• Pr FRYDMAN : Ce que la loi de bioéthique change dans la prise en charge de l’infertilité

René FRYDMAN

Discipline : Gynécologie, Santé de la Femme

Date : 11/07/2022


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La loi relative à la bioéthique élargit l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Elle permet aussi l’autoconservation de gamètes, hors motif médical. Le point avec le Pr René Frydman, gynécologue, spécialiste de la reproduction à l’hôpital Foch.

 

TLM : Les femmes seules et les couples de femmes ont désormais accès au don de sperme. Que change, pour les médecins, la suppression du caractère médical de l’infertilité ?

Pr René Frydman : Ce passage du médical au sociétal ne change pas vraiment nos pratiques. Cependant nous sommes confrontés à la réalité du don de sperme. La loi crée une extension des demandes, et donc un embouteillage. Il faut entre 18 mois et deux ans avant d’obtenir la première insémination ou FIV avec un don de sperme. Plus les femmes attendent, plus elles prennent de l’âge et moins les chances de succès sont grandes : en moyenne 25 % de réussite, ce qui est modeste. Cette situation favorise le tourisme médical. Dans les pays où il faut payer, l’accès au don de sperme est bien plus rapide car les donneurs sont rémunérés et il y en a donc davantage. Je ne plaide pas pour payer les donneurs.

Mais il faut trouver un moyen de les mobiliser autrement. Il faudrait déjà augmenter le nombre de CECOS (Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) ou, mieux, les centres à activité de conservation. Rien qu’à Paris, il en faudrait le double.

 

TLM : Peut-on imaginer des CECOS privés ?

Pr René Frydman : Non, car c’est tout un système qui vacillerait. Le don en France est basé sur la gratuité, que ce soit le don d’organes, du sang... Il faut accompagner les donneurs et les donneuses pour leur faciliter la tâche ; surtout les donneuses qui sont confrontées à un traitement long, et pénible : il faut plus d’accompagnement avec des sages-femmes et des psychologues. Mais cette proposition, que j’ai faite, n’a pas été retenue.

 

TLM : Autre nouveauté : l’autoconservation des ovocytes, pour des raisons sociétales et non médicales. A partir de quel âge est-ce possible ?

Pr René Frydman : Je recommande que les jeunes femmes, à 32 ans, reçoivent un document de l’Assurance maladie, les prévenant de la baisse de la fertilité avec l’âge. Il ne s’agit pas de les inciter à faire un bébé, mais de donner une information comme celles qu’on envoie pour le dépistage du cancer du sein ou du côlon. Ceci étant, avant une autoconservation d’ovocytes —possible entre 29 et 37 ans— il faut un bilan pour apprécier la fertilité : si tout est normal, on peut proposer un report de l’autoconservation. Si la fertilité décline, on peut proposer une accélération de cette démarche. Là aussi on est confronté à un embouteillage. Par exemple l’hôpital Foch, où je travaille, fait de la congélation ovocytaire en vue de FIV.

Mais il n’a pas d’agrément pour l’autoconservation sociétale. Seuls les CECOS ont l’agrément. Donc il faut ouvrir l’offre. Ou, sinon, peu de femmes vont bénéficier de cette autoconservation. Il faut recueillir environ une dizaine d’ovocytes, ce qui représente un ou deux cycles de stimulation hormonale, sans oublier les ponctions.

 

TLM : Un médecin peut-il refuser, par conviction, de traiter un couple de femmes ou une femme seule ?

Pr René Frydman : La loi a été votée, elle est valable pour tous. Néanmoins un médecin peut refuser de traiter car l’AMP n’est pas une urgence vitale. Il doit cependant indiquer aux patientes une autre possibilité de prise en charge. Prenons l’exemple belge : 15 % des femmes seules ou en couple homosexuel sont refusées en AMP, mais pas forcément pour des questions éthiques. Il peut y avoir des raisons médicales, psychologiques, ou sociales. Le médecin n’est pas tenu de répondre à toutes les demandes : mais il faut que la réponse soit transparente, sans discrimination.

 

TLM : Autre nouveauté : la levée de l’anonymat dans le don de gamètes. Est-ce que tous les dons seront désormais non-anonymes ?

Pr René Frydman : Au départ le don reste anonyme, les donneurs ne sont pas connus des receveurs au moment des inséminations ou des FIV. Mais, à 18 ans, l’enfant est en droit de connaître l’identité partielle ou totale du donneur : au moment du don, ce dernier consigne des informations non identifiantes sur sa santé, ses antécédents, son métier... Pour le reste, c’est encore un peu flou : il devrait y avoir une commission semblable à celle des accouchements sous X. A sa majorité, l’enfant pourrait demander à cette commission de rencontrer le donneur : la commission avertira ce dernier. Les donneurs doivent donc accepter le principe d’être contacté éventuellement par l’enfant. Mais il va falloir attendre au moins 18 ans pour que cette situation se produise.

 

TLM : Quelles sont les dernières innovations dans le traitement de l’infertilité féminine ?

Pr René Frydman : Il n’y a pas vraiment de nouveauté : la FSH (hormone folliculo-stimulante) est utilisée avec des petites variantes selon les différents laboratoires pharmaceutiques, mais l’efficacité de tous ces produits est comparable. Il y a actuellement des recherches pour améliorer la stimulation ovarienne mais il est trop tôt pour en parler. Aujourd’hui, le taux de réussite des FIV se situe toujours autour de 25 %. Les pratiques ont été améliorées mais les médecins sont confrontés à des cas de plus en plus complexes qu’on n’aurait pas pris en charge il y a vingt ans et également des femmes plus âgées qu’avant.

 

TLM : Quelles sont les dernières innovations dans le traitement de l’infertilité masculine ?

Pr René Frydman : C’est surtout la biologie de la reproduction qui est plus performante et qui permet aujourd’hui de traiter des hommes qui ont très peu de spermatozoïdes. Le contexte actuel est inquiétant avec une diminution des données spermatiques, liées à l’environnement, au tabagisme, à l’obésité et bien d’autres facteurs : cela influe sur la qualité des gamètes et génère davantage de demandes de prises en charge chez l’homme.

 

TLM : Quel est le rôle du médecin généraliste dans la prévention de l’infertilité et dans la prise en charge de celle-ci ?

Pr René Frydman : Les médecins généralistes participent à la prévention générale : cela doit inclure la prévention de l’infertilité. Ils doivent informer les jeunes femmes que la fertilité baisse avec l’âge. Et expliquer la reproduction : un certain nombre de couples ne connaissent pas encore les moments favorables pour avoir des rapports. Le médecin généraliste doit aussi repérer toutes les situations qui nuisent à la fertilité : le tabac, l’alcool, le surpoids, etc. Il doit aussi repérer les règles irrégulières. Tout doit être fait avant de passer à une médicalisation prématurée, lourde et compliquée.

Propos recueillis

par Brigitte Fanny Cohen

Crédit Virginie Bonnefon

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