• Pr Frank Zerbib : Diagnostic et traitement de l’œsophagite à éosinophiles

Frank Zerbib

Discipline : Gastro-entérologie, Hépatologie

Date : 18/04/2023


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Maladie chronique d’origine allergique, l’œsophagite à éosinophiles fait intervenir une prédisposition génétique avec une réponse immune anormale, rappelle le Pr Frank Zerbib, service de Gastroentérologie, CHU de Bordeaux. Le premier médicament avec AMM dédiée donne des résultats appréciables.

 

TLM : Comment définir l’œsophagite à éosinophiles ?

Pr Frank Zerbib : L’œsophagite à éosinophiles est une maladie chronique d’origine allergique. Elle est caractérisée par une réaction inflammatoire au niveau de l’œsophage avec une prédominance d’éosinophiles. La plupart des allergènes responsables de cette œsophagite sont d’origine alimentaire. Il s’agit donc d’une forme particulière d’allergie alimentaire. Décrite pour la première fois en 1993, cette maladie concerne actuellement entre 10 et 50 personnes pour 100 000. Le nombre de cas semble en hausse, sans doute en relation avec l’augmentation de toutes les maladies allergiques. C’est une affection à prédominance masculine.

 

TLM : Sur quels symptômes faut-il évoquer cette œsophagite ?

Pr Frank Zerbib : La dysphagie constitue le principal symptôme, et ce dernier doit faire évoquer le diagnostic chez l’adolescent et l’adulte. Cette dysphagie est de gravité variable, souvent modérée, sans retentissement sur l’état général. Quant au pyrosis, il est présent dans 30% des cas. Les patients sont habitués à vivre avec cette dysphagie et adaptent leur alimentation aux symptômes. Ils consultent le plus souvent soit en cas d’aggravation de la dysphagie, soit en urgence lors d’un accident quand un morceau d’aliment obstrue l’œsophage. Chez l’enfant, l’œsophagite à éosinophiles se traduit par des symptômes tels le pyrosis, des nausées, des vomissements, des douleurs, des difficultés d’alimentation et parfois des troubles de la croissance. Cette maladie inflammatoire de la paroi de l’œsophage peut évoluer vers des lésions sténosantes de la lumière œsophagienne, en l’absence de prise en charge.

 

TLM : Quelle est la cause de cette pathologie ?

Pr Frank Zerbib : La physiopathologie est complexe. Elle fait intervenir une prédisposition génétique, avec une réponse immune anormale, impliquant les interleukines 5 et 13, à des allergènes divers. Il y aurait aussi une altération de l’intégrité de la muqueuse œsophagienne qui favoriserait l’exposition des antigènes alimentaires au système immunitaire.

 

TLM : Comment confirmer le diagnostic ?

Pr Frank Zerbib : L’endoscopie est une étape essentielle du diagnostic de l’œsophagite à éosinophiles. Plusieurs aspects ont été décrits. Des anneaux circulaires donnant un aspect pseudo-trachéal à l’œsophage, des sillons longitudinaux et des exsudats sont visibles dans 70 à 80% des cas à l’endoscopie. Le diagnostic est confirmé par les biopsies œsophagiennes qui doivent être systématiques en cas de dysphagie. La muqueuse peut avoir un aspect normal dans 15 à 25% des cas. Il est recommandé de faire pratiquer entre quatre et six biopsies à deux niveaux différents, au niveau de l’œsophage distal et proximal. La présence d’une infiltration de la muqueuse par les éosinophiles avec plus de 15 éosinophiles par champ permet de poser le diagnostic.

 

TLM : Comment prendre en charge une œsophagite à éosinophiles ?

Pr Frank Zerbib : Le traitement de première intention flèche les inhibiteurs de la pompe à protons, les IPP. Ils permettent d’obtenir une guérison de la maladie dans 35 à 50% des cas selon les études.

Il n’y a pas d’échappement thérapeutique à long terme. L’efficacité de ce traitement s’expliquerait par le fait que les IPP diminueraient la perméabilité de l’épithélium œsophagien, ce qui permettrait de réduire le contact entre les allergènes alimentaires et le système immunitaire. Il s’agit de traitement à long terme a priori, en déterminant la dose minimale efficace.

 

TLM : Que faire quand les patients résistent à ce traitement ?

Pr Frank Zerbib : En deuxième intention, les corticoïdes par voie locale sont une alternative. Les sprays de corticoïdes prescrits habituellement dans l’asthme, mais, dans ce cas, à pulvériser dans la bouche et à déglutir, peuvent être utilisés dans cette maladie.

Signalons la disponibilité, depuis peu, du premier médicament bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché dans l’œsophagite à éosinophiles. Il s’agit d’un corticoïde, le budésonide orodispersible, administré par voie orale, qui fond dans la bouche, se mélange à la salive et va tapisser l’œsophage. Deux prises par jour sont recommandées, matin et soir. Ce médicament a un effet purement local, sans passage systémique.

Une étude sur 88 patients, divisés en deux groupes, le premier prenant le budésonide orodispersible et le second un placebo a montré qu’avec ce traitement, entre 85 à 90% des patients n’ont plus de dysphagie. Et les biopsies ont mis en évidence aussi une diminution des éosinophiles de 92 à 95% chez les patients sous traitement par rapport à ceux sous placebo. Un traitement d’entretien est le plus souvent nécessaire pour éviter les récidives.

 

TLM : Faut-il mettre en place une prise en charge diététique ?

Pr Frank Zerbib : Dans la mesure où il s’agit d’une affection liée à l’exposition à un ou plusieurs allergènes alimentaires, une prise en charge permettant d’identifier et de supprimer les aliments en cause apparaît comme une solution logique. Si 75 % des patients présentent un contexte atopique, les tests allergologiques ne permettent d’identifier avec fiabilité l’allergène en cause que dans 13 % des cas. Les aliments les plus souvent incriminés sont les céréales (en particulier le blé), le lait et les produits laitiers, les œufs, les légumineuses, le soja, le poisson et les fruits de mer. Des études ont montré qu’en excluant ces six catégories d’aliments, il était possible d’obtenir une rémission clinique et biologique dans 75% des cas. En réintroduisant ensuite successivement chacun de ces aliments, il est possible d’identifier le ou les aliments qui sont en cause et de les exclure. Mais en pratique, cette prise en charge diététique est très contraignante et parfois difficile à faire accepter au patient. Enfin, les œsophagites à éosinophiles se compliquent de sténose dans environ 25% des cas. La prise en charge nécessite alors le recours aux dilatations endoscopiques, réalisées soit initialement dès l’instauration du traitement médical, soit en cas de dysphagie persistante sous traitement.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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