• Pr G. Devouassoux : Mesurer la FeNO pour mieux cibler le traitement dans l’asthme sévère

Gilles Devouassoux

Discipline : Pneumologie

Date : 10/01/2024


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Désormais indiquée pour tous les patients atteints d’asthme sévère, pour mieux caractériser la maladie et déterminer la meilleure option thérapeutique, la mesure de la FeNO (mesure de la fraction exhalée du monoxyde d’azote) reste peu accessible, regrette le Pr Gilles Devouassoux, chef du service de Pneumologie de l’hôpital de la Croix-Rousse (Hospices Civils de Lyon).

 

TLM : L’asthme sévère est-il fréquent ?

Pr Gilles Devouassoux : On estime que 3 à 5 % des patients asthmatiques souffrent d’une forme d’asthme sévère et en France environ 200 000 personnes seraient concernées. Un asthme est dit sévère lorsqu’il reste non contrôlé malgré un traitement inhalé maximal ou lorsque, pour être contrôlé, un traitement inhalé maximal est requis ou encore si une corticothérapie orale est utilisée au moins six mois par an. Les symptômes d’asthme non contrôlés sont représentés par des réveils nocturnes, la limitation des activités physiques et sportives, par de la toux, de l’essoufflement, une oppression thoracique générant une utilisation excessive des traitements de secours. L’ensemble altère la vie quotidienne, familiale, professionnelle ou scolaire. Les consultations aux urgences ou chez le médecin, de façon non programmée, pour des exacerbations de la maladie sont fréquentes en présence d’un asthme non contrôlé. Avant d’envisager le diagnostic d’asthme sévère, il faut cependant s’assurer que le patient souffre vraiment d’asthme, que le traitement est pris correctement, tous les jours, à la bonne posologie et selon une technique efficace. Il faut aussi rechercher et prendre en compte des facteurs aggravants, responsables du non contrôle de la maladie : inobservance ou mésusage thérapeutique, tabagisme, exposition à une pollution environnementale ou antigénique, obésité, dépression, reflux gastro-oesophagien ou polypose nasale…

 

TLM : Quelle est la place de la mesure de la FeNO, fraction exhalée de monoxyde d’azote, dans le diagnostic de l’asthme sévère ?

Pr Gilles Devouassoux : Le NO exhalé est produit par les cellules bronchiques et en quantité élevée en situation d’inflammation locale, comme on le rencontre lors de la maladie asthmatique. La mesure de sa fraction exhalée chez des patients asthmatique est de longue date utilisée pour surveiller l’observance vis-à-vis des traitements par corticoïdes inhalés. Quand les patients prennent correctement leurs médicaments, la FeNO diminue et inversement. Plus récemment, on s’est rendu compte que pour une proportion de patients souffrant d’asthme sévère, la FeNO restait élevée. Des travaux scientifiques ont montré qu’une FeNO élevée, malgré des corticoïdes inhalés utilisés à posologie moyenne ou forte, est associée à un phénotype particulier d’asthme dit « T2 », possiblement associé à des allergies, à un taux élevé d’éosinophiles sanguins et bronchiques, à une dermatite atopique, une polypose nasosinusienne. La FeNO se mesure en ppb (particules par billion), normale au-dessous de 20 ppb, intermédiaire entre 20 et 50 ppb et élevée au-delà de 50 ppb.

 

TLM : A quoi sert le dosage de la FeNO en pratique ?

Pr Gilles Devouassoux : La sévérité de l’asthme s’apprécie sur différents critères cliniques déjà évoqués ci-dessus. La mesure de la FeNO pour les patients souffrant d’asthme sévère est avant tout un marqueur pour identifier une physiopathologie spécifique de la maladie et permet d’orienter les choix thérapeutiques. Cet examen est assez peu disponible en France car, à ce jour, non remboursé par l’Assurance maladie. Il est effectué essentiellement dans les centres hospitaliers universitaires, les hôpitaux généraux ou des cliniques disposant de services de pneumologie et d’exploration fonctionnelle respiratoire. Sa mise à disposition en pneumologie libérale, après obtention d’un remboursement, est nécessaire et très attendue.

