• Pr FUMERY : Comment les biothérapies améliorent les patients atteints de MICI

Mathurin FUMERY

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 10/10/2021


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Grâce aux biothérapies, constate avec satisfaction le Pr Mathurin Fumery, gastro-entérologue au CHU d’Amiens, les patients atteints de MICI (maladie de Crohn, rectocolite hémorragique) vus en consultation dans les services de Gastro-entérologie vont beaucoup mieux qu’autrefois et, pour nombre d’entre eux, ont enjambé la case chirurgie... GASTRO-ENTÉRO, HÉPATOLOGIE

 

TLM : Quels sont les patients éligibles aux biothérapies, en cas de maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) ?

Pr Mathurin Fumery : Dans les décisions thérapeutiques que nous devons prendre, deux éléments forcément orientent les traitements : les indications définies dans les autorisations de mise sur le marché et le remboursement des molécules. Ceci dit, la prise en charge avec des biothérapies est un peu différente selon qu’il s’agisse d’une maladie de Crohn ou d’une rectocolite hémorragique. Pour ce qui est de la maladie de Crohn, les biothérapies comme les anti-TNF alpha peuvent être utilisés en première ligne, en cas d’échec des corticoïdes ou des immunosuppresseurs. En ce qui concerne la rectocolite hémorragique, nous sommes obligés de passer par les immunosuppresseurs, avant de prescrire ces biothérapies, anti-TNF alpha ou vedolizumab. Mais ces traitements biologiques ont désormais une place importante dans la prise en charge. Actuellement on estime qu’environ 50% des patients atteints de MICI bénéficient de ces médicaments ciblés.

 

TLM : Quel est le profil des malades bénéficiant de ces biothérapies ?

Pr Mathurin Fumery : Les malades présentant des formes modérées ou sévères sont plus particulièrement concernés par ces traitements. Il s’agit de patients ayant des selles très fréquentes, des douleurs abdominales répétées et, pour ce qui est de la rectocolite hémorragique, une quantité notable de sang dans les selles. Les patients souffrant de complications, comme des sténoses digestives, des fistules ou encore des atteintes étendues sont également concernés. Le retentissement de la maladie sur la vie quotidienne est un élément à prendre en compte pour évaluer la sévérité. Enfin, les patients présentant les facteurs de risques suivants : fumeur, début précoce de la maladie, atteintes du tube digestif supérieur ou ano-périnéales, sont plus à risque d’évolution sévère. Et seront traités plus souvent avec des biothérapies.

 

TLM : Quel est le mode d’action des biothérapies ?

Pr Mathurin Fumery : Tous ces médicaments biologiques agissent par le biais d’un effet anti-inflammatoire ciblé. Ils bloquent le signal de différentes cytokines pro-inflammatoires. Mais tous n’ont pas la même cible. Ainsi, lorsqu’une biothérapie n’est pas efficace, la prescription d’un autre médicament biologique peut avoir un effet thérapeutique favorable. Les anti-TNF alpha sont utilisés depuis plus de 20 ans. Ce sont les biothérapies pour lesquelles le recul est le plus important. Les anti-TNF ciblent le TNF, Tumor Necrosis Factor. L’ustekinumab, utilisé dans la maladie de Crohn agit sur une autre cytokine, alors que le vedolizumab est une anti-intégrine avec un mécanisme d’action plus spécifique de l’intestin. Au cours des prochaines années, plusieurs autres biothérapies avec des mécanismes d’action différents devraient être disponibles, comme les anti-interleukines 23. D’autres petites molécules à action plus ou moins ciblée, comme les anti-JaKi (inhibiteur des Janus kinases) et notamment le tofacitinib, ont un effet intéressant dans la rectocolite hémorragique. Et peuvent être prescrits en cas d’échec des anti-TNF ou du vedolizumab.

 

TLM : Quelle est l’efficacité de ces traitements ?

Pr Mathurin Fumery : Ces médicaments ont changé la vie des patients souffrant de MICI, en particulier ceux pour qui les corticoïdes ou les immunosuppresseurs étaient peu efficaces ou mal tolérés. Ces nouveaux traitements permettent désormais une approche bien plus personnalisée. Ils ont modifié l’histoire naturelle de la maladie. On observe, depuis l’arrivée de ces biothérapies, une diminution du risque de sténose ou de fistule digestive, une diminution du handicap et une augmentation de la qualité de vie. Ils permettent d’obtenir des rémissions prolongées et l’arrêt des corticoïdes. Mais entre 20 et 30% des patients ne répondent pas ou insuffisamment à ces traitements. Dans 10% des cas, enfin, on note des problèmes de tolérance. En outre, chez environ 20 à 30% des malades le traitement a fonctionné, mais n’est plus efficace. Au total, un peu plus de 30% des patients traités bénéficient pleinement et de façon prolongée des biothérapies en cas de MICI. Par exemple, les anti-TNF alpha sont assez immunogènes et moins efficaces à long terme. Mais d’autres traitements ciblés peuvent prendre le relais. Il existe désormais beaucoup de molécules différentes avec des modes d’action différents. Cela permet d’adapter le traitement en fonction du profil du patient.

 

TLM : Quels sont les effets indésirables des biothérapies ?

Pr Mathurin Fumery : Les anti-TNF sont assez bien tolérés au quotidien. Mais il y a un risque d’infection opportuniste qu’il importe de connaître. Il existe aussi un risque d’effets paradoxaux, avec des atteintes inflammatoires articulaires, l’apparition d’un psoriasis. Il a été mis en évidence aussi chez les patients traités avec les anti-TNF, depuis une vingtaine d’années, une faible augmentation du risque de lymphomes. Avec les anti-JaKi (tofacitinib), les données ont montré un risque accru d’infections virales, de thromboses veineuses et plus récemment d’atteintes cardiovasculaires ou de cancer chez les patients les plus âgés. Les biothérapies sont, de manière générale, contre-indiquées en cas d’infection évolutive, de cancer récent et, plus spécifiquement pour les anti-TNF, d’insuffisance cardiaque sévère, ou de maladie démyélinisante.

 

TLM : Les biothérapies ont-elles réellement changé la vie des patients atteints de MICI ?

Pr Mathurin Fumery : Ces maladies peuvent être très handicapantes et délabrantes. Aujourd’hui, dans les services de gastro-entérologie, les malades vont beaucoup mieux qu’autrefois grâce notamment aux biothérapies. Ce que l’on a pu démontrer en tout cas, c’est que le nombre de malades atteints de MICI et nécessitant une intervention chirurgicale a nettement diminué ces dernières années, la chirurgie dans ces maladies traduisant souvent l’échec des traitements médicaux. Certes, il y a encore une petite proportion de patients en échec thérapeutique. Mais cette proportion est vraiment beaucoup plus faible qu’elle n’était il y a 25 ans.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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