel Ohnona ■