 

TLM : Quels patients doivent bénéficier de cet examen en priorité ?

Pr Gilles Devouassoux : La mesure de la FeNO est désormais indiquée pour tous les patients atteints d’asthme sévère, pour mieux caractériser leur maladie et déterminer la meilleure option thérapeutique. Cette caractérisation de l’inflammation qui accompagne la maladie asthmatique sévère est aussi fondée sur la recherche d’une éosinophilie sanguine, bronchique, d’un bilan allergologique, la recherche d’autres marqueurs cliniques inflammatoire T2 : dermatite atopique, œsophagite à éosinophiles, polypose nasosinusienne, une cortico-sensibilité…

 

TLM : Comment la mesure de la FeNO oriente-t-elle le traitement de l’asthme sévère ?

Pr Gilles Devouassoux : Lorsqu’un patient souffre d’un asthme sévère, un traitement par biothérapie doit souvent être envisagé. Ces biothérapies sont des anticorps monoclonaux qui ciblent l’inflammation de différentes façons. A ce jour, en France, plusieurs biothérapies sont disponibles pour traiter l’asthme sévère : anticorps anti-IgE (omalizumab), anticorps antiinterleukine 5 (mépolizumab), anticorps anti-récepteur de l’interleukine 5 (benralizumab), anticorps anti-récepteur de l’interleukine 4 (dupilumab), anticorps anti-thymic stromal lymphopoietin [TSLP] (tézépélumab), administrés en injection sous-cutanée, à une fréquence variable d’une biothérapie à l’autre. Le choix de la biothérapie dépend de l’analyse du profil patient, des marqueurs inflammatoires présents, isolés ou associés en combinaisons diverses et surtout d’une discussion médicale collégiale en réunion de concertation pluriprofessionnelles (RCP). La présence d’une FeNO élevée est un des éléments qui va orienter ce choix thérapeutique. Isolée ou associée à d’autres marqueurs inflammatoires, elle va contribuer à cibler au plus juste la biothérapie la plus adaptée.

 

TLM : Comment évaluer l’efficacité de la biothérapie dans l’asthme sévère ?

Pr Gilles Devouassoux : De manière générale, l’efficacité de la biothérapie est évaluée six mois après le début du traitement, mais on attend parfois un an avant de décider ou non de la poursuite du traitement, même s’il est vrai que pour certains patients la réponse clinique est rapidement favorable, en quelques semaines. Très schématiquement, 50 % des patients souffrant d’asthme sévère répondent à une biothérapie, 80 % d’entre eux sont des répondeurs partiels, 20 % sont en rémission clinique, c’est-à-dire qu’ils ne souffrent plus d’exacerbations, sont asymptomatiques, sont sevrés de la corticothérapie orale, avec une fonction respiratoire améliorée et résolution de certaines comorbidités (polypose nasosinusienne, par exemple). Pour les patients non-répondeurs, il est possible d’envisager une commutation pour une autre biothérapie, sous réserve qu’ils y soient éligibles, en remplissant les critères cliniques et biologiques de prescription.

 

TLM : Les patients doivent-ils continuer à prendre les bronchodilatateurs et les corticoïdes inhalés, avec la biothérapie ?

Pr Gilles Devouassoux : Aujourd’hui, sous biothérapie, les traitements inhalés classiques de l’asthme devraient être poursuivis. Il manque en effet des études solides pour définir la façon de faire évoluer la prescription des traitements inhalés sous biothérapie. Ceci dit, quand les patients vont bien, se sentent mieux, n’ont plus d’exacerbations, ils réduisent souvent d’eux-mêmes leur traitement, sans toujours en informer leurs médecins…Cette pratique est en passe de pouvoir être validée, en suivant cependant des règles strictes de décroissance des thérapeutiques inhalées et de surveillance des patients. Ainsi, l’étude SHAMAL du Laboratoire AstraZeneca montre que la grande majorité des patients asthmatiques sévères contrôlés sous benralizumab, sont en situation de pouvoir réduire la posologie de leur traitement par corticoïdes inhalés.

Propos recueillis

par le Dr Clara Berguig

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