• Pr Gérard Zalcman : Cancers bronchiques : Les succès de l’immunothérapie

Gérard Zalcman

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 18/04/2023


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L’immunothérapie et les thérapies ciblées ont métamorphosé le pronostic des patients souffrant de cancer bronchique non à petites cellules métastatique. Le point avec le Pr Gérard Zalcman, chef de service d’Oncologie thoracique à l’hôpital Bichat (Paris) et directeur médical de l’Institut du Cancer APHP-Nord.

 

TLM : Qu’appelle-t-on cancer bronchique non a petites cellules métastatique ?

Pr Gérard Zalcman : Chaque année en France on diagnostique 46 000 nouveaux cas de cancers du poumon, avec deux grandes catégories histologiques : les cancers bronchiques à petites cellules (CBC) qui représentent 15 à 20% de l’ensemble des cancers du poumon ; et, les plus fréquents, les cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) pour 80% des cas. 60% des patients, dans cette dernière catégorie, sont déjà à un stade métastatique au moment du diagnostic : soit environ 22 000 cas par an. Les CBNPC regroupent les adénocarcinomes (environ 60% des cas), les cancers épidermoïdes (30%), et les carcinomes à grandes cellules indifférenciés (10%).

 

TLM : Quels sont les facteurs de risque ?

Pr Gérard Zalcman : Essentiellement le tabac. Néanmoins, 10 à 12% des adénocarcinomes —qui touchent davantage des moins de 60 ans et particulièrement des femmes — ne sont pas liés à la cigarette mais possiblement à d’autres facteurs environnementaux telle la pollution atmosphérique, entraînant la cancérisation des cellules pulmonaires porteuses de certaines mutations génétiques. Heureusement, ces cancers répondent bien à des traitements ciblés oraux. Cela nécessite de réaliser en routine un diagnostic moléculaire de la tumeur pour repérer ces mutations.

 

TLM : Comment traite-t-on ces cancers aujourd’hui ? Quels sont les récents progrès ?

Pr Gérard Zalcman : Au cours de ces dernières années, la découverte de mutations dans certaines tumeurs pulmonaires des patients a permis l’établissement d’une nouvelle cartographie moléculaire des cancers bronchiques. Les principales mutations « addictives » (appelées ainsi car les cellules cancéreuses dépendent spécifiquement d’une de ces mutations pour survivre et proliférer), touchent des gènes codant pour des kinases. Des inhibiteurs spécifiques de chacune de ces kinases ont été mis au point qui constituent des médicaments ciblés oraux très efficaces sur ce type de mutations, notamment l’EGFR et ALK.

 

TLM : Quelles avancées ces médicaments ciblés ont-ils permis en termes de survie ?

Pr Gérard Zalcman : Ces médicaments oraux permettent des médianes de survie de trois à quatre ans : un progrès immense car, au début des années 2000, la survie médiane était de moins d’un an.

 

TLM : Quand a-t-on recours à l’immunothérapie ?

Pr Gérard Zalcman : On la prescrit pour une seconde catégorie de CBNPC métastatique : ceux qui ne présentent aucune mutation addictive. Dans ce cas de figure, le traitement de référence consiste en l’association d’une chimiothérapie et d’une immunothérapie, prises simultanément en quatre cures réalisées à trois semaines d’intervalle. Quand les patients sont répondeurs, on poursuit le traitement avec de l’immunothérapie seule pendant deux ans.

 

TLM : Avec quels résultats ?

Pr Gérard Zalcman : La survie de ces patients a fait un bond considérable. 25 % à 35 % d’entre eux sont vivants à cinq ans : en 2000, à peine 10% des patients étaient vivants deux ans après le diagnostic.

 

TLM : Quels sont les patients éligibles à l’immunothérapie ?

Pr Gérard Zalcman : Tous, pourvu qu’ils n’aient pas de mutations addictives. Ils répondent d’autant mieux que la tumeur exprime fortement la cible de ces anticorps d’immunothérapie, la protéine PD-L1. Plus les cellules cancéreuses expriment le PD-L1, plus elles vont répondre au traitement, et plus longtemps vivront les patients.

C’est une grande avancée qui a changé l’histoire naturelle de la maladie.

 

TLM : Certains patients peuvent-ils être traités avec l’immunothérapie seule ?

Pr Gérard Zalcman : Les patients dont au moins 50 % des cellules tumorales expriment cette molécule PD-L1 peuvent bénéficier de l’immunothérapie seule. Ils évitent donc les effets secondaires de la chimiothérapie. Mais l’immunothérapie a elle aussi des effets indésirables par sa capacité à induire des maladies autoimmunes. Néanmoins, elle ne provoque pas, ou de façon rarissime, de décès iatrogène, comme cela peut arriver parfois avec la chimiothérapie par neutropénie fébrile. Cependant, avec la mono-immunothérapie (sans chimio), on observe chez 10 % de ces patients, dont la tumeur exprime pourtant fortement le PD-L1, un effet délétère paradoxal à type d’hyperprogression de leur maladie qui peut rapidement conduire au décès. C’est pourquoi on prescrit, dans l’immense majorité des cas, la combinaison des deux traitements, sauf pour les patients chez qui la chimiothérapie est contre-indiquée.

 

TLM : Quels sont les résultats de l’immunothérapie ? Que montrent les études ?

Pr Gérard Zalcman : Que l’on prenne l’immunothérapie associée à la chimiothérapie, ou l’immunothérapie seule, les résultats sont assez reproductibles : 45 à 50% de survivants à deux ans, 30-35% à quatre ans et 25% à cinq ans du diagnostic. Il s’agit donc d’un progrès considérable pour des patients auparavant condamnés à court terme.

 

TLM : Ces nouveaux traitements vont-ils diminuer les prescriptions de chimiothérapies ?

Pr Gérard Zalcman : Non, contrairement à ce qu’avaient prédit certains, la chimiothérapie n’est pas appelée à disparaître. Ainsi, plusieurs essais cliniques sont en cours testant l’association d’inhibiteurs oraux de kinase à la chimiothérapie chez les patients dont la tumeur présente une mutation addictive, des résultats préliminaires suggérant une réelle synergie.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans le suivi de ces cancers bronchiques ?

Pr Gérard Zalcman : Le médecin généraliste a un rôle important à jouer dans le diagnostic précoce de cette maladie : devant tout fumeur qui présente un signe clinique quel qu’il soit, a fortiori un signe clinique respiratoire, il doit prescrire un scanner thoracique. Le médecin généraliste doit aussi apprendre à reconnaître les effets indésirables des traitements ciblés (souvent bénins) et de l’immunothérapie (parfois plus sévères) pour en faire le diagnostic, et, le cas échéant, référer rapidement le patient à l’équipe qui le prend en charge.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

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