• Pr FREYER : Quand préconiser une chimiothérapie adjuvante dans les cancers du sein ?

Gilles FREYER

Discipline : Oncologie, Dépistage

Date : 11/07/2022


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Des tests génomiques permettent de prédire si l’adjonction d’une chimiothérapie à une hormonothérapie, dans les cancers du sein, est à même de réduire le risque de récidive.

Le Pr Gilles Freyer, directeur de l’Institut de cancérologie des Hospices civils de Lyon, explique dans quel cas ces tests se justifient.

 

TLM : Comment savoir aujourd’hui si une patiente atteinte d’un cancer du sein non métastatique nécessite une chimiothérapie ?

Pr Gilles Freyer : La question se pose aujourd’hui s’agissant de femmes souffrant d’un cancer du sein localisé, avec ou sans atteinte ganglionnaire, mais sans métastase. La chimiothérapie est un traitement adjuvant pour les formes localisées, elle est indiquée quand tous les signes de la maladie ont disparu, après la chirurgie et avant la radiothérapie. Elle est aussi prescrite pour diminuer la taille d’une tumeur volumineuse avant l’intervention (CT néo-adjuvante). Le but de la chimiothérapie (néo)adjuvante consiste à détruire les cellules tumorales circulantes, facteur de rechute. Et il s’agit d’un traitement à l’aveugle : l’effet du traitement pour une patiente donnée n’est pas mesurable. Ces chimiothérapies adjuvantes ont commencé à être prescrites dans les années 60. Les grands essais cliniques ultérieurs ont confirmé sans aucun doute que ces chimiothérapies réduisaient le risque de rechute.

 

TLM : Quels sont les critères cliniques incitant à pratiquer une chimiothérapie adjuvante après un cancer du sein localisé ?

Pr Gilles Freyer : Avant l’arrivée récente des tests évaluant les signatures moléculaires des tumeurs du sein, certains critères cliniques et anatomopathologiques de risque de rechute ont été définis : le fait d’avoir moins de 35 ans, une tumeur supérieure à deux centimètres, des ganglions atteints, ou encore à l’anatomopathologie, des cellules cancéreuses ayant un fort taux de prolifération, une micro-invasion lymphatique ou vasculaire. Le test Predict Breast permet aux praticiens d’intégrer les caractéristiques de la tumeur sur un site internet et d’évaluer les risques de récidive. Pour les tumeurs à faible risque ou, à l’inverse, pour celles à haut risque, la décision thérapeutique est facile à prendre : seules celles à haut risque tireront bénéfice de la chimiothérapie et seront donc éligibles à cette dernière. En cas de risque intermédiaire (10 à 20 % de rechutes), la décision est plus difficile.

Dans ce cas, les tests d’expression génique de la tumeur permettent d’identifier les femmes à risque qui bénéficieront de la chimiothérapie.

 

TLM : Comment fonctionnent ces tests, comme par exemple Oncotype DX®, pour prédire l’intérêt de la chimiothérapie ?

Pr Gilles Freyer : Pour mettre au point ces tests, les gènes de milliers de tumeurs du sein ont été séquencés et le profil d’expression génique de ces cancers a été corrélé avec le risque de récidive des patientes. A partir de plusieurs bases de données portant sur des milliers de femmes atteintes de cancer du sein, dont les gènes tumoraux ont été séquencés, ces gènes ont été classés en fonction de l’évolution clinique des patientes. Ainsi, en mettant en parallèle des échantillons de cancers conservés depuis longtemps et séquencés avec les registres cliniques des patientes correspondantes, il a été possible d’établir un risque d’évolutivité, en fonction du profil d’expression moléculaire de la tumeur.

 

TLM : A qui sont destinés ces tests génétiques ?

Pr Gilles Freyer : Ils sont destinés à des patientes présentant un risque de rechute identifié comme intermédiaire par l’évaluation clinique et anatomopathologique. Ainsi, si le test génétique met en évidence un risque faible de récidive, il n’y aura pas besoin de chimiothérapie. A l’inverse, si le test montre un risque élevé, une chimiothérapie sera justifiée.

 

TLM : Que faut-il faire pour celles dont le test génétique met aussi en évidence un risque intermédiaire ?

Pr Gilles Freyer : C’est pour le savoir qu’a été mené l’essai randomisé TAILORx. La moitié des patientes à risque intermédiaire avec le test génétique (Recurrence Score® entre 11 et 25) ont reçu une chimiothérapie. L’autre moitié n’en ont pas reçu. Résultat : il n’existe pas de bénéfice significatif en faveur de la chimiothérapie, sauf pour les femmes jeunes (<50 ans) pour lesquelles la décision est donc plus complexe et doit être discutée en RCP. Un second essai randomisé — RxPONDER — porte sur des patientes présentant un cancer du sein avec envahissement ganglionnaire. Dans ce cas, Oncotype DX® est divisé en deux groupes de risque (seuil du Recurrence Score® à 25). Les patientes à risque plus réduit ont été randomisées entre chimiothérapie + hormonothérapie versus hormonothérapie seule. Là encore, la chimiothérapie n’apporte pas de bénéfice dans le sous-groupe des patientes ménopausées, principalement.

 

TLM : Ces tests à base de signatures moléculaires sont-ils vraiment une aide à la décision de l’oncologue ?

Pr Gilles Freyer : Ces tests apportent un élément d’analyse et de réflexion supplémentaire lors de la réunion de consultation pluridisciplinaire. Les résultats de ces tests se présentent selon un « score de risque » génomique (le Recurrence Score® pour Oncotype DX®), qui est en réalité un continuum avec des seuils qui varient selon les essais cliniques. Les résultats de ces essais sont d’interprétation assez complexe, il ne faut pas imaginer que, comme par magie, le séquençage d’un échantillon de tumeur va donner systématiquement la clé du traitement adjuvant. In fine, c’est toujours un processus collégial, puis une décision « partagée » avec une patiente dûment informée.

 

TLM : Est-ce si important d’éviter les chimiothérapies inutiles ?

Pr Gilles Freyer : Les effets secondaires de la chimiothérapie ne sont pas négligeables. Il peut s’agir d’un effet secondaire aigu : neutropénie fébrile, réaction allergique majeure, toxicité cardiaque aiguë. Dans certains grands essais cliniques, la chimiothérapie a pu être responsable de 0,5 à 1 % de décès. Il peut y avoir aussi des risques à plus long terme, notamment cardiovasculaires. Enfin, le risque de leucémie induite par la chimiothérapie concerne entre 0,1 et 0,2 % des femmes traitées.

 

TLM : Ces tests permettent-ils vraiment de réduire le nombre de femmes ayant besoin d’une chimiothérapie ?

Pr Gilles Freyer : Cela n’a pas été calculé ainsi à l’échelle d’un pays comme la France, bien que l’on dispose de données de cohortes. Mais on peut tenter des extrapolations. On recense en France autour 55 000 cas de cancers du sein par an, et 40 000 femmes environ reçoivent une chimiothérapie.

Sous l’hypothèse que ces tests permettraient d’éviter dans 20 % des cas une chimiothérapie, on peut considérer qu’environ 8 000 chimiothérapies par an pourraient être évitées en utilisant ces tests basés sur les signatures d’expression géniquedans le cancer du sein.

Propos recueillis

par le Dr Clémence Weill

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